Histoire de réviser leurs classiques avant le grand oral sur la scène du 6par4, Nicolas, Christophe et David se soumettent à l’exercice périlleux du blind-test. A vos champignons, prêts ? Partez !

Roy Ayers « Green & Gold »
(sûrs d’eux) Robert Washington Junior ? Non, c’est un truc récent… (confusion générale). Début 80 ? Non, fin 70 ? (hésitant). Lionel Hampton ? C’est pas Roy Ayers ?

Si ! Vous avez samplé son morceau « Everybody Loves the Sunshine » pour le premier titre de votre nouvel album…

Oui, c’est l’un des rares samples de l’album à proprement parler. C’est d’ailleurs plutôt un clin d’œil, car beaucoup de gens l’ont déjà utilisé. On se sert parfois de samples piqués sur des disques mais la plupart du temps, nous créons nous-mêmes nos samples. Nous sommes des fanas de matos, pour toutes possibilités qu’il offre et pour le son qui en sort ! Grâce aux quelques vieux instruments « vintage » qu’on utilise, et au travail de notre ingé son, Florian, nos samples sonnent souvent comme s’ils étaient tirés d’un vinyle d’époque.

Vos influences proviennent indéniablement de la soul, du funk des années 60-70. Est-ce qu’avec Smooth vous cherchez à reproduire l’univers musical de cette époque « bénie » ?

C’est par le hip hop que nous avons découvert la soul ou le jazz funk des 60’s et des 70’s, en recherchant les morceaux originaux dont étaient tirés les samples de Tribe Called Quest ou du Wu Tang. A cette époque, ces musiques étaient créées en même temps qu’apparaissaient les premiers claviers Fender et autres machines analogiques, ce qui a donné libre cours à toutes les expérimentations. A l’image des Pink Floyd par exemple, qui sont allés très loin dans la recherche de nouveaux sons et l’utilisation de la technologie. Leur live à Pompéi est extraordinaire ! Ils ont vraiment essayé plein de trucs, les intros interminables, les câbles partout (rires)… Toutes ces recherches sont à l’origine de cette richesse musicale qui nous fascine aujourd’hui.

 

Nicole Willis « Feeling free »
(Dès les premières notes) Santana ? Curtis Mansfield !? Ah non c’est une chanteuse… C’est un vieux truc ça. C’est sacrément bon ! Tina Turner (rires) ? Etta James ? Betty Lavette ? Non franchement, on voit pas… Joker !

C’est Nicole Willis. Et c’est loin d’être un « vieux truc », puisque le disque dont est extrait ce morceau vient de sortir ! Mais c’est vrai que « ça sonne » vraiment comme un disque des seventies. Il y a aujourd’hui des artistes comme Nicole Willis ou Sharon Jones qui cherche à reproduire, voire à imiter le son de ces années-là… Vous semblez pas vous situer dans cette démarche…

On ne cherche pas à tout prix à reproduire ce son. Mais plutôt à confronter ces influences avec des sonorités et des techniques actuelles, pour créer un son hybride, entre deux époques. On a eu quelques projets, par exemple avec les rennais de Boogaloo et Lotari, qui étaient dans ce trip de reproduction fidèle… Et sur certains morceaux, comme sur « Carry Me » un titre de leur premier album, ndlr), on a voulu créer l’illusion, retrouver le grain de l’époque, notamment sur le son de batterie… Mais la démarche originelle de Smooth n’est pas axée là-dessus. Ce qui prime avant tout, copie ou pas, c’est qu’on se fasse plaisir !

Entre soul, funk, electro, rock et hip-hop…, votre musique est assez difficile à qualifier. Le fait d’être « inclassable » est souvent handicapant pour un groupe, que le public, les journalistes ou les programmateurs ont des difficultés à identifier. Mais dans votre cas, cela ne semble jamais avoir posé de problèmes ?

Non, c’est vrai qu’on n’en souffre pas vraiment. Pour nous, c’est plutôt un compliment d’être qualifié d’« inclassable ». Notre musique est très égoïste, faite de clins d’oeil, nourrie d’influences d’autres époques et aussi de ce qu’on se fait découvrir entre nous, et ce, sans qu’il y ait de véritable démarche commerciale derrière… Au-delà des styles et de leur classement, l’essentiel pour le public, c’est de voir sur scène des musiciens qui jouent avec sincérité, qui partagent entre eux quelque chose de fort, et qu’ils communiquent aussi au public. On peut autant s’éclater à concert de hip hop, où les mecs sont authentiques dans ce qu’ils font, que devant un trio de jazz qui prend son pied sur scène… La sincérité est la même.

 

The Beatles « Lovely Rita »
Les Beatles bien sûr ! Mais sur quel album ? Revolver ? Abbey Road ? L’album blanc ? Sergent Pepper’s ! (ils fredonnent en choeur) « Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band »…

C’est une référence commune pour vous trois ?

Oui, c’est tellement fort dans la « surpuissance » mélodique et les arrangements. Et puis ils étaient vraiment novateurs, notamment par rapport au travail en studio… Avec Abbey Road, ils ont presque inventé le home studio, trente ans avant ce que l’on connaît aujourd’hui.

Vous avez-vous aussi votre home studio, qu’a-t-il modifié dans votre façon de travailler ?

Le luxe du home studio, c’est le temps. Chez nous, nous avons tout le temps pour faire mûrir les morceaux. On peut apporter une touche plus personnelle à nos disques que lors d’une semaine épuisante d’enregistrement en studio, où tout doit être calé et prêt dans les temps.

 

Troublemakers « V72 »
C’est Troublemakers (emballés). Leur premier album Doubts & Convictions nous a beaucoup influencés, c’est l’un des derniers groupes français à nous avoir mis une grosse claque.

Votre musique est plus « live » et moins marquée electro que celle des Troublemakers ?

On fait trop souvent l’amalgame entre la façon de travailler, les outils utilisés et la musique produite au final. Nous sommes un groupe electro au sens où nous utilisons des machines sur scène pour soutenir le trio acoustique. On utilise notamment les boucles de samples pour amener une forme de transe… Mais notre musique ne sonne finalement pas très electro, puisque la majorité des samples enregistrés sur nos machines sont acoustiques. Cela donne une texture moins froide que si l’on utilisait des sons purement électroniques.

Sur cet album on sent que vous souhaitez donner une place plus importante au chant…

Notre premier effort porte toujours sur le travail de la mélodie, ensuite chacun apporte son idée, puis on voit où ça nous emmène, on se laisse porter sans idées préconçues… Avec ce deuxième album, on est naturellement allé vers quelque chose de plus pop, moins cinématographique, mais on pourrait spontanément revenir à un truc plus instrumental pour le troisième… Il n’y a pas de calcul, que du ressenti ! La voix reste pour nous un instrument à part entière, bien que vivant et donc plus chargé émotionnellement. Il n’y a pas « le chanteur et son groupe »… C’est aussi le mixage qui a évolué. Sur le premier album, le chant était davantage « rentré » dans le mix. Aujourd’hui, il est mis bien plus en avant.

 

Hocus Pocus « Feel Good »
Coup2Cross ! C’est le featuring de C2C sur l’album d’Hocus Pocus. Un de leurs dj’s, Pfel, a d’ailleurs participé à notre disque.

La majorité des featurings sur le disque sont assurés par des musiciens nantais. Vous êtes fiers d’appartenir à cette scène ?

Il y a une vraie émulation entre les groupes nantais. On se connaît tous. On se sent des points communs avec ces groupes qui, comme nous, sont respectueux d’un certain héritage musical. Que ce soit Hocus Pocus qui se réfère au message initialement positif du hip hop, ou Dajla qui s’inscrit dans une tradition soul-funk, tous transmettent ces références intelligemment et sans avoir la prétention de réinventer la musique chaque matin.

Vous allez maintenant défendre votre disque sur scène. Comment envisagez-vous le passage du studio au live ?

Après notre premier disque s’est posé le problème de la scène. Il a fallu trouver le moyen d’intégrer les machines au trio acoustique, tout en gardant un son « live ». C’est Christophe qui a trouvé la clé. Il déclenche les samples tout en jouant de la batterie, et parvient à se caler sur le tempo des machines, sans que celles-ci viennent trop rigidifier notre jeu. C’est évidemment une autre approche, il y a en concert plus d’énergie mais aussi plus de fragilité. Les gens qui nous voient sur scène nous disent souvent que ce qui ressort du live, ce n’est pas tant la technique de tel ou tel musicien mais la synergie, la complicité du groupe… C’est peut être cette énergie collective qui fait notre succès…