Musique au chevet, expérience virtuelle, atelier d’écriture, rééducation par la danse… Quatre femme engagées témoignent des bienfaits de la culture à l’hôpital.

Mélanie Péron

Créatrice de L’Effet Papillon

« Facilitateur de mieux-être.» Voilà comment Mélanie Péron présente L’Effet Papillon. Plongée malgré elle dans l’univers aseptisé de l’hôpital – elle a accompagné un proche atteint d’une leucémie pendant 18 mois – la jeune femme en a développé une furieuse envie d’adoucir le quotidien des patients et de leur entourage. « Quand vous êtes immergé dans la maladie, vous découvrez l’isolement. C’est comme si on vous mettait entre parenthèses, comme si, derrière la vitre, les gens continuaient d’avancer, en couleurs, tandis que vous restez immobile, en noir et blanc. » Pour enrayer cette insupportable coupure sociale et culturelle, la trentenaire, alors bibliothécaire, décide de tout plaquer pour se lancer dans une aventure inédite : organiser des petits moments de répit, sortes de micro-respirations qui permettent d’oublier ou au moins d’atténuer un instant la maladie et la douleur.

Passionnée de musique, elle souhaite mettre en place des mini-concerts à l’hôpital. « Autour de moi, personne n’y croyait ! » En 2011, à force de persévérance, de volonté et d’énergie, elle parvient à créer la première édition des Échappées contées et chantées, à la Polyclinique du Maine, à Laval. Huit ans plus tard, plus de 3 000 patients ont assisté à la cinquantaine de spectacles organisés par L’Effet Papillon. En juillet dernier, le duo Tommy Ferdinant est venu se produire dans le service de cancérologie de l’établissement lavallois, sous le regard bienveillant des soignants. « On a partagé des moments assez exceptionnels », rapporte son chanteur, Timothée Gigan-Sanchez. « En allant à la rencontre des patients, de chambre en chambre, ce n’ était pas forcément gagné d’avance. Certains, plutôt réticents, ont finalement accepté et apprécié notre venue. » Petit moment de grâce.

Aujourd’hui, l’entreprise à vocation sociale de Mélanie est en pleine expansion. Elle vient d’emménager à La Licorne, l’hôtel des entreprises innovantes de Laval, et son équipe s’est étoffée. En plus des Échappées et des différents soins de support (socio-esthétique, art-thérapie, musicothérapie…) qu’elle propose, avec des professionnels diplômés, Mélanie diversifie son activité grâce à Bliss, un casque de réalité virtuelle qui emmène ses utilisateurs dans une expérience onirique et sensorielle unique, dont la BO est signée du compositeur rennais Sylvain Texier. Reconnu dispositif médical, Bliss, développé par Enozone à Saint-Berthevin, est présent dans une vingtaine d’établissements hospitaliers en cancérologie, gynécologie, urgences pédiatriques… « Les professionnels de santé l’utilisent pour gérer la douleur physique de leurs patients en alternative aux méthodes d’anesthésie classiques, lors d’actes pénibles ou en situation anxiogène », note Mélanie. Bliss peut aussi être un outil précieux pour lutter contre le stress, à l’hôpital ou ailleurs. « L’idée est que les gens partent dans leur imaginaire. Et ça marche ! »

 

Blandine Paumard

Psychomotricienne au service musculation physique et réadaptation du centre hospitalier de Laval

« Grâce à l’atelier Corps et mouvement, les patients avouent redécouvrir une partie de leur corps et ça, c’est vraiment très bien ! » Blandine Paumard a le sourire jusqu’aux oreilles et une lueur particulière dans le regard lorsqu’elle se rappelle certains témoignages. Cette Mayennaise de 42 ans est psychomotricienne au centre hospitalier de Laval depuis douze ans maintenant. Pendant ses études de psychologie, elle a une seule certitude : elle a besoin d’action. « Je ne me voyais pas être psychologue, où on parle seulement. » Elle entrera, sur concours, dans une des rares écoles françaises de psychomotricité à Lille.

Quelques années plus tard, c’est toujours le besoin d’agir qui la guide. Cette pétillante brunette fait partie de l’équipe de thérapeutes qui a mis en place il y a quatre ans l’atelier Corps et mouvement au centre hospitalier. Laëtitia Davy, danseuse et enseignante au conservatoire de Laval Agglo, intervient auprès des patients du service de réadaptation. Qu’ils soient en fauteuil, handicapés provisoirement ou plus durablement, ces accidentés de la vie sont tous invités à participer en groupe. « Il y a parfois quelques réticences à cause de la danse et du regard des autres mais au final peu refusent et la mayonnaise prend dès la première séance. »

Pendant cinq séances d’une heure et demie, les thérapeutes laissent la place à l’artiste. Le geste thérapeutique s’efface au profit du geste plaisir. Les corps meurtris retrouvent les sensations qu’ils pensaient oubliées. L’intervenante artistique ne veut rien savoir des pathologies. Elle propose des gestes librement inspirés du spectacle auxquels les patients assisteront à l’issue des séances, au Théâtre de Laval. Pour Blandine c’est évident, il y a un avant et un après atelier, y compris pour elle. « Il y a même des patients qui veulent continuer à la sortie de l’hôpital. »

 

Murielle Fléchard et Audrey Dassibat

Infirmières à l’hôpital de jour en santé mentale de Laval

L’ idée est venue d’une rencontre avec l’équipe de Lecture en tête, organisatrice du Festival du 1er roman, il y a quatre ans. Permettre à un écrivain en résidence d’animer un atelier d’écriture pour les patients de l’hôpital de jour. Murielle Fléchard, infirmière, se souvient : « on a été ravis et touchés par cette démarche et on a dit oui tout de suite ». La lecture était déjà très présente à l’hôpital. Au travers d’un atelier « mémoire »,  Murielle et ses collègues ritualisaient la rencontre entre un ouvrage et les patients. Mais avec l’atelier d’écriture, c’est une étape supplémentaire qui est franchie. Audrey Dassibat explique : « le patient psy vit en marge, d’abord à cause de sa maladie, mais aussi à cause du regard des autres ». Cette rencontre avec une personne qui incarne la « normalité » est donc un évènement en soi.
L’équipe soignante prépare en amont les trois à quatre séances prévues avec l’auteur pour huit à douze patients différents à chaque fois. Mais lorsque démarre la rencontre, les soignants deviennent des participants comme les autres et seul le romancier reste à la barre. « C’est une rencontre entre deux bienveillances, celle de l’auteur et celle des patients, il ne peut en sortir que du bon » confie Murielle, qui ne pourrait plus se passer de ces ateliers. Et ça fonctionne ! Les patients jouent le jeu et se lâchent sous l’impulsion des auteurs. Ils expriment des sentiments, une vision du monde que seule la présence d’un non soignant peut déclencher.
Ces deux femmes engagées, 33 ans de psychiatrie cumulés, restent malgré tout réalistes. « On n’attend pas de miracle mais il y a des choses qui émergent ! » Pour elles, cet atelier est une « parenthèse indélébile » dont il reste forcément des traces chez leurs patients. Des bribes de parole libérée qu’elles peuvent « convoquer » lorsque ceux-ci en ont besoin.

 

Article paru dans le dossier «L’art peut-il soigner ? » du numéro 65 du magazine Tranzistor.