Virage numérique, politique partenariale, diversification… Malgré quelques fragilités, notamment en milieu rural, les cinémas du 5.3 ont su muer, et affichent aujourd’hui une belle dynamique, catalysée par Atmosphères 53. Gros plan.

« Dix cinémas à l’échelle d’un territoire comme la Mayenne, c’est beaucoup ! D’autant que nous avons la chance de bénéficier d’un excellent maillage. » Pour Antoine Licoine, chargé de programmation et d’animation au sein de l’association Atmosphères 53, acteur pivot du cinéma en Mayenne, l’offre proposée sur l’ensemble du département est plutôt satisfaisante. Et la qualité au rendez-vous. « Chaque salle est équipée aux normes actuelles, et quasiment toutes sont classées art et essai. » Arrivé dans le 53 il y a deux ans, ce spécialiste du 7e art, qui possède une solide expérience dans le domaine de l’exploitation de salle, se félicite de la richesse de ce réseau. Même si Laval, avec le multiplexe Cinéville, fait figure de mastodonte – ses 9 salles ont enregistré à elles seules 454 300 entrées en 2017 – le cinéma est bien présent dans tout le département, y compris dans de toutes petites communes. « Les Mayennais sont très attachés à leurs salles. »
De statut privé, associatif ou municipal, ces équipements sont toujours le fruit d’une histoire locale particulière. Issus du patronage, des mouvements d’éducation populaire ou de la volonté d’une poignée de cinéphiles, ils ont pour point commun d’être, aujourd’hui encore, animés par des passionnés. « Ils tiennent souvent grâce à un petit noyau, souvent vieillissant. Et leur équilibre, dans le cas des cinés associatifs notamment, reste fragile. »
En Mayenne, près d’une salle sur deux est gérée par une association. C’est le cas du Trianon, au Bourgneuf-la-Forêt, qui fonctionne grâce à une trentaine de bénévoles très investis. Formés aussi bien à la technique qu’à l’accueil du public, ils font tourner la salle au moins trois jours par semaine. Pour apporter du sang neuf à l’équipe, une commission « jeunes » a été créée en 2016. Ses membres se sont vus confier une partie de la programmation afin que le cinéma continue d’intéresser les moins de 25 ans. Et ça marche ! Les 7, 8 et 9 mars prochains, le Trianon accueillera la première édition de Festi-jeune, festival de cinéma dédié à la jeunesse. Cinq films et une soirée ciné-concert avec Archimède sont annoncés.

Cinéma coopératif

À Mayenne, Le Vox, qui a rouvert ses portes fin 2017 après 15 mois de travaux, a opté pour un nouveau mode de gestion, plutôt innovant, en remplacement de la délégation de service public arrivée à échéance en 2016. À l’initiative de Mayenne Communauté – la communauté de communes, propriétaire des murs –, une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) a été créée. Elle regroupe les porteurs du projet, les salariés du cinéma, des partenaires et usagers ainsi que la collectivité Mayenne Communauté. Son ambition : élaborer de manière collégiale une offre culturelle et pédagogique ambitieuse, capable de satisfaire un large public.
À Gorron, c’est la municipalité qui gère le cinéma, même si Atmosphères 53 a pris sous son aile la programmation des films. Depuis novembre 2016, à Évron, la communauté de communes des Coëvrons a confié la gérance du cinéma Yves-Robert à Atmosphères 53, qui a créé la société Cinéthique afin de remplir cette mission.

Un endroit plus politique

Quels que soient leur statut et leur mode de gestion, les salles du département sont accompagnées, d’une manière ou d’une autre, par les pouvoirs publics. « En Mayenne, le cinéma bénéficie d’un vrai soutien des collectivités locales », souligne Antoine Licoine. « Sans leur aide, beaucoup de salles auraient disparu au cours de ces dernières années. » D’autant que toutes ont dû abandonner la bobine pour franchir le cap de la projection numérique. Un investissement nécessaire et une petite révolution, facilitée notamment par l’aide du conseil départemental, qui soutient aussi activement Atmosphères 53. Conscients de l’impact culturel mais aussi économique que génère une salle de cinéma dans une commune rurale ou dans un centre-ville, les élus sont particulièrement attentifs à ce type d’équipement. Disposer d’une salle contribue significativement à la vitalité et l’attractivité d’un territoire. « On voit bien comment la fermeture du Vox pendant plus d’un an a impacté négativement l’activité du centre-ville de Mayenne. Ce sont près de 80 000 personnes qui transitent dans le centre, sont susceptibles d’aller boire un café ou faire une course au passage. »
Au-delà de l’aspect purement comptable, ces salles sont aussi créatrices de lien social. « Autrefois, le cinéma était un lieu de rencontre et de divertissement. Aujourd’hui, il est propice à la discussion, à l’échange, au débat. C’est un endroit plus politique », analyse Antoine. Dans leur programmation, les salles ne se contentent plus de projeter les films. Elles proposent aussi des moments d’échanges, de rencontres. « Un peu dans l’esprit ciné-club des années 50. » Quand les lumières se rallument, en présence du réalisateur ou d’un intervenant spécialiste du sujet abordé, le public est invité à débattre. À Mayenne, le tout nouveau Vox a récemment inauguré des séances ciné-citoyens, en collaboration avec L’Épicerie coopérative de Fontaine-Daniel, elle aussi impliquée dans la SCIC qui gère le cinéma. Autour de documentaires, ces rendez-vous mensuels permettent d’aborder des sujets de société : l’avenir des paysans, le sucre dans l’alimentation, les langues régionales…
À Évron, de nombreux partenariats se mettent en place autour du cinéma Yves-Robert. « Une convention lie le cinéma au Trait d’union, le centre social local, très actif sur le secteur », rapporte encore Antoine. Tout comme à Château-Gontier et à Gorron, des ciné-goûters bio sont ainsi proposés aux tout-petits, en partenariat avec une épicerie proche. Une réelle volonté de travailler avec différents acteurs du territoire se dessine : écoles, entreprises, associations… Au-delà de la seule sphère culturelle, le cinéma fédère, rassemble.

 

Un autre cinéma ?

Promouvoir le cinéma, telle est la mission d’Atmosphères 53. Depuis 1995, son action s’inscrit dans un projet culturel élaboré à l’échelle de la Mayenne. En intervenant sur l’ensemble du territoire, l’association joue un rôle essentiel auprès de toutes les salles, quelle que soit leur taille. Elle y défend des films, organise des rencontres, anime des dispositifs d’éducation à l’image, l’un de ses principaux chevaux de bataille.
Très vite après sa création en 1989 – par un groupe de cinéphiles mobilisés pour défendre le cinéma de Mayenne alors menacé de fermeture –, l’association s’est en effet attelée à ce vaste chantier : faire entrer le cinéma dans les programmes scolaires. Aujourd’hui, Atmosphères 53 coordonne, en lien étroit avec les cinémas, les dispositifs ciné-enfants, collège au cinéma, ciné-lycéens et accompagne les options cinéma des établissements du département.
Les festivals qu’elle met sur pied – Reflets du cinéma, Rencontres cinéma et santé, Festival du film judiciaire de Laval – permettent aussi de toucher des publics très divers. Chaque année, les projections qu’elle organise enregistrent au total 60 000 entrées.
À Laval, l’association collabore de manière régulière avec le Cinéville. « Le multiplexe nous accueille pour des séances-rencontres », explique Antoine Licoine. Le cinéma ouvre aussi ses portes à Atmosphères 53 à chacun de ses festivals. À l’occasion des Reflets du cinéma, l’établissement dédie une salle à la manifestation. « Cela représente environ 50 séances sur les 170 que nous proposons dans le département. »
En marge d’une programmation « grand public », le multiplexe propose aussi des films d’auteur, des séances ciné-club mensuelles, des rencontres-débats…. Classé art et essai, l’établissement bénéficie des trois labels « jeune public », « recherche et découverte » (pour les œuvres plus expérimentales) et « répertoire » (pour les films sortis avant 1970). Pour autant, la question de la diversité de l’offre cinématographique, et in fine, de la création d’une nouvelle salle de cinéma à Laval, est régulièrement posée. « Sans remettre en cause l’action du Cinéville, qui fait très bien son travail, nous faisons le constat qu’il y a nécessité à proposer une offre plus diversifiée sur Laval et son agglo, pour mieux répondre aux demandes formulées par les habitants eux-mêmes », reconnaît Didier Pillon, adjoint au maire de Laval chargé de la culture. Ancien président d’Atmosphères 53 et bon connaisseur du dossier, l’élu rappelle que le sujet ne date pas d’hier. « Dans sa programmation initiale, le projet de pôle culturel envisagé dans le bâtiment du Crédit foncier intégrait une salle de cinéma ». Une option qui n’a pu aboutir, le projet du conservatoire « investissant » l’ensemble des espaces disponibles du bâtiment. « Le sujet nous tient à cœur, mais la ville a déjà engagé plusieurs chantiers importants en matière culturelle. C’est une question de phasage des projets, qui ne peuvent pas tous être menés de front. »

Avenir radieux

À l’heure de la multiplication des écrans domestiques, du home cinéma et du streaming, on peut se demander pourquoi les salles obscures continuent de faire le plein. « Parce que le cinéma, c’est d’abord une expérience partagée, un lieu où on aime se réunir pour découvrir une œuvre », estime Antoine Licoine. « On est ancré dans le film, directement connecté. » Et malgré tous les équipements, même les plus sophistiqués, dont on peut bénéficier chez soi, la salle de cinéma offre autre chose. « Elle reste un lieu de culture ou de divertissement très important dans l’imaginaire collectif, toutes générations confondues. »
Le cinéma a donc encore de beaux jours devant lui ? « Il suffit de passer devant une salle le mercredi de sortie de Star Wars pour constater que les jeunes s’y rendent en masse. De manière spontanée, ils n’ont pas forcément envie d’aller voir des œuvres estampillées art et essai, qui peuvent leur renvoyer l’image du cinéma de leurs parents… Mais le cinéma est pour eux une occasion de sortie. Sur les réseaux sociaux, par exemple, beaucoup ont manifesté leur impatience de voir rouvrir le Vox, à Mayenne ! »
Confiant, Antoine envisage l’avenir avec optimisme. « Plus les jeunes vont voir des films, plus ils auront envie d’en découvrir de nouveaux. Et c’est là que notre travail d’éducation à l’image prend tout son sens. C’est à nous de leur faire découvrir toute la richesse du cinéma ! »

Dispositif exemplaire
Si la création cinématographique reste une industrie florissante en France, c’est notamment grâce à son mode de financement unique au monde : sur chaque ticket vendu, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) prélève 10,72 % au titre de la taxe sur les entrées (TSA). Cette manne – au niveau national, la fréquentation des cinémas en 2017 avoisinait tout de même les 210 millions d’entrées ! – est réinjectée sous forme de subventions art et essai et d’aides à l’écriture, à la réalisation, à la production et à la diffusion. « Ce dispositif, très vertueux, permet d’avoir autant de films présentés en salle », souligne Antoine Licoine d’Atmosphères 53. « Il n’est pas question d’opposer les différents types de cinéma. Ils sont complémentaires : les superproductions, qui font énormément d’entrées, permettent ainsi aux films art et essai d’exister ! »
À voir
Festival Reflets du cinéma indien et d’ailleurs. Du 16 au 27 mars 2018, dans tout le département.

 

Article paru dans le dossier « cinéma, cinémas » du numéro 62 du magazine Tranzistor.