Wilfried Jude pratique avec passion l’art de la transmission. Après avoir œuvré près de 20 ans à la sensibilisation et l’éducation au cinéma, il assure depuis 2022 la direction artistique d’Atmosphères 53. A quelques jours du festival Les reflets du cinéma canadien, gros plan sur un passeur d’images, réalisateur à ses heures.

 

Léger flottement lorsqu’on arrive dans les bureaux d’Atmosphères 53, Wilfried Jude s’interroge : « Ah bon, tu veux que l’on parle pendant l’interview de nos actions d’éducation à l’image ? Je ne suis pas sûr d’avoir tout en tête, notamment si tu as besoin de chiffres ». On lui aurait pardonné un oubli ou une erreur, tant le boulot abattu en la matière par Atmosphères 53 est conséquent : projections sur le temps scolaire préparées en amont en classes, formations des profs, ateliers de création audiovisuelle… 10 000 élèves sont touchés chaque année par le dispositif Ciné-enfants, 5000 par Collège au cinéma, 2500 par Ciné-Lycéens… Sans compter les nombreuses actions aussi initiées par l’asso autour de ses évènements, ainsi qu’en milieu hospitalier, carcéral, etc. 

Cela dit, on ne se faisait pas trop de souci quant à la capacité de ce quinqua, barbe de trois jours et pull jaune curry, à parler d’éducation à l’image. « Je suis né professionnellement au moment où tout cela émergeait », confirme-t-il. Au début des années 2000, il multipliera les expériences en tant qu’intervenant dans le cadre d’actions de sensibilisation et d’éducation au cinéma : chantier d’insertion, atelier de réalisation vidéo, analyse filmique…  

De Deux-Sèvres à la Guyane ou l’Afrique, du 92 à la région Centre (où il coordonnera le dispositif régional Passeur d’images), il s’emploie à permettre à chacun et chacune d’accéder et goûter aux plaisirs du 7e art dans toute sa diversité, au-delà des blockbusters qui écrasent le box-office. 

Un art de la transmission que ce Niortais de naissance cultive depuis sa tendre adolescence. À 12 ans, ce fou de bd (de Manara à Loisel) anime une émission de radio puis créé avec des potes un fanzine pour partager ses découvertes et coups de cœur. Il y signe aussi déjà des chroniques cinéma. Dessinateur averti, il entre en 1990 à l’institut des arts visuels d’Orléans, avec en ligne de mire, l’option cinéma proposée par l’école en fin de cursus. Il y réalisera deux films, dans le cadre de projets de fin d’études. Quelques années plus tard, il participe à plusieurs tournages en tant que cadreur et directeur de la photographie, réalise une mini-série documentaire en 11 épisodes… Et signe en 2022 Terra Incognita, un court-métrage expérimental autoproduit…  

Un certain regard

C’est en octobre de la même année 2022 qu’il atterrit en Mayenne, à la direction artistique d’Atmosphère 53. Partageant les valeurs d’éducation populaire de l’association, il voit ce nouveau job comme un défi « palpitant« , lui qui n’avait jamais fait de programmation auparavant. Après deux décennies consacrées à l’éducation à l’image, Wilfried voulait prendre un virage, explorer de nouveaux champs du paysage cinématographique. Le challenge est d’autant plus ambitieux que l’activité de l’association est dense et foisonnante.  

Hormis la programmation des cinémas de Gorron et Évron, aussi pilotée par Atmosphères, Wilfried assure la direction artistique de tous les temps forts de l’association : coups de cœur hebdomadaires art et essai pour trois cinémas du département, séances estivales Cinéma en plein air, Rencontres ciné et santé, festival du film judiciaire de Laval et Les Reflets du cinéma, événement phare de l’asso consacré chaque année au cinéma d’un pays ou d’un continent.  

Un défi là aussi, qui relève le pari de dresser en 35 films un panorama fidèle de la filmographie d’un pays. De quoi combler la curiosité et la soif de découverte du programmateur, qui se réjouit à l’idée d’arpenter de nouveaux espaces cinématographiques, culturels, géographiques… Pour effectuer ce travail passionnant, il doit se documenter, voir beaucoup de films, et parfois mener l’enquête pour mettre la main sur certains long-métrages introuvables…

« Un film doit nous raconter quelque chose de l’état du monde dans lequel on vit. »

Collégiaux, les choix de programmation sont pour la plupart partagés avec les bénévoles d’Atmosphères, qui épaulent toute l’année l’équipe de 7 salariés de l’association. Un fonctionnement parfois chronophage mais vertueux, qui garantit une diversité de points de vue. Mettant la focale sur la création cinématographique actuelle, la programmation de la 27e édition des Reflets trahit tout de même un peu les penchants de son directeur artistique pour le cinéma expérimental et le documentaire notamment. En témoigne la carte blanche donnée cette année au très actif Office national du film canadien ou bien les focus dédiés à David Cronenberg, Denis Côté et Guy Maddin.  

Mais hors de question de mettre ses goûts personnels en avant, le métier de programmateur a obligé Wilfried à changer sa focale et adapter son positionnement, pour tendre vers la plus grande objectivité possible. Au-delà des problématiques d’équilibre de programmation, des questions économiques ou de disponibilité des films, un critère s’impose comme une évidence dans ses choix : « un film doit proposer un point de vue singulier, nous raconter quelque chose de l’état du monde dans lequel on vit  ». 

Playlist

1- Michel Jonasz – Dites-moi  

2- Alex Beaupain – Pourquoi battait mon cœur 

3- Pink – Never gonna not dance again   

4- Lisa LeBlanc – Pourquoi faire aujourd’hui 

 
Chaque premier jeudi du mois à 21h sur L’autre radio, Tranzistor l’émission accueille un acteur de la culture en Mayenne : artiste, programmateur, organisateur de spectacle… Trois fois par an, Tranzistor part en « live » pour une émission en public. Au programme: interviews et concerts avec deux ou trois artistes en pleine actualité. 

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