J-F. L : A l’origine du festival, il y avait cette idée de réunir sur 1 ou 2 soirées concert les élèves des ateliers jazz des écoles de musique de la Mayenne : chacun bossait dans son coin et on ne se rencontrait jamais. Un jour, je rencontre Patrick Marey-Vignard alors adjoint au maire de Meslay et président de l’Office culturel municipal. Je lui parle de ce projet et de mon idée de programmer, en 2e partie des ateliers jazz, des musiciens professionnels. Le projet l’a tout de suite intéressé et en 1998 on organisait ce qui deviendra la première édition du festival Ateliers Jazz, avec tous les ateliers jazz du département et en clôture le trio Romano/Sclavis/Texier!
Au départ, c’était une manifestation sans lendemain mais, encouragés par le succès public (plus de 1200 personnes sur les 3 jours) et surtout par Aldo Romano et Louis Sclavis qui avaient trouvé la formule vraiment pertinente, on s’est relancé dans l’aventure. Et la 2e édition puis la 3e édition ont eu lieu, reprenant les principes rodés la première année : des concerts décentralisés dans les villages de la communauté de communes de Meslay-du-Maine, l’association ateliers jazz/musiciens professionnels et le final qui réunit sur scène la tête d’affiche du festival et l’ensemble des élèves des ateliers jazz.

C’est important pour vous ce rapprochement entre élèves musiciens et professionnels ?

Oui, c’est l’idée qui est à l’origine du festival et on tient à conserver cette place importante accordée aux élèves des ateliers jazz. Le festival leur permet de jouer en public et dans des conditions professionnelles. Ils apprennent à aborder la scène, à faire une balance… Et puis surtout ils peuvent rencontrer directement les musiciens. Chaque année, il y a vachement de contacts entre les amateurs et les musiciens invités. Enfin il y a les boeufs chaque soir et le concert de clôture où les élèves peuvent jouer avec les professionnels. Jouer avec Portal, Garbarek ou Humair, ça marque.

Associant amateurs et professionnels, têtes d’affiche et découvertes, ta programmation se veut ouverte et éclectique ?

Il y souvent trop de barrières entre amateurs et professionnels, groupes reconnus et jeunes projets… Par exemple pour nous, c’est important de faire bosser les gens du cru, il y a aura toujours aux Ateliers des groupes mayennais, des musiciens de la région et des locomotives de renommée nationale et internationale. C’est une évidence pour nous de mettre les musiciens locaux en avant, que ce soit des groupes amateurs ou professionnels d’ailleurs. C’est important qu’ils aient leur place et qu’ils sentent que le festival est aussi pour eux.

Cette ouverture est aussi vraie musicalement…

Je suis éclectique dans mes goûts et j’écoute aussi bien du dixieland, du swing, du be-bop, du hard-bop que du free jazz… Et puis j’essaie dans ma programmation d’être ouvert pour que tous les publics puissent s’y retrouver. On est en milieu rural, on ne peut pas se permettre de balancer que des trucs de free jazz. C’est impossible. Le but du jeu, c’est aussi d’avoir un coté éducatif par rapport au public. Montrer que le jazz ne se limite pas à ce qu’en connaissent la plupart des gens: le jazz d’après guerre, le be-bop, les big bands…
Lorsqu’on fait venir Denis Badault et Bruno Tocanne jouer sur « Man with a movie camera » (film expérimental tourné dans les années 20 par Dziga Vertov, ndlr), ça surprend le public… Mais ça fait du bien aux gens, ils discutent. Qu’ils soient d’accord, pas d’accord, il y a réaction et c’est ça qui m’intéresse !
On ne peut pas tomber dans un truc démago. Il y a assez de conneries à la télé pour pas qu’on s’y mette. Je ne fais pas de politique de remplissage de salle. Je ne vais pas me dire « oh non, je ne vais pas faire ce mec-là parce que j’ai peur qu’il n’y ait personne ». Il est hors de question de rentrer dans ce jeu-là. Et jusqu’ici le public répond présent même sur des plans osés. Le public nous fait confiance.

Comment expliques-tu le succès que rencontre le festival auprès du public local ?

Au départ, on avait un public qui venait essentiellement de l’extérieur et puis petit à petit, les habitants du pays ont commencé à fréquenter les lieux. Je pense que l’ouverture musicale du festival et la gratuité de la quasi-totalité des concerts y sont pour beaucoup. On tient à ce principe de gratuité parce qu’il correspond à une volonté d’ouverture au public que l’on affiche depuis le début. Enfin, le fait que l’on programme des groupes locaux et les ateliers jazz des écoles de musique du département permet aussi d’attirer un public supplémentaire. Par l’équipe des bénévoles s’est aussi constitué un réseau important de parents, d’amis qui fréquentent assidûment le festival. Et puis il y a le bouche à oreille…

Les Ateliers Jazz reposent aujourd’hui uniquement sur le bénévolat. Envisagez-vous à l’avenir une professionnalisation du festival ?

Dès sa création, le festival a fédéré une nombreuse équipe de bénévoles, rassemblant des personnes pas forcément là au départ pour la musique ou le jazz mais plutôt pour l’ambiance, le plaisir d’être ensemble et d’entreprendre quelque chose collectivement. A l’époque on devait être une trentaine, aujourd’hui on est 80. Tous les âges et tous les corps de métiers sont représentés. Il y a quand même vachement de gens qui se sentent impliqués dans ce festival et c’est ce qui fait qu’il fonctionne. Sans les bénévoles, il faudrait embaucher des professionnels, on ne s’en sortirait pas financièrement.
Et puis c’est ce qui apporte son coté familial au festival. Beaucoup de musiciens qui sont passés chez nous, même les grands noms, ont été sciés par l’accueil et l’ambiance conviviale du festival. Ils apprécient les contacts qu’ils peuvent avoir avec les gens. Les mamies qui servent les repas… Pas de gorilles qui bloquent les accès « artistes », pas de barrières entre les musiciens et le public. Pour tout cela, je ne tiens pas à ce qu’on grossisse beaucoup plus parce qu’on risque de perdre ce coté familial. Le risque c’est que ça devienne l’usine, trop lourd à gérer. Et même si tu fais attention, tu perds forcèment un peu de cet esprit là. Donc l’évolution du festival, je la vois plutôt dans le développement d’accueil d’artistes en résidence, une expérience que l’on a déjà tentée avec l’Occidentale de fanfare en 2002 et qui s’était super bien passée. Et puis on aimerait bien prolonger l’action du festival en programmant des concerts le reste de l’année. Ca n’est pas les projets qui manquent!