Des USA au Japon, de Berlin à Budapest, son trio Birds in row et ses talents de tatoueur l’emmènent dans le monde entier. Alors que paraît le second album de son groupe, entrevue avec un révolté pragmatique, pour qui la vie est politique.

Envoyez valser vos préjugés et les étiquettes musicales. Et écoutez cette voix, écorchée, hyper sensible, connectée comme rarement à la violence du monde, pour charrier un torrent d’émotions, de colère, de rage mais aussi de lumière, de générosité et de beauté qui « met les poils ». Depuis qu’il a attrapé une guitare, à 10 ans, pour ne jamais plus la lâcher, celui que toute la planète (sauf sa maman) appelle Bart étonne ceux qu’il croise par sa lucidité, sa détermination sans faille, sa radicalité sans concession. Rencontre, en plein préparatifs de la 4e tournée américaine de Birds in row.

Tu vis à Laval depuis près de 20 ans, mais tu es né à Bayonne…

Je suis resté très lié à ma famille au pays basque. L’identité basque, c’est quelque chose. On m’a toujours dit que je n’étais pas français. Je ne cautionne en rien le nationalisme, mais lorsqu’on étudie l’histoire de cette région, qui a longtemps été autonome, on comprend que c’est un pays à part, avec une culture, une langue propres… J’ai été élevé dans cette identité, et cela m’a réellement structuré. L’ego, la fierté, l’esprit d’indépendance, l’obstination qu’on me renvoie parfois, et ce sentiment d’être différent, que j’ai toujours ressenti, viennent sans doute de cet enracinement.

La musique est venue tôt. Par la famille ?

Mes parents écoutaient beaucoup de musique, rock, reggae, classique… Plusieurs de mes oncles étaient musiciens, luthier… J’ai toujours baigné dans cet univers. À 6 ans, j’ai fait mes premiers solos d’air guitar sur Nevermind de Nirvana. Très vite, j’ai su que c’était ça que je voulais faire : enregistrer des disques, partir en tournée… J’ai été happé par cette passion, complètement monomaniaque : je dévorais les magazines musicaux, la collection de CDs de mon frère… La musique est vite devenue essentielle à mon équilibre. C’est un exutoire énorme, vital. Quand on est un peu introverti comme je peux l’être parfois, l’art permet d’extérioriser, de sortir de soi tout ce qu’on garde à l’intérieur. J’ai appris la guitare en décortiquant la discographie de Blink182, un groupe de punk-rock californien qui cartonnait à l’époque. Avec des potes de lycée qui écoutaient le même genre de musique, nous avons créé notre premier groupe, Sling69, en 2001.

Illustration de Bart Balboa

© Bart Balboa

Vous aviez 15 ans…

Et aucune expérience musicale. Dès notre première répétition, nous avons travaillé avec David Tessier, à Créazic (devenu aujourd’hui département musiques actuelles du conservatoire de Laval Agglo, N.D.L.R.). Tess a été un père pour nous, bien plus qu’un prof : il faisait partie du groupe. Il a joué un rôle déterminant dans nos vies de musiciens, en nous inculquant des valeurs qui nous guident toujours aujourd’hui : être soudés, mettre son ego dans sa poche et plutôt l’investir dans le collectif. Très vite, nous avons pu faire des concerts, nous intégrer à la scène locale… Il y avait alors à Laval une dynamique, qui est bien retombée depuis, avec des assos qui organisaient des concerts, un lieu central, le Bar des artistes, où tout le monde se croisait…
Parce qu’on avait envie de rendre la pareille aux organisateurs bénévoles, souvent musiciens, qui nous accueillaient un peu partout, nous avons programmé, ces dix dernières années, un paquet de concerts dans les bars de Laval. Mais c’est très compliqué. Il n’y a pas ici de lieu et de soutien réel pour les cultures alternatives. Nous avons créé une asso, La transmission, pour y contribuer. On aimerait pouvoir faire profiter notre ville des nombreuses expériences (clubs, squats autogérés, etc.) que nous avons découverts sur la route, dans le milieu punk do it yourself (DIY).

Ce réseau DIY, c’est avec Sling69 que vous avez mis le pied dedans ?

Du punk-rock mélodique, on a glissé vers le hardcore, en découvrant des groupes comme Comeback Kid… Il y avait une autre énergie. Ça n’était plus « on chante au sujet du soleil, du skate, etc. ». Le propos était vraiment plus violent, incisif. Tu sentais qu’il y avait un message derrière, un regard critique sur la société, dans lequel on se reconnaissait. En tournant, on a rencontré des groupes qui jouaient cette musique-là, ainsi que des labels DIY, comme Guerilla asso ou Free edge conspiracy, avec qui on a compris que l’indépendance et l’autoproduction pouvaient être un choix assumé et non subi. Leur soutien – Guerilla a sorti le premier album de Sling – nous a ouvert énormément de portes. On découvrait avec eux tout un pan de la culture qui était caché, qui apparaissait rarement dans les magazines, un réseau de lieux undergrounds qui, dans le monde entier, permettait à des groupes de jouer, voyager… On a beaucoup appris à cette période-là, on a compris qu’on était un « groupe politique » à partir du moment où on émettait une critique sociale, où l’on disait : « je ne veux pas vivre la vie de telle façon, mais comme moi je l’entends ».

Musique et politique, les liaisons sont parfois dangereuses. Qu’est-ce qui t’a porté vers ce terrain-là ?

Ma mère a toujours été investie dans le social, dans des associations… Mon grand-père était syndicaliste… Je ne pense pas qu’il faille dire aux gens quoi penser, livrer des opinions clés en main. Mais on peut faire résonner des choses chez eux. Planter une graine. Exprimer des opinions, des ressentis, plus ou moins métaphoriquement, et laisser les gens les interpréter. Le message prépondérant de la culture punk DIY, c’est : « vous voulez que les choses changent, prenez-vous en main ! Personne ne le fera à notre place, arrêtons d’attendre quoi que ce soit des autres, des politiques… » C’est le gros problème de la démocratie participative : déléguer son pouvoir à des élus, se décharger de ses responsabilités, puis ensuite se plaindre parce que rien ne bouge. Ce sont ces idées qu’on a envie de partager, à notre modeste échelle, hors du réseau punk, parfois trop cloisonné. Il ne s’agit pas de culpabiliser les gens, mais de rappeler que la politique, c’est tous les jours, dans tes choix de consommation, dans ton rapport aux autres… D’une certaine façon, Birds in row est la preuve que l’on peut par soi-même, sans tourneur, ni manageur, en dehors des circuits institutionnels et de l’industrie musicale, développer un projet, monter des tournées qui t’emmènent au Japon, aux USA, en Europe de l’Est…

Vous avez joué votre 600e concert cet été…

En 2009, lorsque nous avons fondé Birds in row – une semaine après l’arrêt de Sling69 –, l’objectif principal était de partir sur les routes. Faire uniquement de la musique, jouer un maximum et rencontrer le maximum de gens. Nous avions tous les trois le privilège de vivre chez nos parents, on pouvait se le permettre… Les gens ne savaient pas comment classer notre musique, parce qu’on brouillait les codes traditionnels du hardcore. On écoute tellement de choses différentes, du classique au grindcore, des choses mainstream comme des artistes plus confidentiels, electro, contemporains…
Votre dernier album flirte parfois avec des ambiances plus pop ou atmosphériques…
Je viens de là, du punk-rock. J’ai aussi écouté beaucoup de folk, de blues, des musiques très simples, mais qui disent beaucoup. Pas besoin d’être un virtuose pour raconter des choses qui touchent. J’aime aussi l’idée de pouvoir évoluer, ne pas rester figé dans une identité musicale… Les premières réactions, à propos de cette évolution, ont été très positives : « c’est très différent de ce que vous faites d’habitude, mais ça reste du Birds in row ». Exactement comme un tatoueur qui peut traiter n’importe quel sujet, mais dont on reconnaît toujours la patte.

Tu exerces l’activité de tatoueur depuis une dizaine d’années. Comment y es-tu venu ?

Je dessine énormément, depuis toujours. J’avais des compétences en graphisme de par mes études. Logiquement, je me suis occupé des visuels de nos albums, affiches, tee-shirts… Tout le monde est tatoué dans la scène punk. En découvrant le milieu du tattoo, j’ai compris qu’on pouvait voyager grâce à ce métier… J’ai suivi un apprentissage pendant deux ans. Il y a dans cette activité une dimension artistique, mais aussi un aspect artisanal qu’il faut maîtriser : gérer une clientèle, savoir répondre à une demande qui ne te plaît pas… Certains se font tatouer comme ils achèteraient des chaussures, ils ne se rendent pas compte de la portée du geste. Je passe beaucoup de temps à conseiller les gens, pour les amener à faire quelque chose d’intelligent, qui soit différent, personnel… Aujourd’hui, je travaille deux semaines par mois à Laval, une semaine à Paris, régulièrement à Londres, Berlin… en tâchant de trouver un équilibre avec l’activité du groupe, qui reste prioritaire.

Alors que vous avez toujours prôné l’autoproduction et le bénévolat, Birds in row aujourd’hui se professionnalise, s’entoure d’un tourneur, s’oriente vers l’intermittence… Pourquoi ce virage ?

Jusqu’à maintenant, nous contrôlions l’organisation de nos tournées et presque tous les aspects de la vie du groupe. Mais c’est très fatigant et chronophage, surtout à notre niveau actuel. Si tu veux faire évoluer ton projet, ne pas stagner, il n’y a pas vraiment d’autre solution que de s’entourer. Et puis, quand on part trois semaines en tournée, c’est trois semaines où on ne travaille pas, alors qu’on a des loyers, des factures à payer. Après neuf ans, à un moment, tu es bien obligé d’évoluer, si tu as envie de continuer : un tel investissement ne peut pas être bénévole durablement, en tout cas pas dans notre situation. Nous avons accès à des lieux de concerts qui peuvent nous rémunérer, le soutien du plus important label au monde dans notre registre musical, Deathwish records… J’y vois une reconnaissance : la possibilité de faire de ma passion mon métier, sans concession artistique. Pourquoi ne pas tenter cette nouvelle aventure ?