Le point commun entre les fromages pasteurisés, l’impression de prix littéraires et le pressage de disques ? Le « made in Mayenne » of course ! Parmi ces fiertés industrielles locales, le disque rayonne d’une aura familière, mais teintée de mystère… Que sait-on réellement de sa fabrication ? Visite dans les coulisses d’une usine où rêveraient de pénétrer tous les discophiles : MPO, dernier producteur français de vinyles.

À l’ère du « consommer local », voici une forme de singularité : il est probable que le cd dans votre autoradio, le dvd visionné en boucle par vos enfants et le 33 tours sur votre platine soient tous fabriqués près de chez vous. Plus précisément à Villaines-la-Juhel, à l’orée des douces collines qui sculptent le bocage nord-mayennais.
Une certaine excitation accompagne l’excursion – pas simple à obtenir – vers ce temple du produit culturel, genèse industrielle de tant d’objets trônant fièrement sur nos étagères. Voilà bientôt 60 ans que MPO s’est lancé dans la fabrication de disques. D’abord modeste atelier familial créé en 1957 à Averton, l’entreprise devient vite industrie florissante et connaitra plusieurs âges d’or, embrassant les vagues successives des nouveaux supports audio et vidéo (cd, dvd, Blu-ray…), tout en délaissant certains en route, comme la cassette ou le mini-disc. Mais elle a aussi su se placer avec succès sur le marché de l’impression, du jeu vidéo ou du packaging pour marques de luxe, palliant ainsi la baisse d’activité liée à la chute vertigineuse des ventes de cd ces 15 dernières années.
Depuis environ 2010 et par la grâce d’un objet revenu de loin, MPO, qui a tout de même essuyé deux plans de licenciement en 2012 et 2013, redresse la barre. Son nom même, Moulages Plastiques de l’Ouest, renvoie à ses premières amours, le 33 tours. Une idylle en dents de scie, qui n’a toutefois jamais cessé. « Dans les années 70, l’entreprise a fait tourner jusqu’à 60 presses, mais même au creux de la vague dans les années 90-2000, trois presses minimum continuaient à fonctionner » explique Vladimir Négré, responsable marketing chez MPO. « Aujourd’hui on est à 16 presses pour plus de 40000 vinyles produits par jour et 8 millions par an, aussi bien pour des majors que des labels indépendants. »
Cette renaissance inespérée ravive alors des machines en sommeil. MPO remonte progressivement une douzaine de ses anciennes presses pour faire face à la demande. « À l’encontre même des schémas habituels d’évolution et de modernisation d’une entreprise », s’étonne encore Vladimir Négré. Avec tout de même la fine intuition, propre à cette entreprise qui a toujours su anticiper les évolutions du marché, qu’elles pourraient un jour resservir.

Dites 33

Mais d’où viens-tu disque vinyle ? Que nous raconte ton odyssée ? Eh bien la route est longue jusqu’à nos platines. Au commencement : la gravure analogique, réalisée en studio ou directement chez MPO, sur un disque de cuivre ou bien d’aluminium recouvert de laque. C’est là que la magie originelle opère : un burin à pointe de saphir ou de diamant grave le signal audio d’une unique spirale hélicoïdale, tandis que les infimes modulations latérales de ces sillons produiront toutes les nuances de sons. Poésie de la technologie.
L’oeil alerte, on entame la visite de l’usine par la seconde étape du processus : l’atelier de galvanoplastie, « qui va permettre, grâce à un procédé par électrolyse (un bain de nickel d’1h30) de développer à partir de la gravure analogique deux matrices, une pour chaque face du vinyle. »
Nous voilà happés par une brèche spatio-temporelle, direction les années 70. Les machines aux peintures écaillées trahissent une patine d’époque. Gérard travaille chez MPO depuis 1973. Il confesse que « les machines, les techniques et les savoir-faire pour la fabrication du vinyle n’ont pas changé en 40 ans. » Passé par différents postes (pressage du vinyle, puis du cd), il vient comme d’autres d’être appelé en renfort et s’active sur les matrices, ces cylindres métalliques en nickel qui serviront ensuite de moules pour le pressage des vinyles. Gravure mécanique et bain d’électrolyse : on réalise en quittant l’atelier que des procédés physiques et chimiques antédiluviens président au confort de nos écoutes de salon. Vertige de la technologie.

Dernier tour de piste

On traverse un long couloir bordé de vitres, qui nous révèle au passage un tout autre univers : la ligne de production des cd, dvd et autres Blu-ray. On mesure alors mieux l’écart qui la sépare de celle, presque artisanale, du vinyle. Tout ici semble automatisé, robotisé, aseptisé. Et beaucoup plus rapide : « il faut en moyenne 3 secondes pour presser un cd, contre 23 pour le vinyle ». L’analogique prend son temps, le numérique joue la célérité. Deux temporalités distinctes, comme un possible symbole des diverses pratiques d’écoute d’aujourd’hui.
La visite suit son cours et l’atelier de presse des vinyles nous ouvre ses portes, ultime étape avant le conditionnement (MPO imprime aussi toutes les pochettes) et la mise en colis. Le bruit tapageur et cadencé des machines y suit à la lettre sa partition de ballet industriel. « Certaines presses tournent depuis 1975 » explique Vladimir Négré comme pour s’excuser du raffut. « En ce moment on leur redonne progressivement un petit coup de jeunesse, et on vient juste de rapatrier la dernière qui nous restait en stock. On a encore quelques leviers possibles, mais on risque d’approcher rapidement un seuil de saturation car la demande augmente sans cesse et ces presses ne sont plus fabriquées aujourd’hui. »
Sur un côté sont entassés de grands sacs plastiques de couleur jaune, rouge ou noire. Ils contiennent de fines pastilles de polychlorure de vinyle, matière première qui sera fondue en galettes chaudes et caoutchouteuses. Celles-ci sont compressées par les matrices et ciselées de microsillons, puis durcies et ébarbées (une lame taille les rebords inégaux) : l’objet adopte alors son allure familière.
Pas moins de 80 salariés font tourner l’ensemble du secteur vinyles, pour 400 au total chez MPO France, et 1100 dans le monde. La transmission des savoir-faire se pose comme un enjeu, car la plupart des ouvriers semblent d’un âge respectable, certains ayant fait leurs armes sur des éditions originales d’ABBA ou de Pink Floyd. Mais la relève trace son sillon, avec notamment Florian, 19 ans. « Je suis là depuis deux mois, je découvre le métier ! Il faut apprendre à connaître et apprivoiser ces machines, elles sont complexes et assez exigeantes ! » Ses doigts agiles manipulent des 33 tours de Daft Punk, qui dans quelques jours secoueront sans doute quelques dancefloors domestiques. Magie de la technologie.