Nouveau directeur de l’association Poc Pok, qui gère le 6PAR4 et Les 3 Éléphants, Lucas Blaya, la trentaine, a déjà un beau parcours derrière lui, et plein d’idées pour demain. Rencontre avec un touche-à-tout en mode haut-débit.

Il a une allure de gendre idéal. De premier de la classe. Traits fins. Lunettes d’intello… Il s’appelle Lucas Blaya. Un nom qui sonne comme celui d’un chanteur pour midinettes. Mais ne prenez pas le nouveau patron de Poc Pok pour ce qu’il n’est pas. À 33 ans, il a déjà parcouru un beau bout de chemin. Depuis novembre 2015, il est à la tête du festival Les 3 Éléphants et de la salle de concerts Le Le 6 par 4, installés depuis bientôt 10 ans à Laval. Il nous offre de son temps. Pas du genre à regarder sa montre en vous faisant comprendre qu’il n’a pas que ça à faire. Mais attention, l’homme est en mode haut débit. Accrochez votre ceinture, on décolle. Le cavalier est lancé. Pas besoin de cravache pour remuer son dada : les musiques actuelles.
Rembobinons la cassette. Lucas Blaya est né en 1983. Cette année-là, Michael Jackson triomphe avec « Beat it », « Let’s dance » de David Bowie fait un carton et Sonic Youth sort son premier album… C’est son genre ? Ce passionné de musique, frustré de n’avoir jamais appris à jouer d’un instrument, dit écouter de tout : « De la musique baroque, blues, jazz, electro, des années 50 aux années 90… », avec un attrait particulier pour la musique afro-américaine.

Une carte de visite gold

Né dans l’Oise, il a roulé sa bosse en Normandie, à Lille, à Paris, en Picardie. Hypokhâgne, khâgne, sciences politiques, droit communautaire, master en management de projets culturels… Côté études, il a déroulé du câble. Côté pro, « j’ai toujours travaillé dans le milieu associatif et dans le domaine musical », précise-t-il. Genre touche-à-tout : organisation de soirées, programmation, coordination, communication… Il a gravité dans le milieu du disque (pressage de vinyle), des musiques traditionnelles et du monde, géré un label, travaillé pour une radio associative…
Puis, il devient responsable de la production au Batofar, un café-concerts-péniche au bord de la Seine, au pied de la Bibliothèque nationale de France, à Paris. L’endroit affiche 40 dates par mois. En 2009, Lucas Blaya prend la direction et la programmation de La Grange à Musique, salle de 360 places labellisée scène de musiques actuelles (Smac) à Creil (Picardie). Entre-temps, il s’illustre à la direction artistique du festival Picardie Mouv, devient rédacteur en chef de 90 BPM, un média web branché cultures urbaines. Riche de cette expérience, il signe Our vinyl weighs a ton, un documentaire autour du mythique label de hip hop Stones Throw, basé à Los Angeles. Sorti en 2013, le film a été diffusé dans 60 festivals à travers le monde. Rien que ça ! Modestie en bandoulière, le jeune homme redouble d’énergie et trace sa route.
À Creil, après six ans dans ses fonctions, il arrive au bout d’un cycle. Il veut faire un pas de côté. « La pépère attitude », très peu pour lui. « Je n’avais plus envie de faire de la programmation, qui demande d’être toujours dans l’urgence. Je voulais me tourner davantage vers les ressources humaines », explique-t-il. Avec ça, il ressent le besoin de changer de structure, de poser ses valises ailleurs.
En mai 2015, Lucas assiste pour la première fois au festival Les 3 Éléphants… Il a en ligne de mire le poste de directeur de Poc Pok. Jusqu’en octobre 2014, la scène du 6PAR4 et le festival partageaient la même équipe et deux co-directeurs, Cyril Coupé et Jean-François Foulon. L’envie des deux hommes de voguer vers d’autres cieux est l’occasion de réfléchir au fonctionnement de la structure. Exit la co-direction. En novembre 2015, Lucas prend la tête de Poc Pok, alors en pleine restructuration. L’organigramme est repensé, des recrutements sont opérés, des pôles organisés notamment pour les pratiques amateurs et l’éducation artistique et culturelle. Lucas, mec de terrain, connaît « toutes les contraintes de chaque membre de l’équipe ».
Il se souvient avoir connu, au début des années 2000, Les 3 Éléphants à Lassay-les-Châteaux, via les revues spécialisées auxquelles il était abonné. « Cela a toujours été un beau projet », vante-t-il. C’est quand il était en activité à Creil, qu’il a découvert la programmation du 6PAR4. Mais, ce sont davantage les multiples activités du lieu en matière d’action culturelle qui attirent son attention. « Ici, on défend des projets de la maternelle au lycée. »

Faire sauter les cloisons

Sans nier l’historique et le riche héritage de la structure, l’association Poc Pok nouvelle version se concentre désormais à repenser son projet associatif. Objectif : devenir un acteur culturel et social majeur du territoire. Pour Lucas, cela ne passe pas que par la diffusion de concerts, il faut agir auprès de la population en amont des événements.
« Une enquête a été réalisée pendant l’édition 2015 du festival pour mieux connaître notre public, et nous menons également une étude sur la politique d’abonnement au 6PAR4  » , indique-t-il. Ces outils de diagnostic permettront de connaître les spectateurs qui fréquentent les lieux et de mieux cerner les évolutions de leurs pratiques. « D’où viennent-ils ? Comment viennent-ils ? Où vont les jeunes de 18 ans ? Qui sont nos partenaires ? Et nos prestataires ? Quelles sont les retombées économiques de nos activités ? », interroge le responsable de Poc Pok.
Cet état des lieux permettra d’ajuster l’offre et de ne pas rater le coche du renouvellement du public pour assurer la pérennité du lieu. « L’idée est de travailler sur la diversité des publics, des cultures, des esthétiques, des territoires, et avec les différents acteurs. C’est la base d’une salle labellisée Smac. » L’enjeu est économique, social et solidaire. Au sein de l’association, cela s’illustre notamment par la création d’un poste en contrat d’accompagnement à l’emploi (CAE), en réduisant les impacts des événements sur l’environnement, en travaillant sur l’accès aux personnes à la mobilité réduite, en favorisant le partenariat avec des prestataires locaux…
Le nouveau boss de Poc Pok, passionné de cinéma et d’art contemporain, veut faire sauter les cloisons. Il reconnaît que les cultures urbaines sont sous-représentées dans les propositions du festival et de la salle de concerts lavalloise, mais « on bosse dessus », promet-il. Cela se traduira dans la programmation et la mise en avant de certains groupes. Perrine Delteil, nouvelle programmatrice artistique, s’y attelle depuis qu’elle a rejoint l’aventure en octobre dernier.
Et les projets se multiplient pour initier tous les publics aux musiques actuelles. Avec la réorganisation de son organigramme, l’association veut impulser une nouvelle énergie. Cela passe notamment par des actions en direction des scolaires. Éric Fagnot, responsable de l’action culturelle, a en charge de booster l’existant, mais aussi d’initier de nouveaux projets. En janvier dernier, l’association a lancé l’opération « Multipistes » avec le conservatoire de Laval : un livret-disque afin que les enfants de l’agglo apprennent à chanter et jouer des chansons d’artistes programmés au 6PAR4, de Arno à Cocoon. « Le but, c’est que les profs se l’approprient. Il sera présenté à la prochaine édition des 3F, pendant le Kidztival, précise Lucas. Être en lien avec l’Éducation nationale est primordial. Nous partageons une mission d’intérêt général. » Et d’insister sur l’importance de travailler avec tous les acteurs culturels du département.
En ce qui concerne les pratiques amateurs et la scène locale, « elles ont toujours eu leur place au 6PAR4, mais elles ne sont pas assez représentées », admet Lucas Blaya. D’ailleurs, il y a un an, un poste dédié à l’accompagnement de la scène locale a été créé au sein de Poc Pok. « Nous devons être fiers des artistes mayennais et se donner les moyens de les encourager. Le tremplin Les Émergences par exemple a évolué au fil des années. Il faut aller plus loin encore, en développant davantage l’accompagnement proposé aux groupes dans ce cadre. » Comment ? « En favorisant des temps collectifs et individuels, en créant des parcours individualisés et territorialisés avec des temps forts autour de l’arrangement, du management, de la création… »

Tous copains

La Mayenne, c’est donc son nouveau terrain de jeu. Il n’a pas débarqué ici avec des a priori. « J’arrive de Picardie. La ruralité, je connais », avance-t-il. Ici, il a tout de suite pris ses marques, séduit par les habitudes mayennaises de travail en réseau. « Il y a beaucoup de festivals et de belles choses qui existent, tant au niveau des musiques actuelles, que du domaine culturel plus largement. Il n’y a pas de guerres de chapelles. Le dialogue est facilité, les circuits sont courts et le travail collaboratif. Il n’y a pas de souci de copinage car tout le monde est copain en Mayenne. C’est appréciable. »
Pour lui, tout le monde avance dans le même sens : « Les collectivités territoriales ont compris que la culture est importante. Nous sommes soutenus financièrement et techniquement. Il y a une sincérité et une envie de faire. » Celle que la Mayenne devienne un acteur de l’innovation culturelle, à l’image du partenariat que Poc Pok développe depuis peu avec Laval Virtual, salon leader en Europe de l’innovation et des nouvelles technologies. L’idée est de favoriser des lieux hybrides, faisant se croiser les publics, en particulier ceux peu habitués à fréquenter les lieux culturels.
Cette année, on fête les 20 ans des 3F. L’événement est devenu incontournable dans le département et bien au-delà. Un étendard culturel en Mayenne. Pour cet anniversaire, l’équipe veut célébrer ce qui fait l’ADN du festival : « les gens », avec une place prioritaire aux pratiques nouvelles. « Nous proposerons notamment sur le site des espaces immersifs en lien avec la réalité virtuelle… » Lucas Blaya passe en mode bas débit. « Des réflexions sont en cours… », glisse-t-il. On n’en saura pas plus. Rendez-vous du 19 au 21 mai 2017 pour lever le voile.

Poc Pok en chiffres
> 10 salariés
> 1,3 million d’euros de budget
> 25220 spectateurs dont 9100 payants aux 3 Éléphants en 2016, 19 lieux investis et 34 groupes accueillis.
> 9000 entrées pour 45 concerts au 6PAR4 en 2016, 104 groupes accueillis. 18 % de manifestations gratuites.
"Ici, on défend des projets de la maternelle au lycée"