Je réalisais il y a peu un sélection musicale pour Les Hommes préfèrent les ondes, l’émission ultra-confidentielle des esthètes de l’art radouL brank et Dj Zukry sur Radio Foirail. Encore sous l’effet du film Control, dédié à Ian Curtis (le chanteur de Joy Division, atteint d’épilepsie), je plaçais cette modeste sélection sous l’égide du rock épileptique. Un concept à moi, foireux sans doute, qu’on pourrait résumer par ces quelques mots : guitare violence et hâchures rythmiques, rage rentrée et tension continue, heurts brutaux et crises cardiaques à répétition…, vous voyez le genre ! J’aime quand il y a dans la musique quelque chose d’étranglé, d’entravé, en attente d’être libéré. J’ai toujours eu un faible pour le rock quand il est agité de spasmes, épidermique et fébrile. La violence se déguste en tranches. Sèche et zebrée d’éclairs. Les épileptiques du rock, genre Sloy, Fugazi, US maple et autres Jesus Lizard se retrouvaient donc naturellement dans ma playlist radiophonique. A laquelle vinrent s’ajouter en dernière minute les nantais de Papier Tigre, conséquence logique de leur excellente prestation du 2 novembre dernier à l’Antidote.

 

C’était leur deuxième concert d’une tournée chargée : plus de cinquante dates prévues dans toute l’Europe. Un putain de bon concert. Plein la gueule pour cinq euros. Avec eux, le rock passe à la moulinette et se fait méchamment concasser la figure. Ils en font de la charpie. Te mettent tout ça dans une bétonnière. Et hop c’est parti pour un tour de toupie. Ca se barre dans tous les sens. Ca ressemble à tout, ça ressemble à rien. Pas de basse, un chant écorché à la Fugazi, deux guitares (pour les fétichistes, une Rickenbacker trop belle et une SG). Une pour l’aigu, stridente à souhait; l’autre, saturée cradingue, pour les basses et les médiums. Et puis une batterie, mazette ! D’avance déjà, j’ai tendance à être impressionné par les batteurs, mais là ! Là, mon bonhomme, c’est quequ’chose. Super fort le mec. Je ne parle pas de technique, on s’en fout. Nan, ce type invente sa façon à lui de jouer de la batterie, son vocabulaire, neuf et individuel. Jamais vu quelqu’un jouer pareil. Comme s’il jouait d’un nouvel instrument. Et puis ce qu’il envoit ! C’est l’épine dorsale du groupe. Celui autour duquel le trio s’organise, s’enroule, s’articule et se désarticule. Celui qui donne le poul, la pulse. Le coeur sacrément flippé de ce tigre sous amphés. Un fauve imprévisible.
Coups de griffes. Mouvements saccadés. Leurs morceaux procèdent par suprises, constants revirements de situation. Le scènariste a du s’amuser. En tout cas, bon public, moi je jubile dans mon coin. Conquis devant tant d’imprévus, pressentis mais jamais prévisibles. Planté là à quelques centimètres d’eux, je tente de déceler les inflexions imperceptibles qui annoncent le virage, le break ou l’explosion imminente. A ce jeu d’anticipation : « devines ce qui vient après », je gagne souvent. Pourtant ils brouillent bien les pistes, truffent tout ça de pièges et de chausses trappes en tous genres. Sinon, ils s’ennuiraient : « au bout de 30 secondes, on s’emmerde si on garde la même idée, on a envie de passer à autre chose » me raconte le chanteur après le concert. Du coup, il y a wat milles idées à la minute, 15 chansons dans l’une. Poupée russe. Sacrément bourrée à la vodka. En plein bad trip dans des montagnes russes, elles aussi. C’est gavé de ruptures, de breaks. Mais pas des breaks pour faire joli, qui servent à rien, qui cassent le trip. Non, malgré tous les détours, la direction reste la même. Ne me demandez pas laquelle. Il y a dans leur musique une tension qui plane en permanence, même dans les silences.

 

Ces mecs jouent avec les codes du rock. Ont tout assimilé et digéré, de Chuck Berry aux Pixies, des Stooges à Jon Spencer. Et ils nous recrachent ça, en vrac. Ils s’amusent avec le corps toujours bien vivant du rock’n’roll, le malmène pour voir s’il crie encore. De toute évidence, le bougre a conservé toute sa vigueur.
Ca déconstruit sec donc, mais sans perdre de vue que le rock’n’roll, ça se joue le feu au cul. Les gars de Papier Tigre font dans le compliqué certes, mais sans jamais perdre contact avec leurs émotions. Savante peut être, alambiquée sans doute, leur musique n’oublie jamais la violence et l’énergie orginelles du rock. Cette électricité qui traverse les chansons de Little Richard comme celles du Velvet Underground ou de Joy Division. Le rock de l’épileptique. La boucle est bouclée. Juste deux (très) mauvais jeux de mot pour finir, Papier Tigre, man, c’est carton ! Et félin des meilleurs groupes que j’ai vu sur scène ces derniers temps…

Merci à Jeff Houdman pour l’organisation