L’Amérique ! Entre avril et mai, pendant deux mois et demi, les Birds in row ont écumé la terre sainte du rock’n’roll : 57 concerts, de Los Angeles à Brooklyn. Entre mythe et désillusions, récit de cette équipée sauvage par Bart, chanteur-guitariste du trio lavallois, récemment signé sur le prestigieux label US Deathwish.

Il est 10h07, nous sommes le 18 mai. Nicolas Moreau m’a demandé de conter nos histoires américaines. La deadline, c’est aujourd’hui… J’ai toujours eu du mal à raconter nos tournées. Parce qu’il y a quelque chose de personnel, de presque intime : c’était ma tournée, j’ai vécu ce que j’ai vécu et je l’ai vécu pour moi et mes deux camarades de van. Ça fait deux semaines qu’on est rentrés, et qu’on y pense et parle encore. C’est peut-être tout de même le bon moment de mettre ça sur papier.
Depuis la création de Birds in row en 2009, on a donné près de 250 concerts à travers toute l’Europe. Ce groupe, on l’a créé avec l’envie oppressante de voyager et de voir autre chose que le vieux château et la place du 11 novembre. Et ce dernier voyage aux États-Unis nous a confortés dans l’idée que, parfois, on fait de bons choix.
Les USA, c’est la majeure partie de notre culture artistique : les groupes qu’on écoute viennent plus souvent de Californie que de Paris. Donc aller là-bas, c’était comme renouer avec des racines qui ne sont pas les nôtres. Je m’attendais à des courses poursuites et à ce que les voitures explosent dans tous les sens, mais finalement je crois que seuls les décors sont vrais…
Plus sérieusement, on entend toujours dire que tourner aux USA, c’est difficile. Ce pays compte un grand nombre de groupes intéressants, et de fait les Américains ont parfois tendance à l’auto-centrisme et à ne pas accorder beaucoup de place aux Européens. Ceci dit, les gens qu’on a rencontrés étaient tous intéressés par ce à quoi pouvait ressembler le milieu punk et hardcore en Europe, et parfois même se désolaient de voir si peu de groupes européens se déplacer chez eux. Nous sommes pourtant loin d’être les premiers à y aller et sûrement pas les derniers.
Les conditions de tournées aussi sont délicates : en Europe, on sait que chaque soir on aura à manger, à boire et un endroit où dormir. Là-bas, c’est débrouille-toi ! Et je dois dire que dormir sur du parquet pendant deux mois n’aide pas à rester en forme. Même s’il faut reconnaître qu’on a eu la chance de tourner avec des groupes bien installés et qui avaient déjà connu des expériences européennes. Nos conditions d’accueil étaient donc loin d’être les pires auxquelles on peut être confrontés aux USA.

31 jours, 31 concerts

23 février. Départ de Londres, avec en perspective un programme aussi chargé qu’excitant. Deux mois et demi intenses de tournée avec des groupes qui comptent parmi nos références : Git Some (de vieux briscards ayant joué dans les cultes Planes Mistaken For Stars), Touché Amoré, Defeater (l’un des groupes les plus intéressants dans la scène hardcore), sans oublier bien sûr Converge, indiscutables patrons du genre.
1er mars. Après une escale à Charlotte, North Carolina, et une semaine à Oakland, California, nous partons sur les routes en compagnie de Loma Prieta, avec qui nous avions déjà tourné en Europe cet automne. Direction la côte Est. 31 jours, 31 concerts : cette première expérience sans temps mort nous a permis de mieux cerner à quoi la scène punk peut ressembler aux USA. On jouait généralement devant 60-80 personnes, un peu comme pour nos concerts en Europe, dans des sous-sols (typiquement américain), des églises (là encore le décor était nouveau), des bars-clubs ou des squats (beaucoup plus rarement qu’en Europe). Des concerts de taille modeste donc, mais devant un public averti.
Finalement, ce qui m’a le plus marqué durant ces premières semaines, ce sont les paysages. Il faut dire qu’on a eu le temps d’en profiter pendant les plus ou moins longs trajets auxquels on avait le droit (courts pour là-bas) et le peu de communication dans le van : 8 personnes dans un camion 8 places plus le matériel et les bagages = confort limité et tensions éprouvantes (dur de faire ami-ami avec le genou du voisin dans les côtes…). Mais la découverte du nouveau monde en valait bien la peine. Ne serait-ce que pour profiter de l’architecture des villes et des kilomètres de prairies désertes et infinies du Midwest.
Marquante aussi la misère que connaît le pays le plus riche du monde. On a eu l’occasion de toucher des yeux la réalité américaine, que ce soit à Oakland et son activité politique débordante (notamment le mouvement « Occupy Oakland ») ou dans la Rust Belt, ancienne région sidérurgique où l’industrie à l’abandon a laissé derrière elle des maisons délabrées, des villes fantômes et d’innombrables victimes d’un modèle économique puant.

Je dois dire que dormir sur du parquet pendant deux mois n’aide pas à rester en forme

Mais de ce genre d’environnement ressort toujours quelque chose d’incroyable, et de beau parfois. À l’image de Braddock, Pennsylvania, où nous avons pu nous reposer quelques jours après ce premier mois de concerts. Cette ville, parfait exemple de la Rust Belt, présente la particularité d’être habitée par de nombreux jeunes, multi-propriétaires (grâce au prix de l’immobilier très bas), qui la reconstruisent maison par maison. Rencontrer quelques-unes de ces personnes, toutes issues de la scène punk, nous a permis de vérifier une impression déjà ressentie à Oakland : de cet état de délabrement est né un fort esprit communautaire. Je me rappelle avoir été surpris par le nombre de passants nous saluant dans la rue, juste parce qu’on partageait un bout de trottoir. Avec le sentiment que les gens autour de nous s’intéressaient à notre état. À aucun moment nous nous sommes sentis en danger, aussi étrange que cela puisse paraître dans le pays occidental le plus violent du monde.

 

Fumeuses de crack

Regonflés moralement, nous avons attaqué ce deuxième mois par une semaine de concerts et quatre jours à Boston (après y avoir joué deux fois en un mois), où est basé notre nouveau label, Deathwish. C’était important pour nous de mettre des visages sur l’équipe du label, mais aussi de nouer avec eux une relation autre que d’affaire. Et les nombreux repas ainsi que les deux jours que l’on a passé à participer à l’effort de guerre dans leurs bureaux ont pas mal aidé…
Ce deuxième mois fut aussi celui des péripéties et des transports en commun, à l’image de notre départ de Boston pour Philadelphie. Départ raté par la faute des gros sacs remplis de t-shirts qu’on a dû traîner dans le métro bostonien jusqu’à la station de bus où nous sommes arrivés… cinq minutes trop tard. Mais dans le train pour Philadelphie (525$), en sueur et fatigués par notre périple matinal en métro (95$), on se disait que jouer deux jours avec Converge, l’un de nos groupes cultes, devant 900 personnes, ça n’avait pas de prix. Enfin presque. Et ces deux jours à Philadephie et Brooklyn furent incroyables. Difficile de décrire ce qu’on ressent quand on a l’impression de réaliser un rêve…
À peine remis, nous rejoignions deux groupes que l’on respecte énormément musicalement, Deafeater et Touché Amoré, pour une tournée de deux semaines. Bus bus bus. Puis arrivée à Syracuse, New York, où l’on est accueillis comme des amis de longue date par ces groupes déjà croisés auparavant sur la route. 150-200 personnes par soir. Une ambiance plus que conviviale… On a profité pleinement de concerts un peu plus remplis et des nouvelles villes que nous traversions, et surtout de toutes ces discussions avec des gens qu’on ne connaissait que par leur musique quelques années auparavant. Deux semaines trop courtes… auxquelles succédait une ultime tournée sur la côte Ouest en compagnie du groupe avec qui nous avions commencé ce périple américain, Loma Prieta. On joue à Los Angeles après avoir déchargé le camion sous les yeux d’une des nombreuses fumeuses de crack de la région. Puis ensuite Riverside, Fresno, Santa Cruz… Dans le van, l’ambiance est étrange. Puis tout change. Les lourds silences se transforment en rires. Ça sent la fin de tournée. Et l’ambiance reste au beau fixe jusqu’à la dernière date, dans une salle mythique de Berkeley, le 924 Gilman St.
Le retour me permet de penser à ce tour-report, sans trouver le courage de choisir parmi les tonnes de souvenirs emmagasinés durant ce voyage. Il y a toujours trop de choses à garder pour soi, des choses indescriptibles dans ce genre d’expérience. S’il n’avait fallu écrire que quelques lignes, j’aurais sans doute résumé cette tournée ainsi : « à 14 ans, avec mon premier groupe, j’avais déjà l’envie de traverser l’Atlantique pour vivre ma passion, dans le pays qui l’alimentait le plus. J’en ai 25 aujourd’hui et je rentre chez moi après deux mois et demi de tournée avec des groupes qui comptent parmi mes références ultimes ». Essayez d’imaginer : comment vous sentiriez-vous si vous tentiez de réaliser vos rêves et que par chance, passion et conviction, vous y parveniez ?