Il est le seul professionnel en Mayenne à confectionner et réparer basses et guitares. Longtemps amateur éclairé, Franck Tétard se jette à l’eau en 2017 avec sa marque Cozuno. Un nom déjà familier chez les musiciens du cru, séduits par un art sur mesure.

De A à Z ». Comme un leitmotiv, l’expression revient dans la bouche de ­Franck ­Tétard. Cheveux mi-longs, barbe de trois jours et sourire franc, le jeune quadra est modeste avec cette formule. Proposons une variante : de simples morceaux de bois à des instruments uniques au monde. Car il n’y a pas deux guitares semblables nées de ses doigts d’or. En témoigne l’éventail de beautés suspendues aux murs de son salon, silhouettes racées et finitions d’orfèvre que, même en parfait néophyte, on rêve d’empoigner.
Sa première gratte, Franck se l’offre au lycée. « Elle donnait la même note sur quatre ou cinq cases, une vraie merde ! », s’amuse-t-il aujourd’hui. Justement, celui qui écoute ­Hendrix et Guns N’ Roses à l’aube des années 90 a comme un déclic : « Comprendre ce qui ne fonctionne pas ». Disséquer l’engin, le faire sonner. L’adolescent bidouille, pousse les recherches façon système D, « avec des vieilles VHS de guitaristes américains » et un rare bouquin de lutherie. Bientôt les guitares des copains passent entre ses mains, tandis que ses parents restent sourds à ce curieux hobby. À défaut d’une école de lutherie, direction la fac de droit. Licence en poche, il est embauché comme juriste dans les assurances, costume qu’il endosse durant quinze ans. Fin de l’histoire ?
Ce serait méconnaître les rouages de telles passions, celle ici d’une vie entière. Chez Franck, elle se flaire vite à sa faconde sincère, un enthousiasme contagieux aussitôt qu’il saisit l’une de ses grattes cousues mains et en détaille les courbes, les essences. Cela sonne alors comme une évidence : le destin de cet homme est bien de fabriquer des guitares. « La première que j’ai réalisée intégralement, c’est une électrique en 2006. J’avais mes plans depuis plusieurs années. Mon beau-père, prof d’ébénisterie, m’a aiguillé pour le travail du bois. À partir de là, j’ai su que j’en ferai un jour mon métier : j’ai commencé à acheter du stock de bois, puis à acquérir et fabriquer mes outils. »

 

Franck Tétard - Photo Florian Renault

© Florian Renault

Grattes modulables à l’infini

Installé en Mayenne depuis 2000 avec femme et enfants, ce ­Vendéen d’origine va aussi peaufiner plans et croquis. Ceux ­notamment d’« un atelier 100 % démontable et insonorisé », qu’il bâtit planche par planche dans une remise de sa maison lavalloise. La fabrique de poche achevée, Franck fait le grand saut. Il négocie une rupture conventionnelle avec sa boîte et lance sa marque, Cozuno. Peu de com, pas de démarchage, simplement une confiance dans le bouche à oreille. Pari réussi : de Fred ­Boisnard d’Archimède à ­Pierre ­Bouguier, nombre de guitaristes de la scène locale passent régulièrement dans son atelier pour une réparation ou un conseil.
C’est en tapant sur internet « luthier en Mayenne » que ­François Bars, musicien amateur et opticien à la ville, tombe sur ses talents : « On a échangé pendant deux heures à son atelier sur ce que j’avais en tête, ce que j’aimais comme son. Il m’a fait essayer toutes ses grattes, a observé ma façon de jouer. Ça a été le début d’une vraie collaboration qui a duré six mois. » Ainsi carbure Franck, à la rencontre et au feeling, se tenant à bonne distance de tout rapport de clientèle, de tout compromis sur son art. « Je peux refuser une commande si je ne crois pas au projet ou au style demandé. Trop de nacre, d’incrustations, de claquant, ce n’est pas moi. »
De la basse à la guitare folk ou électrique, Franck a créé sept modèles d’instruments, modulables à l’infini. Essences et épaisseur du bois, longueur du manche, couleurs, micros, finitions : chaque détail est passé au crible avec l’heureux acquéreur d’une guitare ­Cozuno, qui, pour un budget raisonnable (le modèle de base est à 1550 euros), s’offre un son et une ergonomie sur mesure. Une six-cordes d’exception, de l’ordre du charnel selon François : « Ma guitare est fabriquée avec de l’aulne et de l’érable torréfiés. Ça fait un an que je l’ai et elle a toujours cette odeur incroyable, on sent le café, les épices. »

Le plein d’essences

Au commencement est le bois, matériau noble, vivant, au cœur de son ouvrage. Sequoia, palissandre, ébène, acajou, autant de filières qu’il piste du Brésil au Gabon, de l’Inde aux forêts ­d’­Oregon. De France aussi, pour l’aulne ou le frêne des marais. « Je reçois des planches brutes de décoffrage et derrière, je fais tout à la main. Je peux passer sept heures par jour sur du ponçage, uniquement sur la même pièce. » Près de 130 heures en atelier sont nécessaires pour finaliser le modèle de base d’une guitare électrique. Travail d’une infinie patience, folle addition de savoir-faire : tracer, découper, évider, raboter, poncer, fixer, vernir… sans compter l’électronique pour ce pur geek assumé, capable de s’envoyer 170 pages d’un obscur manuel pour intégrer un système MIDI à une guitare. « C’était une demande d’un musicien exilé aux États-Unis, qui a monté le groupe Wakrat avec le bassiste de Rage Against The Machine. Étant un grand fan de leur premier album, j’étais hyper fier de lui faire une guitare ! »
Autre signature de la patte Cozuno : du carbone dans les manches afin d’éviter leur torsion au fil des années. Et, pour tester leur résistance, un contrôle qualité un brin punk : « La première avec manche carbone, je l’ai faite tomber plusieurs fois, je suis même monté à pieds joints sur le manche, elle n’a jamais bougé ! Je suis ultra minutieux quand je fabrique l’instru mais une fois terminé, il vit sa vie. »
On touche peut-être du doigt l’âme de ses créations : ne pas faire seulement des objets beaux à regarder et techniquement parfaits, mais surtout parvenir à ce que « les guitares sonnent, qu’elles aient de la personnalité, emmènent le musicien vers quelque chose qu’il ne connaissait pas ».
Vingt ans de guitare dans les doigts, François Bars ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque sa Cozuno : « Quand je l’ai prise en main la première fois, j’ai adoré. Il m’a fallu du temps pour l’apprivoiser, je ne me sentais pas au niveau de l’instrument. J’ai repris deux-trois cours de guitare, et j’ai vu mon jeu évoluer et progresser comme jamais. C’est le jour et la nuit ! » Marqué par sa rencontre avec Franck, le musicien vient de lui commander une nouvelle guitare. Dans un coin de l’atelier du luthier, quelques pièces de bois nu attendent déjà leur métamorphose.

 

Franck Tétard - Photo Florian Renault

© Florian Renault

Rue des orfèvres
De Denis Marquet, facteur de guitares aux cigar box de MayCBG… Explorez notre cartographie des facteurs, luthiers, accordeurs et réparateurs d’instruments en Mayenne.

 

Article paru dans le dossier « Dans l’atelier des luthiers » du numéro 69 du magazine Tranzistor.