Avide de rencontrer des collectionneurs de disques vinyles, notre discomaniaque parcourt les routes et sentiers de la Mayenne, à la recherche de « crate diggers » qui vouent aux microsillons une passion dévorante.
Premier interview de la série avec Fako, collectionneur de disques, dj et sélecteur du Positive Vibration Sound System, qui irrigue depuis déjà quelques années la Mayenne, la Sarthe ou l’Orne de ses bonnes vibes reggae-dub.
Bienvenue au pays des tunes, dubplates et autres speakers !
Je retrouve Fako chez des amis, à Louverné, où je le découvre, lui et ses acolytes du Positive Vibration Sound en pleine fabrication de ce qui semble être un énorme speaker (enceinte fabriquée maison pour le sound system). L’ambiance est détendue, et les gars ne semblent pas être à leur première fabrication. On se prend un petit caf’ dehors…
Tu es dj au sein du Positive Vibration Sound System depuis 2005. Est-ce que c’est cette activité de dj qui t’a amené à collectionner des vinyles ?
Fako : Oui effectivement, 80-90% de ce qu’on joue en sound system est sur vinyle, le reste c’est du cd. Ma préférence va nettement aux disques vinyles. Pour l’objet en lui-même, c’est un support plein de vie, et qui prend tout son sens quand tu joues de la musique en sound system. Un vrai soundman joue du vinyle. Le son est plus puissant, plus fort, plus dynamique… L’idée, c’est d’être fidèle au son de l’époque où est sorti le disque. Jouer sur cd un titre enregistré en analogique et conçu pour le vinyle, c’est dommage…
Il y a aussi énormément de choses qui sont sorties en vinyles que l’on ne retrouve pas en cd ! Ce qu’on diffuse sur cd, ce sera plus des dubplates qu’on ne trouve que sur ce support.
J’ai commencé à participer aux soirées du Positive vibration sound en 2002, mais c’est vraiment à partir de 2005 que le déclic s’est fait. J’ai participé en tant que spectateur au festival Jah Sound (aujourd’hui devenu le Garance reggae festival), et là j’ai découvert la dimension que pouvait prendre la musique lorsqu’elle était diffusée via un vrai sound system. C’est une vraie expérience. Tu ressens la musique, et notamment les basses, de façon physique… Tu es obligé de danser (rires). J’en suis revenu complètement transcendé, avec l’envie de reproduire la même chose ici.
Aujourd’hui, on dispose de notre propre sound-system, avec des speakers qu’on a fabriqué nous-mêmes – nous sommes tous menuisiers de formation, ça aide ! C’est un gros investissement en temps et en argent, mais le son n’a tellement rien à voir ! L’idée, c’est d’avoir un son qui ne ressemble à aucun autre sound system. La réputation et l’identité d’un sound system repose sur la qualité de sa sono et sa sélection de disques.
Comment vous procurez-vous les disques que vous jouez avec le Positive Vibration Sound System ? J’imagine que vous allez fouiller les bacs des brocantes ?
Non non ! Je ne te dis pas qu’on ne l’a pas fait, mais avec Internet, c’est bien plus facile de se procurer les disques que l’on cherche. Avec Discogs, par exemple, ou bien directement sur les sites des labels. Et puis il y a énormément de collectionneurs, qui échangent, vendent… Par exemple, dans le sud de la France où j’ai vécu quelques années, j’ai pu rencontrer des gens hyper pointus, des personnes qui ont des collections absolument fantastiques ! Avec des pièces d’une telle rareté !
J’imagine qu’Internet a fait grimper le prix des vinyles, non ?
Les labels jamaïcains ou autres qui pressaient du vinyle à l’époque n’avaient pas forcément de gros moyens, ils sortaient des pressages de 200-300 disques. Du coup maintenant, certains disques atteignent une telle rareté qu’il est difficile, voire impossible de se les procurer. Avec Internet, l’information sur les disques circule beaucoup plus facilement. Alors qu’avant, une infime partie savait que tel ou tel disque existait… Et comme ces choses sont rares, et que tout le monde les veut, les prix grimpent forcément ! La notoriété d’un artiste rentre en compte aussi ! Malheureusement, John Holt est décédé récemment, et bien sûr, le prix de toutes ses tunes (« titre » en anglais, ndlr) va grimper en flèche… Pour parler de la production actuelle, il y a en ce moment beaucoup de sound systems anglais qui passent du son français, comme Kanka, O.B.F., Stand High Patrol, Blackboard Jungle, Legal Shot… Il y a plein d’artistes français qui cartonnent, c’est vraiment émergent, et tout ça sort en vinyle ! Certes, il y a beaucoup de rééditions, mais il y a aussi des choses qui sortent aujourd’hui et qu’on diffuse en sound system. On ne se cantonne pas uniquement à la production des années 60, 70, 80 !
Collector ou nouveauté, au-delà de l’objet et la collection, ce qui t’intéresse s’est d’abord la musique…
Oui ! En premier lieu le reggae, le dub, bien sûr. Mais aussi tout ce qui est bon, et que j’aime à coté : soul, techno ou rock… Je m’y remets en ce moment d’ailleurs, ça faisait une éternité ! Et puis, le sound system, c’est la danse ! À la base, on est au service des danseurs. L’objectif, c’est d’emmener les gens danser, que l’on passe des disques collectors ou pas, ça n’est pas l’essentiel !
À combien de disques estimes-tu ta collection ?
À vrai dire, je n’ai pas vraiment de collection, mais c’est plutôt la collection du Positive Vibration Sound ! Chacun achète, échange, on se retrouve parfois avec des disques en double, cela nous permet au moins d’en garder un pour le sound system, et puis l’autre, on peut le vendre ou l’échanger pour obtenir une autre galette. Je pense qu’au total, on doit avoisiner les 2500 disques, 45 tours et 33 tours compris. Toute la collection n’est pas réunie au même endroit (il ouvre une boîte remplie de centaines de 45 tours), tu vois ici par exemple c’est que du roots…
Perso, plus je vieillis, moins j’ai de disques. Je me suis détaché de près deux tiers de mes disques. Pour pouvoir acheter des disques plus chers, des collectors mais surtout parce que je ne veux plus avoir de disques qui dorment dans ma collection. Je veux que n’importe quel disque sur lequel je tombe en fermant les yeux déboîte ! Il y a des disques que j’aimais bien, mais que je n’arrivais jamais à placer en sound system. Pourquoi les garder ? Les disques sont faits pour être joué, pour vivre…
Bon après, tu nous donnerais les moyens, on s’achèterait bien plus de disques (rires) !
Si tu devais ne garder qu’un disque sur l’ensemble de ta collection, ce serait lequel ?
Difficile, mais je pense notamment au lp de Dennis Brown, Words of Wisdom, c’est un tel classique ! Il y aurait aussi l’album de Bob Marley, Uprising, parce que c’est un disque lié à des souvenirs, à mon enfance et mon adolescence. C’est un disque qui me suit. Et puis pour finir, certainement encore un album assez roots, un Jacob Miller par exemple, mais lequel ? Il y a tellement de bons disques…
Une petite anecdote sur un disque ? J’imagine que tu dois en avoir quelques-unes ?
(rires) Oui ! Il y a par exemple cette histoire qui m’est arrivée récemment… Je cherchais un disque collector depuis un moment, et comme par hasard le jour de mon anniversaire, je trouve ce collector d’Eric Donalson, Do It Now. Évidemment, je me dis : « hop, je l’achète, depuis le temps ! Bon, il a une certaine valeur (compter environ 100 €, NDLR), mais hey, quand même : c’est mon anniversaire, c’est un collector, et ça fait des années que je le veux ! » Mais ma copine n’est pas d’accord. J’ai beau insister. Rien à faire. Au bout du compte, elle finira par m’avouer qu’elle l’avait déjà acheté pour mon anniversaire ! (rires). C’était vraiment un disque rare, que tu ne vois pas dans le commerce. Mais qui passe de mains en mains, de collection en collection, ça ne passe jamais par le net !
Avant que je ne laisse Fako et ses acolytes reprendre leurs activités de bricolage, le trio insiste : « tout ça, le sound system, les disques, il faut que ça reste un plaisir. Il ne faut jamais se forcer à faire les choses ». J’ai comme l’impression que le plaisir, ils l’ont trouvé ! Que ce soit avec leur sound system, et les précieuses « tunes », amassées au fil des années, des rencontres, des échanges, etc. Le plaisir aussi de partager la musique, pas seulement pour la collection ou la possession d’un disque.
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