Passeur passionné et pionnier de l’enseignement du jazz, Paul Faure fut une figure incontournable de la scène musicale en Mayenne, qu’il a marquée pendant près de cinq décennies. Alors que nous apprenons son décès, survenu samedi dernier, nous republions un interview, paru initialement en 2007. Clavier des mythiques Shouters, pianiste au sein de nombreuses formations, ce solitaire très entouré revenait sur son parcours, et évoquait ses propres projets musicaux, inclassables et libres comme l’air. À l’image de cet homme sans a priori, prêt à toutes les aventures, ouvert et chaleureux, dont l’œil brillait d’une jeunesse inaltérable dès qu’il s’agissait de parler musique.

J’ai commencé le piano très tôt, vers l’âge de 6-7 ans. Je prenais des cours chez une dame, dans la rue voisine de celle où nous habitions à Paris. C’était un enseignement très classique, mais je n’en garde que des bons souvenirs. Ça se déroulait simplement, sans souffrance… Le premier prof, je pense que c’est déterminant pour la suite. Et puis un jour, je me suis rendu compte que je parvenais à reproduire au piano les airs que j’entendais à la radio, ça a été le déclencheur. À partir de là, je n’ai plus arrêté. Je découvrais la musique par moi-même, me bâtissais mon petit système…

C’est à ce moment-là que tu as découvert le jazz ?

À l’âge de 15 ans, je suis parti en internat, à l’école normale d’Orléans, pour devenir instit’. C’est là que j’ai découvert le jazz, avec des élèves des classes supérieures. On faisait des bœufs tout le temps… Je découvrais Count Basie, Duke Ellington, Miles… et Ray Charles qui m’a complètement hypnotisé. J’adorais ça. Pas parce que c’était du jazz mais parce que ça sentait la liberté : tu pouvais inventer, improviser, exprimer des choses personnelles… Et tout était à découvrir, parce qu’on est obligé d’être autodidacte dans cette musique-là. Personnellement, je n’apprends et ne retiens bien que ce que je découvre seul.

De l’école normale, comment as-tu atterri à Laval ?

Après une expérience lamentable d’un an en tant qu’instit’ (rires), j’ai reçu mon affectation pour le service militaire : Laval… Très vite après mon arrivée, en 1963, j’ai rencontré des musiciens locaux, et intégré un groupe de rock, Les Sparks, où il y avait Jean-Pierre Chéron, Mireille Texier… avec qui je joue encore aujourd’hui ! Ensuite, nous avons monté les Shouters. À partir de là a commencé une vie de folie… qui a duré plus de 13 ans. On jouait dans les bals. À l’époque, il n’y avait pas de concerts. On éclusait tout le grand Ouest… On jouait du Hendrix, du Clapton, du Pink Floyd… Puis on a commencé à écrire nos propres compos. Plusieurs 45 tours sont sortis, produits par les éditions Pluriel.

Tu continuais à jouer du jazz en parallèle ?

Rien ne m’empêchait de poursuivre à côté mes petites « études » classiques, mes compos jazz… Je donnais aussi des cours de piano. Et ça me plaisait vraiment. Donc en 1979, quand l’aventure des Shouters s’est terminée, j’ai décidé de pousser plus loin cette expérience. Ça n’était pas tant une reconversion qu’une envie de creuser la question de l’enseignement musical. J’ai bouquiné des méthodes alternatives à l’enseignement traditionnel. J’ai réfléchi, fait des expériences, tâtonné… Puis, petit à petit, ça s’est développé, jusqu’à ce que l’école accueille plus de 200 élèves. Mon idée, c’était de ne pas rater le démarrage de l’apprentissage musical des enfants. Je voulais qu’ils considèrent la musique comme quelque chose de naturel, de simple… Bien sûr, nous n’avons pas formé de super techniciens, mais beaucoup d’anciens élèves ont continué, comme Erwan Bourcier de Bajka ou Cédric Moutier de Montgomery.

Tu es aussi à l’origine des premiers ateliers jazz de l’école nationale de musique de Laval…

En 79, juste après la création de l’école, le directeur de l’époque, François Texier, m’a proposé d’ouvrir un atelier jazz à l’ENM. C’était aussi un fondu de jazz, avec qui j’ai d’ailleurs joué par la suite, dans Structure. J’ai donc accepté et commencé à développer un, puis plusieurs ateliers au sein de l’école. Les premières années, dans le même atelier, j’avais d’une part les élèves de l’école de musique, qui déchiffraient sagement leurs partitions, et d’autre part des Bernard Leportier, des René Canat (musicien des Jazz Potes, « dinosaures du jazz lavallois », ndlr), des vieux de la vieille qui ne connaissaient pas la musique mais qui swinguaient d’enfer… C’était assez drôle. En près de 15 ans, beaucoup de musiciens sont passés par les ateliers : Jean-François Landeau, Philippe Boittin, Eric Gaillardon et les musiciens de Paroah, Guillaume Bellanger, etc. Tout marchait bien, trop bien même, j’ai eu envie d’arrêter avant que ça ne devienne la routine. J’avais envie de me consacrer enfin à des projets personnels. Je me suis acheté un piano et un enregistreur DAT… Et c’est comme ça qu’est né mon premier disque Sources, en 95.

Ce disque, comme les deux suivants, est très difficile à qualifier, tenant autant du jazz que de la musique classique ou de la pop…

Je suis tellement influençable que j’évite d’avoir un patron ou des étiquettes, ça me bouffe. Ce premier disque pour moi, c’était une aventure. J’ai décidé de ne pas me poser de questions. De ne pas me demander si c’était jazz ou pas. C’était frais, instinctif. J’ai fait ce que j’avais vraiment envie de faire… Avant tout je cherche la mélodie, une musique qui soit la plus naturelle, la plus spontanée et directe possible. En parallèle, j’ai commencé à jouer en trio avec Pascal Le Gall et Eric Onillon. Et ils m’ont mis un sacré coup de pied au cul ! On faisait de la musique totalement improvisée, pas de thème, rien, à poil… C’était difficile parfois mais j’ai beaucoup appris. J’ai découvert l’improvisation libre, le free. Le fait d’avoir à s’affirmer, à aller au bout de ses idées…

C’est à peu près à cette période qu’est né le projet Jazz Argent’, avec le bandéoniste Pierre Bobard ?

Ma rencontre avec Pierre Bobard date de 63, nous étions à l’armée ensemble ! C’est encore un ovni çà, Pierre Bobard… Après un grave accident, il a été contraint très tôt d’arrêter sa « carrière » de musicien. Dans Sources, il y avait une petite mélodie que j’imaginais bien jouée au bandonéon. J’ai demandé à Pierrot. Il a ressorti son instrument de sa boîte, qu’il n’avait pas ouverte depuis 30 ans… Il s’y est remis, il a bossé comme un fou. Et de là est née l’idée d’un duo, Jazz Argent’. Nous avons composé un petit répertoire jazz tango et enregistré un premier disque, aux Ondines, un peu trop vite mais bon… Ce qui est intéressant, c’est que ce projet nous a permis de rencontrer Philippe Cornus, qui aujourd’hui joue avec Jazz Argent’ et dans mon nouveau trio. Philippe a été vraiment moteur. Grâce à lui, Jazz Argent’ est devenu un spectacle à part entière, intégrant de la danse contemporaine, une mise en scène, etc. Mais la continuité pour moi, c’est mon dernier disque F’âme. Un disque de piano solo que j’ai quasiment enregistré seul, en home studio. C’est parfois difficile d’être seul, sans aucun soutien, notamment sur scène. Mais j’ai envie de creuser ça. De travailler sur des supports mélodiques qui me permettent de me barrer facilement, de partir en improvisation le plus vite possible, de plus en plus libre.

Article paru initialement dans le dossier « Plein jazz ! » du numéro 27 du magazine Tranzistor.