Cette prof de français a hésité entre le théâtre et l’enseignement. Aujourd’hui, elle se bat pour que la culture ait toute sa place dans les établissements scolaires, notamment via l’association Amlet qui rapproche école et théâtre depuis 30 ans.

Quand est née votre passion pour le théâtre ?

En classe de 5e, à Plancoët, en Bretagne. Des amies m’avaient parlé d’un club-théâtre. Je pensais que c’était trop intello pour moi, mais je me suis quand même présentée. J’y suis retournée, sans que ça me plaise tant que ça au début. C’était beaucoup d’improvisation et je n’étais pas à l’aise. Un jour, on nous a distribué un texte. Et là, ça a été LA révélation ! Je l’ai appris en quelques heures. Je devais jouer un personnage en colère. Moi qui étais assez réservée, ça m’a fait un bien fou ! J’avais l’impression que je pouvais tout exprimer. J’éprouvais un réel sentiment de liberté ! Depuis, je n’ai jamais arrêté le théâtre.

Vous avez pensé en faire votre profession ?

Au lycée, grâce à l’option théâtre que je suivais, je suis allée voir plusieurs spectacles au TNB, à Rennes. J’en garde des souvenirs incroyables. Je me sentais dans mon élément, à ma place ! Après un bac scientifique, je me suis orientée vers des études littéraires. Pour mes parents, la priorité, c’était l’école… Le milieu artistique les effrayait un peu. Ma mère était postière, mon père prof d’économie. Une fois ma licence en poche, et devant mon intérêt toujours aussi grand pour le théâtre, ils ont accepté que je parte à Paris tenter l’expérience du Cours Florent.

Et là, ça a été un peu la douche froide…

J’ai été très déçue par l’école. Nous étions nombreux, et ­l’enseignement n’était pas aussi exigeant que je l’avais imaginé. En même temps, cette année a été très enrichissante. Je suis beaucoup allée au spectacle. J’ai découvert le théâtre contemporain, ­Valère ­Novarina, un auteur que j’adore. Mais j’ai aussi découvert la course aux castings, la compétition, féroce, pour obtenir des rôles souvent sans intérêt. Je n’étais pas prête à me battre pour ça. En parallèle, je donnais des cours de soutien scolaire. Quand j’ai abandonné l’idée de devenir comédienne professionnelle, je me suis dit : « Pourquoi pas l’enseignement ? ». Le métier de prof me permettrait de continuer le théâtre…

L’enseignement, ce sera aussi une révélation pour vous…

Je m’inscris en master, à la ­Sorbonne, tout en poursuivant le théâtre au Lucernaire, une école semi-professionnelle à Paris. L’année du Capes (diplôme requis pour enseigner dans un établissement public, ndlr), je fais un stage dans un établissement difficile, Porte de Clignancourt. Quand je vois l’enseignant, ­assis sur une table pendant tout son cours, lire à haute voix Les ­Misérables devant un auditoire captivé, je me dis : « C’est ça que je veux faire ! Ma place est là, auprès d’élèves qui n’ont pas forcément les mêmes chances de réussite scolaire que ceux des quartiers plus favorisés ». Comme pour le théâtre, j’ai une sorte de coup de foudre. Le prof avait une relation incroyable avec ses élèves. Il avait leur confiance et on sentait qu’il les aimait !

 

marie-leon_atelier theatre © Florian Renault

Avec les élèves de la classe théâtre du collège Alain-Gerbault. © Florian Renault

Cela a été un choix délibéré de travailler dans des quartiers dits « sensibles » ?

J’aimais la littérature, mais plus qu’entrer dans le détail des œuvres littéraires, je voulais « faire de l’humain », ouvrir les élèves aux arts, au théâtre, à l’opéra… Aujourd’hui encore, je me sens davantage pédagogue que professeur de français. Je fais un métier passionnant, qui demande beaucoup d’écoute, nécessite d’apprendre le langage de chacun. Si demain je gagnais au loto, je ne changerais rien. Je suis bien là où je suis !
Assez vite, je suis nommée dans un établissement classé REP + (réseau d’éducation prioritaire renforcé) à Saint-Nazaire. Là, je continue le théâtre, en amateur et au collège, dans mes cours. Lors d’un stage, je rencontre une prof de philo formidable qui me fait découvrir le théâtre-éducation. Elle fait partie de l’association Comete – la jumelle d’Amlet, dans le 44 – qui réunit des enseignants passionnés de théâtre et des comédiens, les fait travailler ensemble, et permet aux élèves d’accéder à un apprentissage de qualité. Moi qui passais mon temps à bricoler toute seule pour monter des projets, j’allais pouvoir faire intervenir des artistes professionnels dans mes cours ! Quelque temps plus tard, j’envisage l’idée d’ouvrir une classe à horaires aménagés théâtre.

C’est finalement au collège Alain-Gerbault, à Laval, que vous l’avez créée.

Entre-temps, j’ai rencontré un Mayennais et je l’ai suivi ! Dès ma première année à Laval, je mets en place un atelier de pratique théâtrale au collège. Après quelques mois, j’évoque ce projet de classe à horaires aménagés avec mon chef d’établissement. Il me donne son feu vert. Monter un tel dispositif est un boulot énorme, d’autant que les textes officiels sont assez flous. En partenariat avec le conservatoire de Laval agglo, il s’agit de mettre sur pied, dès la 6e, une classe dans laquelle les élèves bénéficient d’un enseignement du théâtre, non seulement pratique, mais aussi théorique. Le projet voit le jour à la rentrée 2016, avec une première promotion de 20 élèves, dont la plupart n’a aucune expérience du théâtre.

Votre but est-il de former de futurs comédiens ?

Non, pas du tout. Certains poursuivront l’aventure au lycée dans une option théâtre, d’autres non. Mais, pour tous, la classe à horaires aménagés représente un investissement conséquent : ils ont quatre heures d’enseignement supplémentaires chaque semaine, sans compter les répétitions, les spectacles auxquels ils assistent, ceux qu’ils donnent… Tous disent que cette aventure leur apporte de l’assurance, de la confiance en eux, qu’ils osent s’adresser à un adulte, prendre la parole dans un groupe. Je suis toujours émue par leur présentation orale : la voix est posée, le corps ancré, il y a quelque chose de plus assumé.

Quand avez-vous rejoint Amlet ?

Dès mon arrivée en ­Mayenne, sur les conseils d’un membre de Comete, je contacte ­Dany ­Porché, la co-fondatrice d’Amlet. Elle est chaleureuse, me convie à l’AG de son association. Là, un appel à volontaires est lancé pour intégrer le conseil d’administration. Je lève la main. J’ai tout de suite eu envie de rejoindre cette famille de passionnés. Et puis, avec Dany, nous partageons beaucoup de points communs : le théâtre, bien sûr, et un attachement très fort à l’éducation populaire.

« La culture à l’école est une nécessité et non un luxe, car elle construit le citoyen de demain. »

L’association, qui fête ses 30 ans et que vous présidez désormais, est devenue incontournable dans le paysage culturel mayennais. Si vous deviez la présenter ?

Amlet crée du lien entre l’école et le théâtre, de la maternelle au lycée, sur l’ensemble du département. Elle aide les enseignants à faire du théâtre de qualité avec leurs élèves, met à leur disposition un réseau d’artistes, de répertoires, de lieux où aller voir du théâtre et leur propose aussi des formations. Deux temps forts sont organisés chaque année : le Printemps théâtral d’abord, ce sont des rencontres scolaires faisant se croiser des ateliers théâtre de plusieurs établissements. Le tout dans un lieu de spectacle, avec des heures de pratique encadrées par des comédiens, un temps de présentation des élèves et un spectacle professionnel en clôture. Avec le festival Les jeunes lisent du théâtre, que l’on a créé il y a six ans, il s’agit de faire découvrir aux élèves des textes contemporains inédits et de rencontrer leurs auteurs. L’année prochaine, il se déroulera sur trois jours, avec des lectures, rencontres, discussions autour du théâtre pour la jeunesse, qui est protéiforme et créatif.

Ces dernières années, l’activité d’Amlet s’est étoffée…

Oui, les chiffres parlent d’eux-mêmes ! En 2019, huit Printemps théâtraux ont été proposés à près de 700 élèves. Tandis que près de 1 000 scolaires ont participé au concours Les jeunes lisent du théâtre. Enfin, on est passé d’une seule formation pour adultes – enseignants et artistes – à quatre aujourd’hui. Environ 60 ­enseignants en ont bénéficié l’année dernière. Et une trentaine de comédiens professionnels travaille chaque année pour Amlet.

Au cours de l’été, Amlet a signé le Manifeste du ­19 juin relatif à la place du spectacle vivant à l’école. La crise rend-elle nécessaire un plan d’envergure pour l’éducation artistique en milieu scolaire ?

C’est plus que jamais fondamental de rappeler qu’apporter la culture à l’école est une nécessité et non un luxe, car elle construit le citoyen de demain. C’est d’autant plus important dans la crise sanitaire et politique que nous traversons. Amlet s’est engagée pour la sauvegarde des options artistiques dans le nouveau bac. Elles sont aujourd’hui menacées.

Comment appréhendez-vous cette rentrée ? Le contexte est pour le moins particulier…

Je me dis qu’il va falloir faire preuve d’imagination et de patience, mais je reste optimiste. Je travaille avec des comédiens inventifs, ils vont trouver des astuces. Ils l’ont déjà montré, lors du confinement. Cela nous a permis de conserver le lien avec nos élèves. Si on doit porter le masque plusieurs mois, nous insisterons sur l’expressivité du regard, du corps… J’espère surtout qu’on pourra de nouveau emmener les élèves au théâtre !

Trouvez-vous encore le temps de faire du théâtre à titre personnel ?

Il y a trois ans, avec des amis, j’ai créé ma compagnie, Avec des si. En mars dernier, nous avons joué à Laval Stand de tir, d’­Israël ­Horovitz. Un texte qui évoque les maltraitances faites aux femmes. Plusieurs autres dates étaient prévues, qu’on espère pouvoir reporter… Le théâtre répond à un besoin vital pour moi, c’est mon oxygène !