Philippe Audubert : En 1998, avec différentes structures qui interviennent, comme Trempolino, dans le domaine de la pédagogie des musiques actuelles, nous nous sommes réunis au sein d’un collectif (nommé d’ailleurs très sobrement le Collectif, ndlr) afin de réfléchir ensemble à nos pratiques . C’est dans le cadre de cette réflexion que nous en sommes venus à définir la notion d’accompagnement des pratiques musicales amateurs. Tout simplement parce que des termes comme formation ou enseignement, en tout cas dans leur signification la plus communément admise, ne nous semblaient pas adaptés. Je ne crois pas que les musiques actuelles s’enseignent sur les bancs d’une école. C’est contraire à ce qu’elles sont, la façon dont elles se fabriquent, évoluent… Ces notions ne correspondaient pas à nos pratiques pédagogiques et à la façon dont on appréhende l’apprentissage de la musique. Plutôt que de transmettre un savoir, avec d’un côté « celui qui sait », le professeur, et de l’autre, l’élève, « celui qui ne sait pas », il s’agit, avec l’accompagnement, d’aider les musiciens à aller plus loin dans leur propre démarche.
C’est sur cette idée : accompagner les pratiques musicales plutôt qu’imposer un modèle, que repose la notion d’accompagnement ?
Dans cette démarche, on prend d’abord en compte la demande afin d’y répondre le mieux possible. On n’a pas de cursus linéaire ou de programme pré-établi. Il s’agit d’être réactif pour amener les gens là où ils ont envie d’aller et d’être capable de s’adapter, en fonction des personnes et de leur parcours. Cela peut aller du simple conseil au cours de technique instrumentale. Plutôt que des lieux d’enseignement, ce qu’on défend ce sont des lieux de pratique qui permettent aux gens de jouer de la musique (et pas seulement de l’apprendre) seuls ou accompagnés d’un intervenant, dans de bonnes conditions et un environnement technique, humain… adapté. On défend le jeu, la pratique directe. D’ailleurs les musiques identitaires se transmettent comme cela, directement par la pratique et l’imitation, sans passer par un apprentissage scolaire. On n’est pas obligé d’étudier un instrument pendant 10 ans pour pouvoir se produire en public. Le problème des écoles de musique, c’est que beaucoup de gens en sortent parce qu’ils veulent faire de la musique!
Définirais-tu l’accompagnement comme une alternative à l’enseignement musical classique ?
On ne crache pas sur l’enseignement bien au contraire. Il y a des moments dans l’accompagnement, où il est nécessaire de passer par l’enseignement, des cours de technique vocale ou instrumentale…, parce que ça correspond à un besoin, à un manque qu’il faut combler pour avancer. On ne se définit pas en opposition aux écoles de musique. Ce qu’on propose c’est autre chose, une autre voie. Les écoles de musique ne répondent que partiellement à la demande des personnes qui veulent faire de la musique aujourd’hui. En caricaturant, que tu veuilles devenir concertiste ou te faire plaisir avec tes potes… elle te propose le même modèle. On n’est pas contre l’existence de lieux d’excellence, nous disons qu’il faut de tout. Or aujourd’hui, même si les écoles de musique évoluent dans cette direction, trop peu de lieux répondent à la demande de ceux qui veulent faire de la musique en amateur, pour leur plaisir et leur épanouissement personnel. Comme ils feraient du sport ou du théâtre. Dans ces domaines, on est très bien organisé pour répondre à ce type de demande et la frontière entre amateurs et professionnels est très claire. Et dans le secteur des musiques actuelles plus qu’ailleurs, on a complètement oublié pendant des années les pratiques amateurs : ce secteur ne s’est développé qu’en résonance avec la pratique professionnelle et l’industrie musicale. Tous les dispositifs d’aide, tous les lieux, de concerts notamment, sont configurés sur ce schéma-là. Il n’existe aujourd’hui aucun espace de diffusion public pour les pratiques amateurs. Il faut réinventer les kiosques à musique des villes et des villages, des espaces où les gens pourraient venir jouer ensemble de façon impromptue.
Vous développez avec Trempolino des dispositifs de résidence-formation comme « Artistes en scène ». Que peuvent apporter ces formations à la démarche d’un groupe ?
Ces formations s’adressent plutôt à des groupes professionnels ou engagés dans une démarche de professionnalisation. Pour résumer, l’objectif, c’est de faire gagner un peu de temps aux musiciens, en les aidant à résoudre un certain nombre de problèmes, qui sont ceux que rencontrent les groupes en développement. Il s’agit de les aider à franchir un cap. Par le biais d’une rencontre avec un intervenant, souvent un musicien professionnel, porteur de plus d’expérience. Là encore l’idée ça n’est pas de dire : « il faut que vous fassiez comme ça ou comme ci ». On n’est pas dans de la production ou de l’aide à la création, mais bien dans un acte pédagogique, où l’intervenant propose son analyse, dit ce qu’il a vu, entendu… Il sert en quelque sorte de miroir, renvoie au groupe une image de ce qu’il fait. Cela peut permettre aux musiciens de mieux comprendre certains problèmes, de les verbaliser… On donne des clés pour ouvrir des portes. Aux musiciens de s’en saisir ou pas. Encore une fois, il s’agit de se mettre au service du projet des musiciens, rien d’autre!
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