Au générique, trois réalisateurs aux profils très différents, partageant au moins deux points communs : ils font tout à fond et fabriquent leurs films de A à Z. Portraits.

Ananda Safo

© Florian Renault

Ãnanda Safo

Réalisatrice depuis 10 ans, elle travaille aujourd’hui sur son premier long métrage.

La musique – particulièrement le rock – imprègne ses films. Comme un fil rouge. Qu’il s’agisse de Tropic Ending, vidéoclip désopilant du duo lavallois Joy Squander ou de Red Dolman, sensible court métrage traduisant la détresse d’un chanteur qui apprend le décès de son père, juste avant de monter sur scène. « J’ai été baignée dans la musique très tôt… J’avais un oncle guitariste dans un groupe de rock. J’allais voir ses concerts et je trouvais ça fascinant. »
Dès son plus jeune âge, à Bourges, Ãnanda Safo pratique la danse, le cirque, le théâtre, s’intéresse au costume. « À 12 ans, déjà, je lisais beaucoup de pièces. Je les réécrivais et j’attribuais les rôles à mes frères et ma sœur. » Sa mère l’emmène au ciné, l’initie aux films d’auteur. Son premier choc : La Leçon de piano, de Jane Campion. Après son bac, elle découvre la vidéo aux Beaux-Arts, s’oriente ensuite vers l’histoire de l’art, option cinéma. Puis devient professeure des écoles. Et se consacre, en parallèle, à la photographie et à l’illustration. « Tout cela ne me suffisait plus. J’avais besoin d’un art complet pour exprimer ce que j’avais à dire. » Elle quitte son poste d’enseignante pour se lancer dans une aventure plus risquée : l’écriture et la réalisation.

Résidence à Los Angeles

En 2011 sort Some Girls, sa première fiction produite grâce à une campagne de financement participatif. La même année, Ãnanda s’installe à Laval. « J’arrivais de Nantes où il était difficile de démarrer dans le cinéma. La Mayenne offrait la possibilité d’être identifiée plus aisément. » Avec Atmosphères 53, elle anime des ateliers auprès de scolaires et dans des structures jeunesse. « Pour moi, la notion de transmission est essentielle ! » Aujourd’hui encore, l’éducation à l’image occupe une partie de son temps. Fin 2017, à Évron, elle initiait des élèves de seconde à l’écriture de scénario, dans le cadre du dispositif Lycéens au cinéma.
Depuis 2011, l’artiste multiplie les projets, obtient des prix, participe à des concours. Son dernier bébé : Histoire de café, un documentaire récemment présenté à Angers, donne la parole à des femmes issues de l’immigration et réfugiées.
Désormais, le temps est venu pour Ãnanda de passer du court… au long-métrage. Début 2017, une résidence d’écriture à Los Angeles lui permet de faire évoluer un film en gestation depuis 4 ans. De retour à Laval, elle peaufine sa copie avec son complice Martin du Peuty et livre un scénario qui est aujourd’hui en relecture. Égérie – c’est son titre provisoire – retrace le parcours d’une jeune photographe norvégienne qui suit la tournée d’un groupe de rock français, à la fin des années 70, dans le nord des États-Unis. Une fois de plus, la musique tient un rôle de premier plan. « J’aime montrer la face cachée des artistes, l’arrière-boutique, le côté backstage. »
Aussi dans ses cartons : un court (ou long) métrage sur deux sœurs et leur mère « qui explosent leur carcan de vie ». Soutenue par La Ruche Productions, société de production implantée à Orléans et à Paris, Ãnanda espère que le film verra le jour dans les mois qui viennent. Tout comme le projet « pour public averti » sur lequel elle travaille : une série d’animation érotique avec diffusion immersive en réalité virtuelle. This is not the end !

 

 

Sylvain Malin

© Florian Renault

Sylvain Malin

100% bénévole et passionné, il prépare un moyen-métrage pour le printemps.

Ne comptez pas sur lui pour occuper le champ. D’emblée, Sylain Malin insiste sur la dimension collégiale de ses films, produits par Ciné Mayenne Club. Créée en 2001 pour favoriser la diffusion de courts-métrages, cette association a vite évolué vers la réalisation de films courts, dont le trentenaire, musicien à ses heures, commencera par composer les bandes originales. Puis, suite à un concours de scénarios lancé par l’asso, il réalise son premier court-métrage en 2007. « J’ai toujours eu besoin de m’exprimer, de raconter des histoires. » Trois autres courts suivront, dont certains auront les honneurs de festivals ou de la presse spécialisée. « On essaie à chaque nouveau film de placer la barre un peu plus haut », souligne Sylvain.

Inexpérimenté au départ, le Loironnais, sérigraphe de profession, apprend en faisant, au contact de l’équipe qui l’entoure. Tous sont bénévoles mais « pour la plupart professionnels », étudiants en cinéma à la recherche d’expérience, comédiens ou chef-opérateur séduits par l’aventure. Leur dernier projet, La danse des sauvages, moyen-métrage « fantastique qui lorgne vers le surréalisme », a réuni 25 personnes sur le plateau : cadreur, électro, maquilleuse, coiffeuse… 7 jours de tournage intenses en décembre dernier, précédé d’un an et demi d’écriture. « J’en étais à ma 16e version du scénario », rigole Sylvain. Suivront 6 mois de dérushage, montage, étalonnage pour une première diffusion prévue au Vox à Mayenne. La séance sera gratuite : pas question de faire des bénefs. Même si quelques subsides seraient les bienvenus, au vu du budget minuscule du projet (1 000 euros, récoltés via un crowdfunding). Un fonctionnement en mode système D forcément très chronophage : « cela demande un engagement important, mais que viennent récompenser les liens humains que génèrent ces projets, et le frisson de voir son film porté sur grand écran ! »

 

© Florian Renault

Nicolas Jacquet

Il bricole en solo des courts-métrages d’animation puissamment perturbants.

En interview comme dans ses films, l’homme aime surprendre, « nier les évidences, créer du danger et de l’inconfort pour questionner le spectateur ». La découverte de son avant-dernier film, Peau de chien, est un choc. Écho cauchemardesque au sort tragique des sans-papiers, parfaitement servi par une esthétique singulière, sorte de photomontage à l’animation virtuose, mettant en scène des personnages rapiécés, aux gestes cassés, inquiétants, étonnamment vivants.
Formé aux Beaux-Arts de Nantes, Nicolas Jacquet intègre en 1989 la prestigieuse école des Gobelins à Paris. « Ils nous formaient à faire du Disney. Ça n’était pas du tout mon truc, mais j’y ai acquis un solide bagage technique. » Il enchaîne ensuite les commandes pour des studios parisiens : pubs pour Findus, mini-série pour Canal+… « Je gagnais beaucoup d’argent, mais j’étais très loin de mes ambitions créatives. » Le réalisateur, qui a grandi dans le nord du département, plaque tout pour s’installer à Laval en 1999 : « ici il y a une forme de modestie, des gens, des paysages, que j’aime ». Laborieux selon ses propres termes, il mettra plusieurs années à trouver son identité artistique. Si Peau de chien est son 10e film, il est le premier qu’il considère comme abouti. Ce solitaire revendiqué y consacrera trois ans de sa vie. « Je fais tout de A à Z » : recherche de financements, casting, repérage, prises de vues, impression et découpage des clichés qu’il anime ensuite à la main, pour conserver la « dimension humaine du geste ».
Les 14 minutes de son dernier court, Sexe faible, lui ont demandé quatre ans de travail et un budget de 150 000 euros, financés par le CNC, la région et Arte qui diffusera le film courant 2018. En espérant qu’il soit sélectionné par les festivals spécialisés. « L’objectif, c’est tout de même qu’un maximum de gens voient le film ! »

Article paru dans le dossier « cinéma, cinémas » du numéro 62 du magazine Tranzistor.