Captation de concerts aux Émergences ou Laval on air, teasers pour le 6par4, reportages vidéo au Foin de la rue… Les vidéastes mélomanes de L’OEIL MÉCANIQUE et PRISMA dégainent leurs caméras un peu partout où la musique se joue live. Coup de projecteur sur ces hommes de l’ombre qui captent la lumière.

Au commencement était la passion. Chez Prisma comme chez L’OEil mécanique, tout le monde, d’abord, est fondu de musique. Et quand la passion est là, le bénévolat n’est pas loin: co-gérant de la société Prisma et ancien président du 6par4 (tiens, tiens…), Laurent Bourgault a filmé ses premiers concerts aux 3 Éléphants en 2001, « quasi-gratuitement, juste pour le fun, sans trop y croire au départ ».
12 ans plus tard, Prisma capte toujours des concerts au festival lavallois, ou ailleurs. « Toujours dans une logique de partenariat », précise Jean-Charles Roussillon, qui a fait ses armes sur les plateaux de la chaîne musicale MCM avant de rejoindre les cinq salariés de la société. « On facture seulement aux festivals le coût de location du matériel », poursuit-il. Tout le monde y trouve son compte: les organisateurs qui disposent de vidéos pour assurer leur promo, les artistes qui récupèrent gratuitement des images « live » de qualité professionnelle, et Prisma qui communique sur son nom et engrange du savoir-faire. Une stratégie qui s’avère payante: forte de son expérience, l’entreprise a décroché il y a deux ans un gros contrat pour la captation des concerts organisés par la radio Hit West.
Les activités de cette société, fondée il y a 30 ans, dépassent très largement le cadre de la musique: films d’entreprise, pubs, communication institutionnelle, captation de séminaires… « Peu de sujets nous ont échappé », rigole Laurent. Difficile en effet d’espérer vivre uniquement de la captation musicale. L’équipe de L’œil mécanique en sait quelque chose. Pour la plupart anciens musiciens, les gars de « L’œil » traînent leurs guêtres (et leurs caméras) au 6par4 et dans les festivals mayennais depuis une demi-douzaine d’années. Pour participer à cet « élan culturel qu’ils apprécient dans le 5.3, et pour « se faire la main » comme l’explique Matthieu Trouvé, à l’origine avec Julien Guigot de l’association en 2008.
Depuis l’équipe s’est agrandie, accueillant désormais cinq membres. Et si elle reste associative et « militante », l’aventure, bénévole à ses débuts, se professionnalise aujourd’hui. Installée dans des nouveaux locaux, l’asso commence à diversifier ses activités, en se tournant notamment vers la formation.

Claque en direct

20h30, le 5 juillet, au camping bénévoles d’Au Foin de la rue. Extérieur jour : l’équipe de L’œil mécanique installe ses tentes. Le festival a commandé cette année à l’asso des mini-reportages retraçant chaque soirée (ambiance, concerts…). Bientôt, dans un « désordre savamment organisé, la petite bande se déploie sur le site, armée d’une caméra ou d’un appareil photo réflex numérique pour tourner des plans à la lumière du jour faiblissant. La course à l’image est lancée. Objectif: suivre les concerts mais aussi les festivaliers ou les bénévoles, du bar à vin à la soupe à l’oignon.
3h du matin. Intérieur nuit: les deux ordinateurs de l’étroit local où L’œil a installé son QG sont pris d’assaut. L’ensemble de l’équipe réunie autour d’une bière va maintenant distiller quelques six heures d’images pour réaliser un reportage de… quatre minutes.
9h30. Extérieur jour: ouf! Fin du montage pour une diffusion du reportage à midi. Et maintenant, au dodo, car ce soir c’est rebelote!
Quelques heures plus tard, au réveil, malgré la fatigue, Matthieu et les autres évoquent leur « plaisir de filmer et de bosser en collectif ». Une collégialité essentielle car la captation live est un travail d’équipe, demandant concentration et coordination. Surtout lorsqu’on travaille comme Prisma avec une régie, qui permet au réalisateur de monter en direct les images filmées sur scène par les cameramen. « Parfois, c’est un peu sport, lâche Jean-Charles qui dirige la manœuvre depuis la régie, relié aux cameramen par une oreillette. Il faut être réactif et bien se comprendre ».
Filmer un concert, « c’est une écriture spécifique, poursuit-il. Avec une narration, une façon de filmer et d’enchaîner les plans propres au genre ». Une écriture qui exige aussi un œil musical: il s’agit de transmettre l’énergie de l’artiste sur scène, de capter les échanges de regards, l’ambiance, etc. « On vit un moment intense, raconte Laurent. Et c’est génial, lorsqu’on est sur scène avec des groupes comme J.C. Satàn ou Von Pariahs de se dire qu’on pourra revivre, grâce à la vidéo, la claque qu’on a reçue en direct ».

Patrimoine non-déclaré

Si le numérique a sensiblement diminué le coût des caméras, le matériel représente toujours pour les deux structures un investissement conséquent. L’œil mécanique s’est équipé cette année de caméras HD : à 3000 euros d’occasion la bête, ça commence à chiffrer…
Avec le virage numérique, les canaux potentiels de diffusion des images se sont aussi multipliés. Via notamment les groupes qui très souvent réutilisent et partagent sur Facebook les vidéos réalisées par les deux équipes. « C’est toujours une récompense, sourit Matthieu. On fait ça aussi pour aider des jeunes groupes, dont on aime la musique ».
Parfois même, c’est un site prestigieux qui met en valeur leur boulot: comme lorsqu’Arte Live Web diffusait le concert de Montgomery capté par Prisma au 6par4 en 2010. « Un rêve, une consécration ». Et une exception, car d’ordinaire seules les images d’un ou deux titres sont utilisables – pour une question de droits – alors que l’intégralité du concert a été filmée. Nos vidéastes mélomanes possèdent donc dans leurs archives un véritable patrimoine non-déclaré : imaginez, à titre d’exemple, les concerts des 12 dernières éditions des 3 éléphants stockés bien au chaud. Un trésor qui ne demande qu’à être exhumé. Un jour, peut-être…