Plus belle la vie. Depuis 2011, L’EFFET PAPILLON et sa bouillonnante créatrice, Mélanie Péron, invite des musiciens à jouer dans les chambres de la Polyclinique de Laval. Quelques moments de douceur qui viennent illuminer la vie des patients, et secouer celles des artistes. Témoignages.

C’est lorsqu’on en franchit la porte de sortie, et qu’on se reconnecte au réel, que l’on comprend à quel point l’hôpital est un monde à part du monde. Un univers clos, où se mêlent chaleur humaine (les soignants sont des gens formidables!), lumières néon, odeurs de médocs, mobilier en inox et déco sans âme. Un espace fonctionnel et aseptisé qui ne laisse pas « beaucoup de place à la vie », constate avec regret Mélanie Péron. Il y a quelques années, cette Lavalloise de 35 ans s’est retrouvée confrontée de plein fouet aux réalités, parfois dures à avaler, du monde hospitalier. Pendant 18 mois, elle a accompagné un proche atteint d’une leucémie, au centre de cancérologie d’Angers. Là, elle découvre « à quel point on est coupé du monde extérieur lorsqu’on est hospitalisé. Plus possible d’aller voir un concert, un film… Reste la télé ou internet ».

Bénabar à son chevet

Apprenant que Bénabar est en tournée dans la région, au culot – « comme, je le fais souvent » , rigole-t-elle -, elle envoie un e-mail au manageur du chanteur, qui, contre toute attente, répond. Et accepte de venir leur rendre visite à l’hôpital.
C’est là qu’est née l’idée de L’Effet Papillon : créer des choses simples, en complément des soins médicaux, pour embellir la vie des malades. Clin d’oeil reconnaissant à une chanson de Bénabar, le projet emprunte aussi son nom à la fameuse théorie de Lorenz, qui démontre qu’un papillon au Mexique peut provoquer une tornade en Californie… Traduction, version Mélanie : une petite action peut être suivie de grands effets.
En 2009, elle lâche donc son boulot de bibliothécaire et multiplie les rencontres pour nourrir son projet, qu’elle lance deux ans plus tard. S’adressant aux centres hospitaliers, aux associations de patients ou aux particuliers, son « entreprise sociale » propose, via des prestataires professionnels, des services de mieux être (sophrologie, socio-esthétique, art-thérapie…) pour des publics fragiles. « De nombreuses études montrent que les patients qui bénéficient d’art-thérapie, ou qui écoutent de la musique, etc. ont une meilleure adhérence aux traitements médicaux, prennent moins d’anti-dépresseurs, font moins de rechutes… » , développe Mélanie.
Basée à Laval – « parce que je suis d’ici, et que, même sans les moyens des grands centres hospitaliers, à Laval aussi on peut faire des choses. On est tous acteurs du changement, j’y crois profondément » -, elle convainc en 2011 la Polyclinique du Maine d’accueillir la première édition des « Échappées contées et chantées ». Fan absolue de musique – « je ne pourrai pas vivre sans » avoue-t-elle -, Mélanie propose à des musiciens et conteurs de venir jouer, six fois dans l’année, dans les chambres du service cancérologie de l’hôpital.
L’opération, financée par la Polyclinique, la DRAC et l’ARS des Pays de la Loire, est un succès, renouvelé ensuite chaque année. Depuis fin 2011, 13 spectacles ont ainsi été proposés à 600 patients et familles. Et The Last Morning Soundtrack, Los Manchos de la Mancha, Bretelle & Garance, Pierre Bouguier ou le conteur Olivier Hédin ont défilé à la clinique, guitare en bandoulière…

Une bouffée d’air vitale

Un vendredi de septembre. Deux individus étranges, robe de dentelle pour elle, bleu de travail pour lui, déambulent, l’accordéon à la main, dans les couloirs blancs du 3e étage de la Polyclinique du Maine. Puis toquent à la porte d’une chambre, où ils disparaissent bientôt… Vincent de Bretelle & Garance (puisque c’est d’eux qu’il s’agit) raconte : « Là, c’est du direct. Tu rentres dans une chambre et tu ne sais pas ce que tu vas découvrir. Avec la douleur en toile de fond… D’un coup, tes chansonnettes te paraissent dérisoires ». Habitués des « Échappées », les musiciens de Los Manchos confient aussi leur gêne, la première fois qu’ils sont entrés dans la chambre d’un patient : « on avait peur de déranger, de faire intrusion. Mais très vite, on s’est rendus compte qu’on était très attendus ». Anita Vachette, infirmière responsable du service, confirme : « les patients apprécient beaucoup… Ils nous disent que ça leur remonte le moral. Et nous en reparle longtemps après ».
Parfois une personne arrête les artistes dans le couloir, leur demande un morceau. D’autres malades arrivent, rejoints par les aides-soignantes, le regard amusé. Quelque chose se passe, brise la routine, et « la musique pose les parenthèses d’un moment hors du temps », philosophe Greg de Los Manchos.
Les chansons ne sont plus alors qu’un moyen, un prétexte à la rencontre, l’échange, l’évasion. « Le rôle d’un artiste, c’est aussi ça, réalise Vincent alias Bretelle. Faire rêver, s’évader un temps. Tu repars en laissant derrière toi une traînée dans l’air dont tu ne sais pas si elle sera longue ou éphémère. En tout cas pour les malades, ça a beaucoup de sens. En cancéro en particulier, tu vois que tu as ta place et que tu peux être utile aux gens. Certains t’accueillent et s’emparent de toi comme une bouffée d’air vitale. Tu as devant toi la preuve que l’art et le rêve sont indispensables à un environnement humain. C’est très fort. »

Festi à l’hosto ?

Si les musiciens apportent beaucoup aux malades, nombre d’entre eux sortent aussi de ces expériences bouleversés. « C’est un truc de fou à chaque fois, une leçon de vie dont tu ressors changé, grandi, témoigne Greg. On resigne direct pour une prochaine édition ! » Pas de souci, c’est prévu. Mélanie Péron relancera en 2014 ses « Échappées ». Avec l’envie d’impliquer davantage les acteurs culturels locaux. « On pourrait imaginer par exemple que certaines salles ou festivals délocalisent des spectacles ici, afin de mixer les publics, d’ouvrir encore davantage l’hôpital au monde extérieur. Il y a une vie culturelle incroyable en Mayenne. À nous de montrer qu’on peut aussi être innovant socialement ! »
Carburant à l’enthousiasme, la jeune femme déborde d’idées, de projets (travail de recherche avec la Clinique Victor Hugo du Mans sur l’évaluation des bienfaits de la sophrologie et de la socio-esthétique, développement d’une appli web pour les patients en situation d’isolement, etc.). Au détour d’un couloir de la Polyclinique, alors que les notes d’un accordéon s’évadent d’une chambre, elle glisse : « dans ce genre de lieu et de situation, on ne peut pas tricher, on ne peut être que soi-même. Et ça change tout, parce qu’on touche à l’essentiel ».