En septembre 2016, le collège Alain Gerbault à Laval ouvrait une classe à horaires aménagés théâtre (CHAT) avec le conservatoire et Le Théâtre de Laval. Immersion dans cette classe pas comme les autres, la 2e du genre dans l’Académie de Nantes.

Mercredi 24 mai, 9h30, conservatoire de Laval. Les 22 élèves du collège Alain Gerbault réveillent les couloirs endormis de l’ancienne caserne Corbineau. Leur journée a démarré 1h30 plus tôt par un cours de théâtre, dispensé par leur enseignante Marie Léon. Avec elle et une accompagnatrice, la classe de 6e a ensuite pris le bus TUL pour se rendre du quartier Saint-Nicolas à la rue de Bretagne. Une fois sortie des vestiaires toute de noir vêtue, la petite troupe grimpe les marches jusqu’à la salle de théâtre où Lucie Raimbault, référente pédagogique de la CHAT et Didier Lastère, responsable du département théâtre du conservatoire, tous deux comédiens professionnels, les accueillent. Tourbillon d’énergie. Joie d’être là ensemble au terme d’une année qui aura été celle des premières fois à bien des égards.
Assis en cercle sur le sol peint en noir, les collégiens commencent par un débriefing du « Prélude » qu’ils ont donné la semaine précédente au Théâtre, la première représentation publique pour certains d’entre eux : « Moi j’ai aimé être très proche du public, presque mélangée, et entendre leurs retours », glisse Zoé. Guidés par Marie Léon, les élèves expliquent ensuite qu’ils ont commencé à préparer en classe des lectures pour la « Journée nationale des écritures théâtrales pour la jeunesse », programmée le 1er juin.
Objectif du jour : poursuivre ce travail en suivant les conseils des enseignants du conservatoire. Didier Lastère insiste déjà sur l’adresse du texte : « Pour cet exercice, il faut lâcher le texte pour pouvoir regarder le public qui écoute la lecture, puis revenir au texte. C’est la manœuvre la plus difficile et la plus importante pour capter l’attention ». Avant de passer aux « choses sérieuses », on enchaîne en musique puis en silence, des exercices ludiques d’échauffement et de concentration.
Pour la première lecture, tous les élèves sont rassemblés en chœur. « Plantez vos pieds dans le sol, les jambes légèrement écartées, sans tension, les épaules bien basses, texte sur le côté, pour que le public voie tout de suite que vous êtes présents. Regardez-vous entre vous et hop on monte le texte et ça part », leur souffle Didier Lastère.
« Cap ou pas cap / C’est juste qu’il faut prendre la vague / Y en a pas des meilleures que les autres / Elles sont toutes différentes et toutes renversantes / Faut juste avoir envie de se démantibuler / Pas plus que quand tu manges / des schwimgum, ou des tagada… »
Puis Didier Lastère reprend : « Ce texte a une énergie ! Vous dites qu’on va s’amuser, qu’on va entendre plein d’auteurs différents ! Vous devez être porteurs de quelque chose de joyeux, on va essayer de partager du plaisir. Il faut attraper l’énergie et la transmettre au copain qui suit. On refait le début dans cet esprit-là. »
Les lectures suivantes s’enchaînent ainsi jusqu’à 11h30 par binômes avec des textes tantôt drôles, tantôt graves, souvent surprenants. Tous travaillés pour être partagés la semaine suivante à la bibliothèque Albert-Legendre.

Beaux débuts

L’initiative de la création de cette classe à horaires aménagés revient à Marie Léon. La jeune enseignante de français est arrivée à la rentrée 2015 au collège Alain Gerbault (classé « réseau d’éducation prioritaire »). Titulaire d’une certification complémentaire théâtre, elle souhaite mettre à profit sa position d’enseignante pour partager sa passion, ce qu’elle concrétise dès sa première année avec la mise en place d’un atelier de pratique artistique (APA) théâtre mené avec des comédiennes professionnelles, Valérie Berthelot de la compagnie Art Zygote et Virginie Fouchault du Théâtre d’air.
Très vite, elle formule le vœu un peu fou d’aller plus loin en créant une classe à horaires aménagés théâtre. Tout comme les CHAM (classes à horaires aménagés musique), ce type de classe vise une pratique artistique amateur éclairée et s’appuie sur un partenariat entre l’établissement scolaire, un établissement d’enseignement artistique et une structure culturelle. La direction du collège est immédiatement convaincue de l’intérêt du projet ; les équipes du conservatoire et du Théâtre, les élus de la ville de Laval et la direction académique ne sont pas longs à persuader. L’opération « Quartier en scène » menée à Saint-Nicolas depuis 2012 a certainement préparé les esprits et créé un environnement favorable à cette initiative. Tous se lancent dans l’aventure pour une mise en œuvre dès la rentrée suivante, en septembre 2016.
Tournée d’information auprès des élèves de CM2, auditions, premier jour, premier mois, premier-deuxième-troisième trimestres… Au terme de cette année inaugurale mêlant enseignement pratique dispensé chaque mercredi au conservatoire et cours théorique s’appuyant sur des spectacles vus à Laval et au Carré à Château-Gontier, les efforts conjugués et complémentaires du trio de choc Marie Léon - Lucie Raimbault - Didier Lastère portent leurs fruits. Et les élèves venus dans la CHAT au départ pour des raisons très diverses y ont trouvé un lieu d’épanouissement et de découverte : « On va continuer jusqu’à la 3e et encore bien après. On ne s’arrêtera plus, c’est trop génial ! ».

Une histoire de transmission

Pour Didier Lastère aussi, la création de la CHAT à Laval constitue une heureuse nouvelle. Et on peut le croire sur parole, lui qui est associé avec sa compagnie, Le Théâtre de l’Éphémère, à bon nombre d’initiatives en faveur du théâtre à l’école (Jumelages théâtre, option théâtre…) depuis une vingtaine d’années en Mayenne.
« La région des Pays de la Loire a été pionnière en matière de théâtre à l’école depuis les années 80 et reste aujourd’hui une référence au niveau national. C’est formidable de voir une nouvelle génération d’enseignants et de comédiens passionnés poursuivre le travail que nous avons initié avec des personnes comme Dany Porché autour des écritures contemporaines. J’y vois une filiation et ce n’est pas un hasard si Marie Léon est présidente de Amlet depuis cet hiver, pour moi c’est la nouvelle Dany Porché. Avec la CHAT, on transmet le goût du théâtre à 25 jeunes par niveau, qui pourront poursuivre après la 3e avec l’option théâtre du lycée Rousseau ou au conservatoire. Cela augure des développements inédits pour le territoire, j’en suis très curieux. »
Et de conclure – en bon comédien – sur les mots d’un autre : « Comme le dit très bien l’artiste Bernard Grosjean qui vient régulièrement en Mayenne pour les formations organisées par Amlet, nous ne cherchons pas à former des comédiens. Nous cherchons plutôt à faire de nos élèves des acteurs qui savent tenir debout, et sur une scène de théâtre, et dans leur vie de tous les jours. »

 

Article paru dans le dossier « que fait l’art à l’école ? » du numéro 61 du magazine Tranzistor.