Champagne ! Avec près de 16 000 spectateurs (record d’affluence battu), les 3 Éléphants ont fêté en fanfare leurs dix ans. De quoi sabrer le champagne, ce que ne manquèrent d’ailleurs pas de faire les musiciens de Montgomery le samedi après-midi. Alors qu’ils entonnaient le refrain de leur tube du même nom, le pétillant « Champagne », ces invités spéciaux, en compagnie de leur bon ami Moujik (à la batterie et aux claviers) ont fait sauter le bouchon. Pour ce concert champêtre à l’heure de la sieste, au milieu des roses, les chouchous du festival se la sont joués « garden party », délaissant les orages électriques et les refrains tubesques de leur excellent premier album pour des tempos alanguis, des choeurs et des nappes vaporeuses. Ces ennemis de la routine, maniaques du détail, semblaient prendre un malin plaisir à dynamiter une nouvelle fois leurs chansons, déjà retournées dans tous les sens. Expérimentant inlassablement de nouvelles combinaisons, avides d’expériences inédites, ils accueillaient avec plaisir un autre chouchou du festival, le beat boxer Tez. Improvisé, spontané et sans les tâtonnements qui accompagnent en général ce genre de rencontre, l’échange a plutôt bien fonctionné, entraînant nos protagonistes vers des rythmes dancefloor qui réveillait un public alors en pleine digestion. Quelque chose s’est passé entre ces « deux-là », et je serai curieux de voir le résultat d’une collaboration plus aboutie…

 

Mais cessons-là cet aparté fleuri, et reprenons le truc dans l’ordre. Un peu de rigueur nom d’une trompe !
Flashback. Samedi 27 juillet, 19h. La franco-marocaine Hindi Zarha ouvre le bal des éléphants. Chantant indifféremment en français, en anglais ou en kabyle, elle affirme son identité, cosmopolite et métisse. Bien que très différente (car sans doute plus « classique »), elle appartient à cette famille de musiciens, de Spleen à Cocorosie, qui refusent de choisir leur camp, et utilisent tout ce qui les constituent pour bricoler leur univers, prêts à toutes les aventures, toutes les tentations. Ainsi Hindi passe sans complexe de tranquilles ballades folk à des morceaux plus entraînants, limite funky. Bien entourée par ses trois musiciens, dont un bassiste beat boxer, elle séduit d’abord par sa très belle voix, chaude et expressive. Une belle découverte, dont on devrait reparler.

 

Quelqu’un dont on a déjà causé ici et dont on devrait continuer à parler, c’est Peter Von Poehl. Ces chansons en trompe l’œil, classiques au meilleur sens du terme, ressemblent à première vue à un pavillon standard, dont l’apparence extérieure, banale, cacherait des couloirs biscornus, des escaliers en colimaçon et plein de tourelles passionnantes à explorer. Pas très à l’aise sur la grande scène des 3 Eléphants ? Fatigués par une tournée chargée (qui prenait fin avec ce concert) ? Le blondinet suédois et ses musiciens peinent à recréer la magie des chansons de Going to where the tea threes are, qui requièrent sans doute une ambiance plus intime et un public plus attentif. Enfin qu’importe, cela reste un plaisir d’entendre ces morceaux prendre vie sur scène et de succomber au confort de leurs douces mélodies.

 

Un ange blond passe, bientôt suivi par trois autres, répondant au doux nom d’En revoir Simone. Sexy en diable, les trois américaines ont, derrières leurs claviers vintage, des gambettes interminables et un très seyant look de secrétaire bcbg. « Simone, venez donc faire un tour dans mon bureau, svp ! ». Bref, les garçons n’auront jamais autant regardé l’écran qui jouxte la scène du chapiteau. Pas vraiment taillée pour les festivals (en tout cas pas au sens traditionnel du terme : « on veut du cuir et des gros beats ! »), la musique des américaines parvient tout de même à séduire le public, qui ondule mollement sur les rythmiques synthétiques, les choeurs éthérés et les mélodies acidulées de leurs comptines pop. La comparaison est sans doute déplacée, mais je ne peux m’empêcher de penser à Joy Division. Certes, contrairement à la bande de Ian Curtis, leur musique est (vraiment) joyeuse (quoique ?) et un peu (trop ?) inoffensive, mais il y a ce même décalage entre tempos rapides et chant posé au ralenti, ce même faux rythme, cette même simplicité mélodique, efficace et répétitive, et cette utilisation commune de sons synthétiques, parfois cheap, limite kitsch. On lui dira en revoir à regret, à Simone, en espérant la revoir bientôt… « Tu repasses nous voir quand tu veux ! ».

Leurs successeurs par contre, on s’en passera. Franchement, ça n’est pas histoire de casser du « gros », mais le concert de Air m’a profondément ennuyé. Accompagnés de leurs fidèles musiciens anonymes, masqués dans l’ombre, les deux stars immaculées assurent le minimum syndical, livrant un concert certes impeccable, mais impersonnel et sans relief. J’imagine que les fans ont été comblés (comme toujours) mais à mon goût ce fut suprêmement mou du genou.

 

Quant à Marithé, pardon Jamie T, eh bien je dois l’avouer piteusement, je l’ai loupé. Pas vraiment séduit par les premiers morceaux de son set (du hip hop rock à l’anglaise, brouillon à première vue), je cède aux sirènes tentatrices du bar… manquant, selon l’avis de personnes au bon goût incontestable, un très bon concert. Pardon Marithé, j’te revaudrai ça.

 

Bristish toujours : les rockeurs de Scanners mettent un coup de pied au cul à cette soirée qui démarre un peu sur les édredons. Scanners donc : du rock, pas très novateur mais bien fait, avec parfois des rythmiques dancefloor qui déboîtent et rendent le truc frais. Je tape du pied sévère et mes voisins aussi. Faut dire que j’ai toujours aimé les filles qui jouent de la basse, surtout quand elles la portent bas et qu’elles prennent des poses rock’n’roll. J’aime bien aussi le look de la seconde guitariste. Genre gilet en laine fatigué et jean slim, l’air complètement camé… Le guitariste est moins sexe. Style requin de studio qu’a pas de gueule, avec le gilet en cuir qui va bien, obligé ! d’office le gilet ! Mais bon, attitude mis à part, il assure comme une bête à la gratte, Johnny Boy. Bon concert donc, rock’n’roll, avec des petits relents de PJ Harvey et de Hole première mouture, mais pas trop (et puis bon, il y a pire comme références).

 

La soirée est désormais lancée et on peut compter sur Keny Arkana pour ne pas laisser retomber la pression. Remontée comme une pendule, la rappeuse crie sa rage, dénonce le système et en appelle à la prise de conscience. Un discours juste et une démarche qui dénote dans le milieu musical, tout aussi capitaliste et hiérarchisé que n’importe quel autre secteur marchand. Dommage que le son soit pourri et que son message soit difficilement audible. Mais qu’importe, pour le public l’énergie est là et l’électricité est palpable. Beaucoup de spectateurs présents sous le chapiteau sont manifestement venus uniquement pour Keny. La clameur qui accueille chaque fin de morceau est impressionnante. Il se passe vraiment un truc là ! Entre la rappeuse marseillaise et son public, il y a quelque chose qui vibre.

 

Quelque chose d’un peu plus léger pour terminer ? Voici Goose, parfait pour le dessert. Avec leurs geules de gossbô et leurs fringues de fashion victims, c’est vrai que ces mecs n’ont pas l’air d’être à donf dans l’altermondialisme, José Bové, le roquefort et les ponchos bicolores… Et leur musique est à l’avenant, furieusement dans l’ère du temps. Un mélange réussi entre rock et dance music. Une synthèse parfaite entre riffs de guitare gras et beats tout simplement énormes. Leur truc, c’est une machine à danser. Imprimant un groove blanc et synthétique, certes martial et un rien rigide, mais implacable et irrésistible. D’ailleurs tout le monde s’en donne à coeur joie. Le public est conquis, dirait-on. Tiendrait-on la révélation de la soirée ? Allez on le retient dans notre quinté.

 

Enfin, pour finir et faire passer tout ça, y avait C2C Beatorrent en digestif (la version light de Coup 2 Cross, l’équipe de dj’s quadruple championne du monde). Mais lors de ce concert, une nouvelle fois, les bras séducteurs de dame binouze m’ont attiré dans leur doux giron. A peine donc entendais-je au loin ces dj’s éclairés passer le meilleur morceau de l’année 2006 : le putassier à souhait « My Love » de Justin Timberlake. Un pur chef d’oeuvre de pop music mes amis !, commercial à mort et pourtant génial. Le genre de morceau, finalement très rare, qui met tout le monde d’accord et que vous entendrez tout aussi bien au rayon fruits et légumes de Carrefour que dans une boîte branchouille ou… aux Eléphants. Bon allez !, puisque c’est comme ça (il commence à pleuvoir sérieusement), je vais me coucher moi. A demain.

Puppetmastaz rules !

Soleil ! Le ciel est bleu, ce samedi soir. Les dieux des festivals sont avec nous. Et leur apôtre est sur scène. Grand roux dégingandé aux gestes brusques, le canadien Son of Dave est assez fascinant à voir évoluer sur scène. Tiré à quatre épingles, portant cravate et chapeau, il affiche une élégance un rien anachronique, surtout dans ce contexte. Mais sa musique, bien qu’elle s’apparente à un blues du plus pur jus, n’a rien de poussiéreuse. Armé de son sampleur, le canadien réinvente le genre, et au passage la vieille tradition de l’homme orchestre. A ses talents de chanteur et d’harmoniciste hors pair, il ajoute celui de beat-boxeur : l’homme met en boucles riffs d’harmonica rageurs et gros beats bien groovy. Toutes ses chansons se ressemblent, mais à chaque fois, ça marche, on se fait avoir par ce balancement démoniaque, ancestral et toujours aussi envoûtant du blues. Parfaitement calibrés, les beats de Son of Dave feraient battre des mains un manchot arythmique. D’ailleurs le public, déjà nombreux malgré l’heure « matinale », ne s’y trompe pas, qui participe activement au concert et frappe en cadence dans ses mains. À ce sujet, on notera, au passage, la curiosité et l’enthousiasme toujours vérifié du public des 3 Eléphants qui durant ces deux jours, quelle que soit la renommée des artistes programmés, manifeste sans baisse d’intensité son intérêt et son attention. Un petit bémol tout de même concernant le public : le taux d’inbibation des festivaliers et le nombre de cadavres répandus sur le site est impressionnant. J’ai parfois des difficultés à comprendre la motivation de ceux qui paient une trentaine d’euros pour piquer un roupillon comateux à même le sol, sans avoir vu, parfois, le moindre concert.

 

Un petit somme remarque, j’en aurais bien piqué un lors du concert d’Eric Truffaz. Le trompettiste suisse a toujours ce son chaud et velouté, ce phrasé et cette science de l’articulation inspirée avec bonheur du jeu du grand Miles. Ses musiciens sont excellents, du batteur, impressionnant de feeling au bassiste en passant par le clavier, virtuose du Fender Rhodes… Mais, passé deux morceaux, je ne peux m’empêcher de sombrer dans une traître léthargie. Pour apprécier ce concert, il aurait sans doute fallu des chaises longues, ou quelques milliers de personnes en moins, une petite salle intime et un feu de bois…

 

De Bleubird, rappeur solitaire américain, on retiendra la décontraction, l’énergie et la capacité d’improvisation illimitée. Un goût pour le freestyle qu’il prouve d’ailleurs lorsque Tez, abonné cette année, aux featurings, vient le rejoindre sur scène pour une rencontre qui constituera le moment le plus intéressant de son show. Sans filet, tous deux se lancent dans une improvisation sur le fil, parfaitement maîtrisée. Dommage que ce soit aussi court, on commençait à s’amuser.

 

Qu’on me pardonne ma subjectivité exacerbée, je n’ai sans doute pas su apprécier à sa juste valeur le concert des Ogres de Barback. Pour moi, les Ogres, ça a toujours été le groupe de chanson de trop, celui qui a eu la malchance d’arriver après La Tordue et les Têtes Raides. Il y a dans leur musique un coté carton-pâte, vieille France et titi parisien qui me repousse. Difficile de nier tout de même la ferveur qu’ils soulèvent et la qualité de leur musique comme de leur concert, joliment scénographié et orchestré.

 

Le pachyderme lasséen est un animal souple, adepte du grand écart, comme celui qui consiste à passer des Ogres de Barback au trio américain Animal Collective. Que penser d’ailleurs du concert de ces derniers ? Je n’en sais trop rien. Esbrouffe ou défrichage avant-gardiste ?, foutage de gueule ou recherches savantes ? Je reste perplexe. Le fait est cependant, que je reste à leur concert jusqu’à la fin, scotché, malgré le son assourdissant et l’abstraction de leur musique, renforcée par leur jeu de scène très statique. Déconcerté par les virages et les ruptures permanentes qu’ils font subir à leurs morceaux, j’entre difficilement dans les morceaux. Jouées par des machines, leur musique n’en est pas moins incontestablement vivante, et sous doute en grande partie improvisée. Pendant la quasi-totalité du concert, j’attends quelque chose qui ne vient pas, un beat un tant soit peu construit, une mélodie. Mais ce qui semble s’annoncer n’arrive jamais, disparaît, se tord, se confond en méandres, perdant l’auditeur avec lui. Alors ? Cette musique est-elle trop hermétique, trop abstraite ou est-ce moi qui aie perdu ma capacité à m’étonner, à me faire surprendre, dépassé lorsque la musique s’échappe des schémas habituels ? La question reste ouverte. Sans doute faudra-t-il écouter les disques de ce groupe, les revoir en concert… Reste qu’Animal Collective est un cheval à suivre de près.

 

Avec le concert suivant, assuré par les californiens de Groundation, je passe de la perplexité à la déception. J’attendais sans doute trop de ce groupe. Mais, pour moi le reggae, faut que ça groove. Que l’on soit saisi d’une irrépressible envie de danser… Là, rien. A peine si on bat la mesure, du bout du pied. Tout est là pourtant, un bassiste excellent, un chanteur charismatique, des choristes survoltées… mais au fond, il y a quelque chose qui manque : le groove, l’âme, le soul… Leur reggae manque aussi d’amplitude et de nuances. Après quelques chansons, une certaine monotonie s’installe, et cela devient long, terriblement long…

 

Sans doute trop bruyant pour mes petites oreilles déjà bien fatiguées à cette heure de la soirée, le rock garage d’Archie Bronson Outfit (comme plus tard l’electro casse automobile de dDamage) ne laisseront pas des traces indélébiles dans ma mémoire. A la différence des Puppetmastaz, qui livrent sans doute l’une des meilleures prestations de la soirée. De l’idée (faire rapper des marionnettes en peluche, façon Muppet Show) à la réalisation, le concept des Puppet est excellent. Ces guignols du rap feraient aimer le hip hop à n’importe qui, et règlent, en un tour de main, la problématique question de la représentation du rap sur scène. Leur show est désopilant, et l’animation des marionnettes virtuose : aucun doute là dessous, ce sont elles qui prennent vie, avec une véracité hallucinante, et rappent avec ce flow de taré. Excellents marionnettistes, les mc’s qui se cachent sous les Puppet impressionnent aussi par la variété (chacun assure le rôle de deux ou trois personnages différents), la musicalité et la puissance de leur débit. Ces mecs rappent comme des américains, et sont sans doute des grands fans des Beastie Boys. La musique n’est pas en reste, à l’image du show, super entraînante et barrée, exigeante et marrante à la fois. Ca bounce à mort, tout en restant hip hop et original. Yes yes yo ! Puppetmastaz rules !

 

Comme je l’ai écrit plus haut, je goûte assez peu les charmes bruitistes et saturés des deux brothers de dDamage, à qui revient la charge de clôturer cette dernière soirée. Leur concert prend une tournure plus intéressante, à mon humble avis, lorsqu’ils sont rejoints sur scène par Tez, Bleubird et le rappeur haut débit Existereo. Le public, lui, vide petit à petit les lieux et le festival des 3 Eléphants dixième du nom se termine tranquillement, sans révélations majeures, ni déceptions particulières… Un bon cru, un anniversaire sympathique où la surprise la plus importante restera sans doute la fréquentation record du public. Jolie récompense pour un festival qui méritait amplement ce beau cadeau d’anniversaire.