Forte professionnalisation, hausse des fréquentations, montée en puissance des moyens mais aussi fragilités budgétaires… Bref historique et vue panoramique du paysage, étonnamment dense, des saisons culturelles en Mayenne.
Milieu des années 70. Le monde se remet du premier choc pétrolier, Giscard s’installe au pouvoir et les Sex Pistols se préparent à faire trembler l’Angleterre bien-pensante. Dans le quasi désert culturel que constitue alors le département, quelques moines défricheurs posent les fondations des premières saisons culturelles. Premières pierres d’un maillage qu’une étude, réalisée en 2015, considère comme presque achevé aujourd’hui.
À Mayenne, le Foyer culturel, devenu en 1980 l’office social et culturel, fait figure de pionnier. L’accueil de têtes d’affiches comme Barbara, Pierre Desproges, Bernard Lavilliers ou Raymond Devos fait connaître la sous-préfecture pour « sa programmation chanson et humour de qualité… et plutôt de gauche aussi », sourit Bruno Fléchard, programmateur du Kiosque, association aujourd’hui en charge de l’action culturelle à l’échelle de Mayenne Communauté.
Même topo à Château-Gontier, où un office social et culturel, né au mitan des 70’s, mitonnait quelques années plus tard une programmation d’une quinzaine de spectacles. « Un schéma classique, beaucoup de saisons ont démarré sous cette forme » analyse Maurice Cosson, autre pionnier, qui, en 1991, devenait directeur du Carré. Fraîchement créée, l’association amplifie alors l’action de l’office. Reconnaissance de la qualité de sa programmation, la structure sera labellisée « scène nationale » par l’État en 2002.
Rural is not dead
Artisan de la première saison en milieu rural, initiée en 1996 sur le territoire du Haut-Maine-et-Pail, Daniel Carcel souligne le « rôle décisif » qu’a joué alors la politique culturelle départementale. Au début des années 1990, le Département affirme en effet son volontarisme en matière de culture, considérée comme « un facteur essentiel de la vie locale et de l’épanouissement des personnes ». Objectif plus large : lutter contre le déclin démographique qui menace les campagnes. Visionnaire, la collectivité départementale fait le pari de s’appuyer sur l’intercommunalité alors en plein développement. En matière de culture, encore davantage que pour le ramassage des ordures ménagères, l’union fait la force : si une commune rurale n’a pas la capacité de mener seule une politique culturelle, un rassemblement de communes peut s’en donner les moyens. Dans une logique de solidarité et d’équilibre territorial, le conseil général déploie une politique incitative s’appuyant sur des arguments de poids : aide financière à l’embauche d’un professionnel, participation au budget artistique, aide à l’investissement…
Des arguments qui font leur effet (levier) : le SVET des Coëvrons emboîte le pas du syndicat mixte du Haut-Maine-et-Pail. Puis naîtront en 1999 les saisons des communautés de communes du Pays de Loiron et du Bocage Mayennais. Suivies en 2008 et 2009 de celles des Pays de l’Ernée et de Craon.
L’agglo lavalloise sautera dans le train en marche : première saison des Ondines en 1991, des Angenoises en 97 et de Saint-Berthevin en 2004. Le Théâtre de Laval fête, lui, ses dix ans cette année, tout comme la salle de concert Le 6 par 4, seul lieu de diffusion dans le département à proposer une programmation non-pluridisciplinaire, dédiée aux musiques actuelles.
À l’origine de ces projets, souvent des élus militants qui, sur le terrain, ont su convaincre leurs pairs qu’une saison culturelle était un service public tout aussi indispensable qu’un hôpital, un collège ou un gymnase. Jusqu’aux années 2000, les budgets de saisons affichent globalement une progression importante. Depuis une petite dizaine d’années, austérité budgétaire et baisse conséquente des dotations de l’État obligent, certaines structures ont dû réduire la voilure : baisse du volume de spectacles programmés, réduction des actions de médiation ou des aides à la création.
L’enfer du décor
Récurrent, le syndrome de la coquille vide – « je construis une salle de spectacle mais sans avoir de projet, d’équipe, de budget de fonctionnement… » – a peu frappé la Mayenne. Ici, les collectivités ont eu l’intelligence de privilégier la définition d’un projet et le recrutement de professionnels pour le mettre en œuvre, plutôt que de faire joyeusement couler du béton.
Autre bon point : les collectivités ont recruté, pour piloter ces saisons, des « agents de développement culturel » ayant une vision territoriale et des compétences (coordination, travail en partenariat…) dépassant largement le cadre de la programmation de spectacles.
Rapidement, les équipes vont se développer. Le Carré passera par exemple de quatre salariés lors de sa création à douze aujourd’hui. Plus modestement, les saisons rurales s’étoffent également, s’adjoignant généralement les services d’un médiateur et d’un régisseur.
Malgré cela, comme le pointe l’étude de 2015 déjà citée, la faiblesse des moyens humains dont elles disposent les amène « à supporter des charges de travail importantes et les oblige à une extrême polyvalence vécue comme particulièrement incommode ». Chargée de développement culturel à la saison du Mont des Avaloirs, Clémence Haye en témoigne : « Contrairement à l’image qui est souvent véhiculée, je ne fais pas qu’aller voir des spectacles, loin de là ». En charge de la programmation, elle assure aussi la coordination avec le réseau lecture et l’établissement d’enseignements artistiques du territoire, le suivi des projets départementaux, le montage et le suivi du budget, le traitement administratif : contrats, factures, déclarations… Et, le jour des spectacles, Clémence et ses collègues sont sur le pont, souvent la veille, pour le montage du matériel (scène, gradin…), l’accueil des artistes et du public, la tenue de la billetterie… jusqu’au démontage et au balayage de la salle !
Saisons nomades
Mettre les bœufs (l’équipe et le projet) avant la charrue (la salle) a permis, lorsqu’il s’est agi de bâtir en dur, de bénéficier du recul nécessaire à la conception d’un équipement adapté. À ce titre, les théâtres des Ursulines à Château-Gontier et des 3 Chênes à Loiron-Ruillé, combinant lieux de spectacle et d’enseignement artistique, font figure d’exemples.
Les années 2000 ont vu ainsi fleurir plusieurs équipements culturels, souvent à vocations multiples, comme à Ernée (espace Clair de lune) ou Gorron (espace Colmont). Laval, en quelques années, s’est enrichi d’un théâtre, d’une salle de concert et de deux salles entièrement rénovées (L’Avant-scène et le Théâtre Jean Macé). Tandis que Changé s’est doté d’un deuxième lieu de spectacle (L’atelier des arts vivants) et que Saint-Berthevin inaugure cet automne un pôle culturel haut de gamme.
Ne pas disposer de son propre théâtre, Axel Mandagot, responsable de la saison de l’Ernée en connaît les contraintes : impossible d’associer sa saison à l’identité d’un lieu, ou d’accueillir le public dans un espace confortable et convivial où l’on vient aussi discuter, boire un verre… Et puis surtout, il y a les contraintes matérielles : à l’espace Clair de lune à Ernée, où Axel programme la moitié de ses spectacles – soit une dizaine par an –, il faut tout installer à chaque nouvelle date, « du frigo dans les loges au gradin en passant par le son, les lumières… ». Une nécessité énergivore et chronophage, encore plus aiguë quand il s’agit d’investir les salles polyvalentes, inadaptées à l’accueil de spectacles.
“ Une démarche indispensable à l’ancrage de notre action sur le territoire. ”
Mais cette « saison de territoire », qui en deux grosses années visite les quinze communes de l’Ernée, est un puissant outil pour susciter l’appropriation du projet par les habitants. Pour chaque spectacle, Axel et son équipe cherchent de quelle façon ils associeront à l’organisation la commune hôte : élus, associations, écoles, maisons de retraite…
Second effet kiss kool : viennent à ces spectacles des personnes qui n’avaient encore jamais assisté à une date de la saison. L’effet proximité joue évidemment : « c’est plus simple quand on a juste à traverser la rue ». Avec ces représentations, jouées dans les salles des fêtes, tombe aussi la fameuse barrière psychologique qui peut freiner le public, impressionné par la dimension un brin solennelle des « vraies » salles des spectacles (« on n’a pas les codes, ça n’est pas pour nous »).
Domaine public
Toutes les saisons pratiquant le nomadisme, du Bocage Mayennais au Mont des Avaloirs en passant par le Pays de Craon, constatent l’élargissement des publics induit par la circulation des spectacles. « Tout l’enjeu ensuite est de parvenir à fidéliser ce nouveau public pour qu’il revienne voir d’autres spectacles ailleurs », éclaire Lydie René, responsable du Tempo à Craon. Outil essentiel de cette fidélisation : une politique tarifaire volontairement attractive, proposant des tarifs plein à 13 euros, des offres d’abonnement très avantageuses, un pass famille à 29 euros… Observant la part importante du public familial fréquentant la saison, Lydie a orienté en fonction sa programmation, qui propose une majorité de spectacles visibles à partir de 6-7 ans.
Résultat : un taux de remplissage des spectacles atteignant près de 90 %, et + 1000 spectateurs en quatre ans. Une hausse de la fréquentation que l’on vérifie globalement sur l’ensemble des saisons, qui ont gagné 15 % de spectateurs entre 2011 et 2016. Parmi le public très localisé du Tempo (85 % viennent du Pays de Craon, une constante sur l’ensemble des saisons rurales), s’est constitué un noyau dur. Une base qu’il faut continuer d’enrichir pour toucher un public le plus large et diversifié possible.
Tradition coopérante
« Face au risque de voir son public se réduire à un noyau d’enseignants baby-boomers », plaisante (à peine) Pierre Jamet, directeur du Théâtre de Laval, « l’équilibre et la diversité de la programmation est un outil efficace pour faire évoluer la structure des publics ». Autre instrument manié avec dextérité depuis plusieurs années par les saisons du département : la transversalité. À titre d’exemple, outre sa coopération étroite avec le conservatoire et le réseau des bibliothèques de Laval, le Théâtre multiplie les collaborations et partenariats avec des écoles, centres de loisirs, entreprises, hôpitaux… « Une démarche qui demande énormément de temps et d’efforts mais qui est indispensable à l’ancrage de notre action sur le territoire. »
Cette culture collaborative opère aussi à l’échelle du département : les saisons culturelles travaillent ensemble depuis longtemps. Une tradition coopérante qui se cristallise notamment par Onze, biennale de la marionnette qui fédère la quasi-totalité des saisons. « Mais on pourrait encore mieux exploiter la force de ce réseau, estime Pierre Jamet, par exemple, pour travailler à une meilleure exposition de disciplines minoritaires comme la danse, penser des formations communes pour nos équipes, mieux soutenir la création locale… Il y a encore de nombreux défis à relever. »
Article paru dans le dossier «Saisons culturelles, regard en coulisses » du numéro 64 du magazine Tranzistor.
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