L’éducation artistique et culturelle. Pourquoi ? Par qui ? Comment ? Marie-Christine Bordeaux, chercheure spécialiste de la question, décrypte cette notion pas toujours explicite pour les néophytes. Interview. 

Qu’entend-on par « éducation artistique et culturelle » ?

Pour aller vite, l’éducation artistique et culturelle (ÉAC) désigne le recours aux pratiques culturelles et artistiques dans la sphère éducative. On peut aller un peu plus loin dans la définition en distinguant quatre modes de transmission qui ne sont pas toujours appelés ÉAC mais qui peuvent en relever.
La définition la plus partagée correspond à l’introduction des pratiques artistiques dans l’école dans le cadre de partenariats actifs entre des enseignants, des artistes ou des professionnels de la culture (médiateurs, architectes…) et des structures culturelles (cinémas, théâtres…).
De plus en plus, on englobe dans l’ÉAC les enseignements artistiques. À l’école et au collège, ce sont les cours de musique et d’arts plastiques (dispensés par des enseignants spécialisés au collège). Au lycée, ce sont les options lourdes et légères que les élèves suivent à partir de la classe de 1re.
Si on élargit encore la focale, on trouve également les enseignements artistiques spécialisés dispensés dans la majorité des cas hors temps scolaire au conservatoire ou à l’école de musique. C’est un choix individuel et familial.
Ensuite, il y a toutes les propositions hors temps scolaire que ce soient les temps d’activités périscolaires, les activités proposées par les mouvements d’éducation populaire pendant les vacances, etc.
La difficulté est d’articuler ces différentes interventions qui relèvent à la fois de l’éducation formelle et non formelle…
Cette articulation porte aujourd’hui un nom : parcours d’éducation artistique et culturelle. Dans un objectif de mise en cohérence de propositions, on se place du point de vue de l’enfant ou du jeune, qui bénéficie de l’ÉAC sur ses temps scolaires et de loisirs. La notion de parcours est intéressante mais sa dimension opérationnelle est compliquée. Si bien qu’on utilise plutôt la première définition, limitée au cadre de l’école, par laquelle tous les enfants passent. C’est le cadre le plus innovant, et ce depuis assez longtemps !

Comment a évolué l’éducation artistique, de ses origines à aujourd’hui ?

Dans les années 1960-1970, des enseignants et artistes militants ont mené des expériences d’ouverture aux pratiques artistiques, souvent dans une démarche de remise en question des institutions traditionnelles et de mise en oeuvre des principes de l’éducation populaire.
En 1983, l’accord entre les ministères de la culture et de l’Éducation nationale a été fondateur institutionnellement. D’une part en encourageant l’ouverture des établissements scolaires sur leur environnement culturel et des programmes scolaires sur la dimension artistique. D’autre part en favorisant une meilleure prise en compte, par les structures culturelles, des préoccupations propres à la petite enfance et à l’âge scolaire. C’est dans cet esprit que des dispositifs et des actions partenariales ont été depuis développés sur le terrain : ateliers de pratique artistique, options arts en lycée, classes culturelles dans un premier temps, puis jumelages culturels, sites expérimentaux, dispositifs d’éducation au cinéma…
En 2000, le plan Lang-Tasca a posé les jalons d’une généralisation de l’ÉAC avec la mise en place de projets de courte durée accessibles à toutes les classes, la création de pôles nationaux de ressources, la formation des acteurs… Il s’agissait de permettre à chaque élève de rencontrer l’art et la culture, plusieurs fois au cours de sa carrière scolaire. Ce plan ambitieux a été interrompu en 2003 et les années qui ont suivi n’ont guère été favorables au développement de l’éducation artistique : nombreuses suppressions de postes, suppression des IUFM. Dernièrement, la loi de refondation de l’école de la République (2013) a introduit le parcours d’ÉAC, évoqué plus haut, pour tous les élèves scolarisés. Cela s’est accompagné d’un important effort financier de la part du ministère de la culture.
De leur côté, et en lien bien sûr avec les acteurs de l’éducation et de la culture, les collectivités locales – départements et communes surtout – se sont fortement impliquées dans l’ÉAC depuis plusieurs années. Et on considère de plus en plus cette question comme une composante essentielle des projets culturels des intercommunalités.
Malgré les obstacles depuis une trentaine d’années, l’ÉAC a gagné du terrain pour occuper aujourd’hui une place centrale dans les discours généraux de politique culturelle, et on constate une réelle progression du nombre d’élèves touchés par ces actions.

Qu’apportent l’art et la culture à l’école ? En quoi contribuent-ils à l’éducation des enfants ?

L’éducation artistique relève de la sensibilisation et de la démocratisation de l’accès aux œuvres et aux lieux, et de l’initiation aux pratiques artistiques. Son but est l’ouverture et la découverte, non la spécialisation. Elle permet un apprentissage par la rencontre avec les œuvres (« voir »), par la pratique artistique personnelle dans un cadre collectif (« faire ») et la capacité à analyser, contextualiser une oeuvre (« interpréter » ou « dire »).
Ce qu’apporte l’artiste dans la classe, c’est un point de vue, un regard singulier sur le monde. Il amène également des compétences expressives, des savoir-faire, des idées ambitieuses et folles parfois. Il va souvent au-delà de ce que les enseignants pensent possible au départ. On n’apprend pas des savoirs déjà préparés dans des manuels, on construit quelque chose ensemble, on expérimente. L’artiste apporte une grande exigence sur la forme et sur le sens. Il amène à s’interroger, à faire, défaire, refaire… Il s’adresse à l’enfant comme à un autre artiste et prend le risque de travailler avec lui jusqu’à une production finale, ce qui nécessite un travail de fond sur la durée. La relation adulte-enfant avec l’artiste est assez différente d’avec l’enseignant. Cet écart est très productif pour tout le monde.

Aujourd’hui, comment aller plus loin en matière d’éducation artistique ?

Il y a une grande part de militantisme du côté des enseignants, des artistes et des structures culturelles quand ils s’engagent dans des projets qu’ils co-construisent. Si on veut généraliser ces démarches, la formation des enseignants – aujourd’hui insuffisante – est indispensable. Il faut également prendre garde à ne pas dupliquer des formats d’action limités en nombre d’heures et standardisés par des programmes scolaires simplificateurs. Je dirais qu’il faut laisser aux artistes le temps d’une présence significative et d’une véritable rencontre avec les élèves.
L’ÉAC, avant d’être une affaire institutionnelle, est d’abord un vrai sujet de société. Que voulons-nous transmettre aux générations futures ? Comment le leur transmettre ? Quelles expériences de l’art et de la culture voulons-nous partager ?

À lire
Éducation artistique, l’éternel retour ? de M.-C. Bordeaux et F. Deschamps, éd. de l’Attribut.

 

Article paru dans le dossier « que fait l’art à l’école ? » du numéro 61 du magazine Tranzistor.