Un rock bordélique, un agrément de noise, une pointe de garage, du grunge éparpillé, quelques notes de pop et même de hip hop déraisonné : voici FAT SUPPER. Avec deux p. Un groupe qui ne plaira peut-être pas à tout le monde mais qui en électrisera certains. Les quatre Rennais étaient de la partie, samedi 22 août, à Terra Incognita.

Cinq ans que le festival-à-la-ferme Terra Incognita s’installe comme la conclusion idéale d’un été entre soleil(s) et musique(s). Première cette année, deux soirs se sont succédés, avec succès (plus de 1200 entrées !). Chez ces aventureux défenseurs d’une programmation à contre-courant des grosses cylindrées, on a pu trouver du bien, du beau et du bon. Dont Fat Supper.
Passées 16h, ce samedi, les quatre comparses ont pris le temps de se poser, de causer musiques et arts, cul collé aux douillets poufs mis à dispo, dans cette étable changée, le temps d’un week-end, en loges de plaisance.
« Il fait beau, on fait une interview et juste après on va aller bien manger et… faire une belotte coinchée ou discuter avec nos potes de Discolowcost qu’on n’a pas vu depuis longtemps. Puis profiter de ce superbe festoche. » Sont marrants les gars Supper. Sont pas pédants, pas bégueules même. En témoignent ces propos de Pierre Marolleau, batteur-chanteur de son état.
Il y a trois ans, suite à l’arrêt du groupe Leo88man, ses deux fondateurs, Léo Prud’homme et André Rubeillon rencontrent Pierre. Ils créent Fat Supper. Un an plus tard et après un premier disque éponyme à trois, les gars intègrent Yoan Buffeteau, ex-clavier des regrettés Montgomery. Le projet se concrétise. Septembre 2013, aux Rockomotives de Vendôme : premier concert. Depuis, ça joue.

Balayage

« Avant, on faisait de la folk en respectant les codes du genre, explique Léo, guitariste-chanteur. Là, c’est du rock et la façon de bosser n’est pas du tout la même. » C’est sûr. Loin des bluettes acoustiques, le son des Supper est puissant. « Ce qui nous intéressait, quand on a monté ce groupe, c’était d’essayer de balayer plein de trucs et de styles qu’on aime, raconte Pierre. C’est compliqué de faire un truc vraiment à soi car tu es forcément influencé par énormément d’artistes. Mais on voulait quelque chose qui nous ressemble, tant par le son que dans la manière de composer. Et d’arriver à juxtaposer plusieurs ambiances dans un même morceau. Avec l’idée que l’ensemble du concert ait au final un truc vraiment « Fat Supper ». »
Chez nos Supper trentenaires, on trouve donc la folie d’un Eels, la déstructuration de Deerhoof, la dissonance de Pavement ou la créativité d’un Nick Cave & the Bad Seeds. Y a pire ! Le tout lié par une pâte sonore unique, crasseuse, vibratile, heurtée à souhait. Immédiatement identifiable.

Détroit

En mai 2014, Fat Supper part, rieur, assurer sept premières parties de Détroit. Sur la route, le groupe trouvera des salles combles. « C’était classe, se souvient Léo. De grandes salles qu’on n’a pas l’habitude de faire. » Mais tout rose n’est jamais tout rose. Partir sur les routes nécessite quelques sous : location d’un camion, essence, bouffe… « Ça nous a coûté carrément du fric, lâche Pierre. Pour être exact, on a perdu 3000? sur sept dates. Humainement, ça s’est super bien passé avec la bande à Cantat. Là où ça s’est moins bien passé, c’est quand on les a entendu dire qu’ils accompagnaient les petits artistes et soutenaient les intermittents. » Différences de point(s) de vue, sans doute. Car peu payés et livrés à eux-mêmes, il leur a fallu assumer seuls le trou financier…

Saucisse et Cheval

Passée cette belle mais onéreuse parenthèse – dilemme permanent de tout groupe à échelle encore limitée et qui caresse l’espoir de vivre un jour de son art : faut-il jouer partout mais à perte, ou refuser des plans mal payés au risque de beaucoup moins jouer ? -, Fat Supper a voulu ancrer un peu plus son image. Avec Saucisse et Cheval. Deux personnages tarés, déjà visibles sur les pochettes de l’EP Flat Supper (2013) puis sur l’album Academic Sausage (2015). Deux créatures hybrides qui collent bien à la musique cartoonesque du groupe, trop sérieuse pour se prendre au sérieux. « Sur le premier disque, y avait déjà un cheval. Mort, empaillé et juché sur le dos d’un paysan, raconte Yoan, muti-instrumentiste et graphiste ponctuel du groupe. Moi, je trouvais ça un peu tristounet de voir ce cheval mort. J’ai ramené un cheval stéroïdé, revenu en force. Puis Saucisse est arrivé… parce qu’on a mangé des saucisses. » Les bons amis Saucisse et Cheval sont restés bons amis et semblent promis à un bel avenir. Quoi que, avec Fat Supper, tout peut passer très vite.
Preuve en est avec « Surrogate », morceau phare de leur indispensable dernier disque. « Le groupe ne se refuse jamais le droit de faire bouger les morceaux, raconte Pierre. « Surrogate » doit en être à sa cinquième version. » Avec Fat Supper, tout passe très vite. Le live, aussi.

Palettes et paliers

23h45, samedi 22 août, à Carelles. Fat Supper prenait place au milieu des palettes. Sur une scène entièrement faite de palettes de récup’ et qui devrait bientôt être brevetée, on a pu jouir de la musique déroutante et insoumise du quatuor.
Jouir. Ça tombe bien, les morceaux du groupe parlent de cul. « Quand ça parle pas de cul, ça parle des trucs un peu absurdes dans la société dans laquelle on vit, sourit Léo. J’aime bien lister dans les paroles pas mal de petits détails de la vie quotidienne qui sautent aux yeux : la surconsommation, les trucs qui deviennent abstraits tellement c’est débile… Particulièrement en ce qui concerne la bouffe. » En gros fan du film de Marco Ferreri La Grande Bouffe (1973), Léo Prud’homme joue même la double lecture, parfois : « la bouffe, c’est un peu comme parler de cul, c’est toujours une espèce de métaphore ».
Avec Fat Supper, à Terra Incognita, on aura tout eu : rock pluriel, sourires d’être là, palettes scéniques, paliers soniques, lumière fusée, textes au couteau, guitares saturées, voix gravées, folle batterie, live réussi. Bref, le quartet a trouvé son public, surpris. Et heureux d’avoir découvert un putain de supper groupe. Avec deux p.

Bonus
> En concert : le 17 octobre à Azé, lors de la soirée T-Paze.