Dans le 5.3 comme ailleurs, les festivals cartonnent ! Festivalisation de la vie culturelle, rôle prépondérant du bénévolat, lien fort au territoire… Survol, forcément trop rapide, de la très hétéroclite planète festival en Mayenne.

On ne sait plus où donner de la fête. De janvier à décembre, du trash metal à la littérature contemporaine la plus pointue, en ville comme à la campagne, les festivals sont partout. À tel point qu’aucun pays n’est capable de les compter. Ils seraient 3 000 en France. 61 déclarés comme tels en Mayenne. Et le chiffre ne cesse d’augmenter !
Inventés à la fin du 19e siècle en Angleterre, les festivals quittent, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le cénacle des musiques sacrées pour investir le cinéma, le jazz ou le théâtre. Puis viennent les sixties, secouées par la vague des festivals de Woodstock ou Monterey, véritables marqueurs générationnels. Mais c’est au tournant des années 1980-1990 que surgit la lame de fond : les festivals se développent alors de façon très nette un peu partout en Europe. Dans le 5.3, près d’une douzaine verront le jour entre 1985 et 2000. Dont la plupart sont toujours actifs aujourd’hui. Vivaces, les festivals bien enracinés résistent aux intempéries, tandis que les jeunes pousses se multiplient : 11 nouveaux venus fêtent leur 1re ou 2e édition cette année.
Et pourtant, ces petites bêtes, par essence fragiles, que sont les festivals doivent faire face à de nombreuses périls : météo pourrie qui menace chaque année les évènements pas étanches, raréfaction des subventions, augmentation des coûts de sécurité, inflation des cachets artistiques, arrivée d’acteurs privés venus d’autres secteurs d’activité… Mais qu’importe, on festivalise à tout va, pour répondre aux attentes d’un public en quête de convivialité. La fête séduit, les festivals incarnent « un certain état d’esprit, une forme de décontraction, de fête, d’ouverture, d’éclectisme » et renvoient « à la fois aux notions de confirmation et de risque, d’héritage et de subversion », analyse le sociologue Emmanuel Négrier, auteur de plusieurs enquêtes sur le sujet.

Extension du domaine des festivals

Mais au fait, c’est quoi un festival précisément ? Il n’existe aucune définition partagée de ces objets particuliers. On peut s’accorder sur le caractère éphémère de ces évènements et leur inscription dans un calendrier souvent annuel. Impossible cependant de s’en tenir à la représentation classique les circonscrivant à un « évènement exceptionnel, dans un lieu exceptionnel à un moment exceptionnel ». Certains s’étirent durant plusieurs semaines, circulent sur de multiples sites à l’échelle du département ou d’une intercommunalité, à l’instar des Reflets du cinéma, des Nuits de la Mayenne ou du festival jeune public Monte dans l’bus.
Et puis, tendance de fond, les festivals étendent leur champ d’action : nombreux sont ceux qui élargissent leur programmation à de nouvelles esthétiques ou disciplines. Des 3 Éléphants à Un singe en été, plusieurs festivals de musiques actuelles investissent ainsi le terrain des arts de la rue. Autre exemple parmi bien d’autres, le Festival du premier roman et des littératures contemporaines à Laval propose aussi des concerts, expos, films, etc.
L’extension est spatiale aussi : de plus en plus de manifestations partent en balade sur leur territoire pour proposer des spectacles « décentralisés », à l’image encore des 3F, des Ateliers Jazz, du Chainon ou des Embuscades.
Enfin, phénomène observable parmi ceux qui sont les plus durablement installés : les festivals se « permanentisent ». Autour de leur évènement phare, ils développent de nombreuses actions à l’année : rendez-vous ponctuels, saisons, actions pédagogiques, résidences d’artistes… Une façon de s’ancrer davantage dans son territoire et de limiter les risques, en ne dépendant plus uniquement d’un seul évènement.
À cette « permanentisation » des festivals répond une « festivalisation » des lieux culturels permanents : conscient du potentiel de séduction du format évènementiel, théâtres, saisons culturelles et musées multiplient les temps forts, nuits (blanches) ou (folles) journées. On citera par exemple la biennale Onze réunissant autour des arts de la marionnette une dizaine de lieux de spectacles du département.
Question : à force de « festivaliser », au-delà des risques dehangChangé concurrence, ne risque-t-on pas de banaliser ce qui relève par définition de l’exceptionnel ? Quoi qu’il en soit, le constat est irréfutable : autrefois à la marge, les festivals sont devenus des acteurs majeurs du paysage culturel.

« les festivals incarnent un certain état d’esprit, une forme de décontraction, de fête, d’ouverture »

Tous des cas (particuliers)

Difficiles à définir, les festivals sont tout aussi complexes à cataloguer. Délicat d’en dresser un ­portrait-robot et de généraliser. Du Keudfest, petite teuf hard rock à ­Cossé-en-Champagne au Festival d’arts sacrés d’Évron, du micro-festival Fromages, vins et musique à Livré-la-Touche au géant V and B fest à Craon, le monde des festivals est ­ultra-disparate et hétérogène, fait d’extrêmes et de cas particuliers.
Derrière les « grand-messes » (souvent musicales) les plus fréquentées et les mieux identifiées – huit manifestations en Mayenne concentrent plus de la moitié du public des festivals –, fourmillent une multitude de projets, qui contribuent à la vitalité du territoire et à la diversité de sa vie culturelle. Notamment en zones rurales, là où les propositions culturelles sont parfois rares. Plus du tiers des festivals du 5.3 sont ainsi implantés dans des communes de moins de 2 000 habitants.
Trait commun toutefois à l’ensemble des festivals : tous ont recours à des bénévoles. Le fonctionnement d’une grande majorité repose même uniquement sur le bénévolat. La culture n’est pas seulement une affaire de professionnels experts, et les festivals sont des outils parfaits pour qui veut participer activement à la dynamique culturelle de son territoire. Vous êtes une bande de potes et vous trouvez que votre village manque d’animation, ou bien qu’un festival de manga sud-coréen fait cruellement défaut dans le paysage ? Eh bien montez votre festoche !
C’est ainsi qu’a démarré l’histoire de la plupart des festivals. Par contre, ne rêvez pas : la gestation et la croissance du bébé risquent sans doute de vous occuper quelques week-ends et soirées. Au-delà des armées de bénévoles présents le jour J, un noyau, généralement composé de quelques personnes, œuvre, parfois quotidiennement, à l’organisation. Un engagement chronophage et énergivore. « Quand le projet prend de l’ampleur et s’appuie sur des salariés, le poids des responsabilités est parfois lourd à porter pour les dirigeants associatifs, et ça n’est pas toujours simple de trouver des bénévoles prêts à prendre en charge des dossiers compliqués », témoigne Jeff Bodinier, co-président des Mouillotins.
Un fardeau que de plus en plus d’assos allègent en le répartissant entre plusieurs co-présidents, à l’image des Mouillotins, des Bouts de ficelles ou d’Au foin de la rue. À plus petite échelle, Adrien Legros, organisateur du Back Home festival, qui cumulait un millier d’entrées lors de sa première édition en 2018, confesse « consacrer à la prépa de Back Home près d’une dizaine d’heures par semaine ». Avec ses équipes de bénévoles, répartis en commissions, il gère des « questions ultra-techniques, demandant des connaissances spécifiques » qu’il acquiert sur le tas : sécurité du site, besoins électriques, prévention, réglementation, plan Vigipirate, etc.

Agités du local

Premiers ambassadeurs d’un festival, les bénévoles garantissent aussi son ancrage local. Le site et le territoire qui l’accueillent jouent souvent un rôle clé dans l’identité d’un évènement. Impossible par exemple d’imaginer le festival électro Les Roches d’Orgères ailleurs que sur le magnifique site naturel dont il porte le nom.
Dès lors que la création d’un évènement répond à un enjeu de développement local (« on veut faire bouger notre pays ! »), se noue entre la manifestation et le territoire un lien identitaire puissant. Pour beaucoup de Mayennais, ­Saint-Denis-de-Gastines, c’est Au foin de la rue. Et pour certains Parisiens, Laval, c’est Les 3 Éléphants. Vecteurs d’image et donc d’attractivité pour un territoire, les festivals génèrent aussi des retombées qui peuvent s’avérer significatives pour l’économie locale. D’autant que beaucoup jouent le jeu des circuits courts et privilégient les entreprises et producteurs locaux.
Ce lien étroit au local, la « permanentisation » des festivals évoquée plus haut l’accentue de manière évidente. Au foin de la rue et Les Mouillotins sont par exemple à l’origine de la création de lieux de vie et d’échange dans leur fief : espace de vie sociale à Cuillé, tiers lieu à Saint-Denis… Preuve que ces associations sont actrices de leur territoire à part entière, et que leur rôle dépasse largement le cadre culturel.
Autre élément qui vient renforcer l’enracinement local des festivals : leur public, avant d’être régional voire national, est d’abord local comme l’illustrent différentes études menées en région et à l’échelon européen. Des enquêtes qui montrent aussi qu’ils programment, davantage que les lieux de spectacle, des artistes locaux.
Ah oui, au fait, et les artistes ? On en parle quand ? Ils sont au centre du phénomène festivalier. C’est pour eux que le public se déplace : pour voir des « stars » parfois rares dans nos contrées, mais aussi pour découvrir de nouveaux artistes, prendre le risque d’être curieux… « Toute relation humaine est basée sur la découverte », avance l’écrivain Michel Le Bris, par ailleurs instigateur du festival Étonnants voyageurs à Saint-Malo. Machines à rêver et à fabriquer des souvenirs, les festivals existent aussi pour cela, nous permettre d’explorer des mondes inconnus. Ouvrez les écoutilles !

 

Article paru dans le dossier « Festival de festivals » du numéro 66 du magazine Tranzistor.