Du camping adapté au chansigne, Au Foin de la Rue a fait de l’accès pour tous son cheval de bataille. Un exemple pour de nombreux festivals en Mayenne, souvent accompagnés dans cette démarche par Quest’Handi, une association unique en son genre.

Et si l’espace d’un instant, on s’imaginait en fauteuil roulant ? On entrevoit alors notre parcours du combattant si l’on souhaitait profiter, comme tout un chacun, des joies d’un festival. Mettons que l’on parvienne à s’extraire de l’habituel parking en mode champ de bosses, resterait encore à parcourir 1 ou 2 kilomètres de chemin plus ou moins praticable pour rejoindre le site du festival. Tout cela pour se contenter d’apercevoir, entre deux dos, les artistes qu’on entend jouer là-bas au loin sur scène…
À moins d’être équipé d’un fauteuil « 4×4 » comme celui de Jérôme Hamet, adieu donc joies festivalières et autres concerts ! Atteint d’une sclérose en plaques qui l’oblige à se déplacer en fauteuil depuis 10 ans, ce festivalier assidu tranche, sans appel : « Beaucoup de festivals restent encore inaccessibles. On n’ose même pas s’y aventurer. »
Tous les ans, le Mayennais fait « les deux jours » Au Foin de la Rue. Pour lui, le festival de Saint-Denis-de-Gastines est « très en avance sur les questions d’accessibilité. Il y a un parking pour les personnes à mobilité réduite (PMR), une navette entre le parking et le site, des bornes de rechargement pour les fauteuils électriques… On est pris en charge de A à Z. »
À l’origine de la commission accessibilité du festival, Régis Brault savoure ces retours élogieux, et mesure le chemin parcouru depuis 2010. À l’époque, Au Foin ne propose aucune adaptation spécifique aux problématiques de handicap. Derrière son air débonnaire, le quarantenaire cache la force tranquille d’un bulldozer. Très vite, autour de lui se constitue une équipe de bénévoles convaincus, qui bientôt bénéficient de l’expertise des membres de Quest’Handi.
À sa création en 2008, cette asso lavalloise réunit des animateurs de séjours adaptés, qui désespèrent de pouvoir faire goûter l’ambiance d’un festival à leurs vacanciers. Face à ce constat, ils organisent alors un « festival accessible ». Objectif : montrer, par l’exemple, qu’avec des moyens modestes et un peu de volonté, on peut adapter simplement sa manifestation aux personnes en situation de handicap.

Bénévoles sourds

Après cette première expérience concluante mais lourde à porter, Quest’Handi décide de se concentrer sur l’accompagnement des événements souhaitant améliorer leur accessibilité. Au Foin de la Rue sera l’un des premiers festivals à en bénéficier. « On a grandi ensemble », résument en chœur Régis Brault et Marie-Charlotte Carboni, unique salariée de Quest’Handi. Au Foin est « un labo » pour l’asso, qui y expérimente des nouvelles idées et outils : colonnes ou gilets vibrants, audiodescription, boucles magnétiques…
Rapidement, la manifestation, récompensée par un Trophée national de l’accessibilité en 2014, est reconnue pour son investissement. Aujourd’hui, sur le point de passer la main, Régis ne s’inquiète pas pour la pérennité de cet engagement, désormais constitutif de l’ADN d’Au Foin de la Rue. Camping et toilettes sèches adaptées, plateformes surélevées en face des scènes, concerts chansignés, appli mobile spécifique… Le site web du festival – adapté aux malvoyants – recense sur sa page « accès pour tous » une vingtaine de dispositifs et outils, prenant en compte l’ensemble des handicaps, auditif, visuel, moteur et intellectuel.
Au-delà d’être accessible, Au Foin intègre aussi désormais dans son organisation des personnes en situation de handicap. La signalétique du festival est ainsi réalisée par des jeunes accueillis en instituts médico-sociaux, quand des bénévoles sourds servent des demis derrière les bars. L’occasion pour les valides de se confronter directement au handicap. « Le festival est un formidable outil de sensibilisation du grand public à ces problématiques » se félicite Régis.
« On préfère parler aujourd’hui d’accès pour tous, continue le bénévole dyonisien. Jeunes ou vieux, valides ou en situation de handicap… On doit prendre en compte les capacités et besoins de tous les publics que l’on accueille. » Et puis les aménagements pensés pour les personnes handicapées « facilitent aussi la vie de tous », complète Marie-Charlotte. À l’image des rampes d’accès ou des cheminements adaptés que plébiscitent aussi souvent les valides. Ou de la signalétique simplifiée du festival, bien utile à « certains fêtards en fin de soirée » rigole Régis.

Émulation mayennaise

Après Au foin de la Rue, Quest’Handi a accompagné nombre de festivals en Mayenne. « Des pros comme les 3 Éléphants ou Les nuits de la Mayenne mais aussi des plus petits comme Les Mouillotins ou le Festid’AL », précise Marie-Charlotte. « Il y a une belle émulation, très mayennaise, autour de ces questions, qui sont devenues incontournables », approuve Régis.
Sans équivalent sur le territoire national, Quest’Handi a vu les sollicitations croître au fil des années. À tel point que ses 70 bénévoles sont depuis 2017 épaulés par une salariée. Aujourd’hui, l’association conseille une vingtaine d’évènements par an. « Chacun est accompagné plusieurs années », détaille Marie-Charlotte. La première année, il s’agit de dresser un état des lieux. « Souvent, les problématiques d’accès aux scènes sont déjà plus ou moins traitées mais tout ce qui est autour est oublié : billetterie, bars et stands de restauration… » Puis la seconde année, le jour J, la team Quest’Handi met en œuvre ses préconisations, en soutien de l’équipe du festival accompagné. « Cela demande une mobilisation et une capacité à faire des compromis de toute l’équipe, du régisseur général au programmateur en passant par le chargé de com. » Enfin la dernière étape vise l’autonomie, afin que Quest’Handi puisse continuer à essaimer ses bonnes pratiques un peu partout en France.
En 2020, l’asso envisageait d’embaucher un second salarié pour faire face à l’afflux des demandes. La Covid a tout balayé… « Lorsque les activités pourront reprendre, j’espère qu’on ne passera pas à la trappe », s’inquiète Marie-Charlotte, relayée par Régis : « En ces temps difficiles, souhaitons que les 2 à 3% du budget global d’un festival que représentent les dépenses liées à l’accessibilité ne servent pas de variable d’ajustement. »
Pour Jérôme Hamet, les festivals cette année, c’est plié. « Assister à un concert assis, à 2 mètres de distance les uns des autres, non merci. On y va aussi pour l’ambiance, la convivialité… Au foin ou ailleurs, raconte-t-il, les gens viennent souvent me voir, pour échanger… Beaucoup me disent : “c’est bien que tu sois là, avec nous !” » 

Article paru dans le dossier « Handicap : la culture pour tous » du numéro 70 du magazine Tranzistor.