Frank : Wim et moi avons fondé De Kift en 1989. Avant ça, on jouait dans des groupes punk en Hollande. Lorsqu’on a monté De Kift, on a décidé dès le départ de chanter en hollandais. Nous savions qu’on allait jouer principalement aux Pays-Bas, on voulait avoir un contact le plus direct possible avec le public.
Wim : la quasi-totalité des groupes hollandais chante en anglais. C’est très étrange, mais c’est comme ça depuis des années, depuis les Beatles, l’arrivée de la pop anglaise aux Pays-Bas. Beaucoup de Hollandais considèrent que leur langue est trop difficile à chanter…
Ferry : Je pense que les groupes en Hollande chantent en anglais parce qu’ils peuvent se cacher derrière cette langue qui n’est pas la leur. C’est une façon indirecte de s’adresser aux gens. C’est facile, sans danger… Au contraire, je crois que tout le monde doit pouvoir comprendre ce que vous dites lorsque vous ouvrez la bouche. Du coup, ça a été très difficile de trouver un chanteur qui écrive et chante en Hollandais. Mais on a fini par le trouver (rires)!

Quelles étaient vos influences musicales à l’époque ?

Wim : on écoutait et on écoute toujours beaucoup de choses, mais on n’a jamais essayé de copier ou d’imiter qui que ce soit. On ne voulait pas faire de rock ou de jazz, on voulait faire quelque chose de nouveau, créer notre musique.
Ferry : notre premier album était encore très punk. Il est différent des autres albums. Tous nos disques après celui-là ont une identité musicale proche, un fil rouge qui les relient. Mais le premier disque est à part, ça sonne un peu comme une rencontre entre Gang of Four, Wire… et une batterie fanfare. On a été l’un des premiers groupes en Hollande à utiliser des instruments à vent comme le tuba, le trombone ou la trompette… Je jouais dans une fanfare quand j’étais adolescent. À l’époque je trouvais ça un peu ringard, mais après quelques années, j’ai réalisé à quel point j’aimais ça. Les fanfares réunissent des personnes d’âges et de catégories sociales différentes. Tu vas y trouver un docteur, un ouvrier… Le niveau nécessaire pour débuter est très bas, donc tout le monde peut participer. Cela permet à des jeunes enfants de jouer avec des adultes et d’apprendre la musique comme ça, sans passer par une école.

On retrouve cet esprit dans De Kift, où plusieurs générations sont réunies ?

Wim : Oui ça surprend d’ailleurs beaucoup de gens qu’un fils et son père jouent sur la même scène. Mais ça n’était pas quelque chose de prémédité ou de planifié. C’est venu naturellement avec l’évolution du groupe.
Frank : pour nous, c’est très normal. D’ailleurs dans les musiques traditionnelles, c’est très courant. C’est surtout rare pour le rock…

Lorsque votre premier chanteur a quitté le groupe, c’est toi, Ferry, qui l’a remplacé. Comment cela s’est-il passé ?

Ferry : Après le premier album, le chanteur et le bassiste ont quitté le groupe. Ils ont décidé de prendre d’autres directions. Ils ne voulaient pas être musiciens professionnels. D’une certaine façon, ça a été une bonne chose pour nous. Nous avons dû trouver une autre voie pour nous exprimer. Il nous a fallu quelques années pour trouver la solution. Depuis, nous allons chercher nos textes dans la littérature du monde entier…

Qu’est-ce qui détermine le choix des textes ?

Ferry : Au début, je puisais dans mes auteurs favoris. Aujourd’hui, on décide d’abord du thème de l’album à venir. Puis en fonction de ça, je vais à la bibliothèque et je commence à lire dans cette direction, pour trouver des textes en rapport avec ce thème. Par exemple, le prochain disque sera basé sur la poésie russe. Ce sera une sorte de prolongement de notre dernier album Vier Voor Vier qui reprend un pièce russe de 1928. C’était un opéra classique qu’on a adapté sur la proposition d’un chanteur d’opéra, très réputé en Hollande. On a accepté ce projet parce qu’on avait envie de voir ce qui pouvait arriver lorsque la musique de De Kift rencontrait un opéra classique (rires). Les thèmes de nos albums sont très différents les uns des autres… On ne s’impose rien. Au contraire, on aime tenter des choses que l’on a jamais faites. Le monde entier est ouvert, tout est possible et passionnant si on se penche un minimum dessus…

Vos chansons dépassent largement le cadre classique « couplets/refrain », vous racontez davantage des histoires. On évoque souvent le coté très théâtral de vos concerts…

Frank : oui, beaucoup de gens disent ça. Mais ça ne correspond pas à une volonté ou à un calcul. Nous n’y avons jamais vraiment pensé… Ça n’est pas dans notre nature de réfléchir à comment doivent être les choses. On fait ce que nous dicte notre intuition, les gens disent ensuite que c’est théâtral. Très bien ! Mais, je trouve que c’est un peu vite dit. Cela paraît normal à tout le monde que des musiciens puissent jouer et chanter des textes sans regarder le public, sans communiquer. Mais pour nous, c’est impossible. Nous voulons communiquer avec les gens. On ne veut pas seulement être des musiciens coincés derrière leurs instruments, on veut pouvoir dire des choses en s’adressant directement au public… Si ça, c’est du théâtre, alors ok on fait du théâtre. Mais nous ne voulons pas jouer dans les théâtres, on aime jouer dans les salles de concerts, les clubs de rock…

Vous voulez qu’il y ait un échange direct avec le public ?

Frank : Oui, parfois c’est difficile parce qu’il y a beaucoup de personnes et la scène crée une distance naturelle. On préfère les petits lieux où le public est proche de nous aux grandes salles. On veut pouvoir parler aux gens et entendre leurs réactions.
Ferry : C’est important d’enregistrer des disques, de créer et de jouer une musique aussi belle que possible, mais le plus important pour nous c’est de faire des concerts qui donnent de l’énergie, de jouer pour les gens…
Wim : C’est très important que vous nous compreniez. Maintenant nous chantons beaucoup de chansons en français. C’est très difficile, mais c’est nécessaire pour nous. Nous ne pouvons pas chanter devant des gens et savoir que personne ne comprend ce qu’on raconte.

Une dernière question au sujet de vos disques, vous semblez accorder beaucoup d’importance à leur aspect extérieur ?

Wim : Oui, nous faisons nous-mêmes nos disques, à la main… C’est beaucoup de travail, mais c’est très important pour nous. La musique et le support qui la contient forment un tout. C’est totalement lié. Je ne comprends qu’on puisse mettre toute son énergie à créer une musique aussi belle que possible et qu’on néglige son aspect extérieur. Pour nous, c’est impensable…