La danse, c’est toute sa vie. Ou plutôt ses vies : entre création et transmission, sur scène ou en classe, Laëtitia Davy mène tambour battant une carrière d’artiste-pédagogue. Rencontre avec une « passeuse d’émotions » bien dans ses chaussons.

« Vous vous placez en diagonale, sur une seule ligne… Maintenant, vous occupez tout l’espace et, quand je frotte mon tambourin, on se rapproche ! » La voix est douce, mais ferme. Rassemblés dans le hall, les 27 CP-CE1 de l’école élémentaire Saint-Exupéry de Laval écoutent attentivement les consignes transmises par Laëtitia Davy. « Je vais vous demander de prendre une position et de toucher la personne qui est à gauche et la personne qui est à droite de vous. » Le groupe s’exécute. Sans sourciller ni rigoler. Le courant passe.
Un peu en retrait, Lucille Laurence, la directrice, observe la petite troupe du coin de l’œil. « C’est leur troisième séance aujourd’hui », confie l’enseignante, ravie de voir évoluer ses jeunes élèves. « Le travail de Laëtitia porte sur les émotions. Elle aide les enfants à prendre conscience de leur corps. »
Laëtitia connaît l’établissement. Elle y a déjà animé, l’an passé, un parcours d’exploration sensorielle, dans le cadre du dispositif d’éducation artistique Danse à l’école pour lequel elle intervient, via le conservatoire de Laval agglo. Une de ses nombreuses missions en milieu scolaire. « J’assure aussi ce type de démarche en collège et en lycée », explique la jeune femme qui se définit comme « artiste-pédagogue. »
La trentenaire, regard bleu et sourire espiègle, mène une carrière multiple dans laquelle elle s’épanouit totalement. Elle partage son temps entre l’enseignement – elle est professeur au conservatoire –, la médiation – notamment pour Le Théâtre de Laval – et la création. À la fois fonctionnaire et intermittente du spectacle, elle transmet son savoir à des publics très divers, à raison d’une quinzaine d’heures par semaine.

Grand écart

Quand elle a décidé de devenir danseuse, elle n’imaginait sans doute pas sous quelles formes allait s’exprimer son engagement artistique. Originaire de Laval, c’est à l’école municipale de musique et de danse qu’elle a tout naturellement commencé à « faire de la danse classique » dès l’âge de 6 ans, comme d’autres auraient choisi la gym ou le piano. Très vite, elle se passionne pour la discipline. « À 8 ans, je voulais devenir chorégraphe. Pourtant, je n’avais pas forcément les capacités requises. J’étais plutôt raide… J’ai dû faire deux fois le grand écart dans toute ma carrière ! » Ses professeurs croient en elle et la poussent à se présenter à l’Opéra de Paris. Son dossier est accepté. À 12 ans, elle quitte sa famille pour intégrer la grande maison austère, mais échoue au terme de 6 mois de stage intensif. Elle ne renonce pas, poursuit son apprentissage au conservatoire de Boulogne-Billancourt puis au conservatoire national supérieur de Lyon. « Là, j’ai découvert la danse contemporaine et notamment le butō. Un véritable choc émotionnel ! »
Toute jeune adulte, Laëtitia fait ses armes dans le milieu, intègre une première compagnie, puis une seconde. Assez rapidement, elle décide cependant de se tourner vers l’enseignement et passe son diplôme d’état. « Je venais de vivre une expérience difficile, qui m’a éloignée un peu de la danse. Enseigner, c’était une manière d’y retourner. »

“ Je place l’acte de création au centre de ma pédagogie. ”

En 2001, elle regagne sa Mayenne natale. « Les premières années, je n’étais pas une bonne pédagogue. Je reproduisais ce que j’avais appris. Aujourd’hui, je travaille essentiellement à partir de l’improvisation. Je puise la matière de mon enseignement dans les différents spectacles que je vois et dans mon expérience en tant qu’artiste. Je place l’acte de création au centre de ma pédagogie. »
En 2007, Laëtitia rencontre Valérie Berthelot, fondatrice de la compagnie lavalloise Art Zygote. Une première collaboration s’engage. Ce ne sera pas la dernière. « Valérie m’a aidée à prendre confiance en moi, elle m’a révélée artistiquement. »

Repenser la danse

Avec Art Zygote, Laëtitia anime aussi des ateliers auprès de personnes en situation de handicap. L’exercice lui plaît. « J’ai découvert un rapport brut au corps, et des esprits ouverts sur une autre dimension qui m’ont obligée à dépasser mes connaissances techniques. » Elle décide de suivre une formation spécifique et crée l’association Danse Handicap avec laquelle elle multiplie aujourd’hui les interventions auprès de structures spécialisées. « J’ai beaucoup appris au contact de ce public, en tant qu’enseignante mais aussi en tant qu’artiste. Cela m’a permis de repenser la danse, le mouvement, et la manière de faire bouger les corps. »
En parallèle, elle ouvre une classe pour ados en situation de handicap mental au conservatoire. Et poursuit son aventure avec Art Zygote. En 2011, la compagnie crée J’ai la taille de ce que je vois, d’après un poème de Fernando Pessoa. Une courte forme sans paroles, mais pleine de poésie, qui relate la rencontre improbable entre un musicien à la Buster Keaton et une minuscule ballerine vêtue de rouge, enfermée dans une bouteille de verre. La pièce est un succès. « On a fait 160 dates à travers toute la France ! » Pour assurer la tournée, Laëtitia met entre parenthèses ses activités de pédagogue en 2014-2015. « Cette pause a été essentielle. Elle m’a apporté beaucoup de confiance en moi : être sous les projecteurs, avoir des gens qui vous demandent des autographes, c’est plaisant et valorisant… »
Forte de cette expérience, l’artiste-enseignante a repris l’ensemble de ses missions. Et même si la gestion de son agenda est parfois délicate, Laëtitia apprécie cette pluriactivité. Elle est à l’affiche de Moi et toi sous le même toit, la dernière création d’Art Zygote, continue d’enseigner au conservatoire et poursuit sa démarche de transmission en direction de différents publics. Depuis quelques mois, elle se consacre aussi à un projet qui lui tient particulièrement à cœur : sa première mise en scène avec une troupe de danseurs professionnels en situation de handicap, à Angers. « Le spectacle sera donné à l’automne ! »
La voici donc chorégraphe, comme elle en rêvait enfant, même si elle a dû emprunter quelques chemins de traverse pour y parvenir… À 38 ans, Laëtitia porte un regard serein sur sa carrière. « Je ne serai jamais une danseuse internationale, mais je fais des choses qui me plaisent et je parviens à en vivre. J’ai acquis une certaine reconnaissance, une vraie confiance en moi et trouvé mon équilibre. » La petite ballerine rouge sait parfaitement sur quel pied danser.

 

Article paru dans le dossier «Profession ? Artiste ! » du numéro 63 du magazine Tranzistor.