Parce que « l’art permet toutes les libertés », le C2A de Laval en a fait la base de l’accompagnement des adultes handicapés qu’il accueille, avec pour credo une exigence artistique source de respect et d’émulation.

Une boîte élégamment recouverte de simili cuir trône au centre d’une pièce aux fenêtres occultées. Posé sur une table, ce qui ressemble à un théâtre miniature est au cœur de toutes les attentions. Les trois volets mobiles qui constituent une de ses faces sont comme des rideaux qui, une fois relevés, dévoilent un spectacle d’ombres et de lumières. Une création épatante hybridant marionnettes et kamishibaï, cette technique de conte japonaise faisant défiler des images dans un petit théâtre de bois nommé butaï.
Une petite troupe d’une dizaine de personnes s’affaire sereinement dans cette salle du centre d’accueil et d’activité de Laval (C2A), un des 25 lieux de vie gérés par l’ADAPEI 53, une association parentale qui œuvre depuis plus de 50 ans pour l’insertion des personnes en situation de handicap intellectuel. Installé dans la zone industrielle des Touches, ce lieu d’accueil de jour accompagne des adultes via des activités manuelles, sportives ou artistiques.
Pour l’heure, c’est bien d’art dont il s’agit et l’équipe emmenée par Frédéric Geslin, éducateur spécialisé, et Hugues Bouhours, animateur, s’apprête à débuter sa répétition hebdomadaire. Chacun des membres de la troupe, baptisée Magic Butaï, regagne son poste. La lumière crue des néons cède sa place au noir incontournable avant toute levée de rideau. Une musique s’élève en même temps que la voix de Hugues, devenu narrateur d’un conte africain dont il sera aussi le métronome. Le butaï s’éclaire, et la magie opère. Oubliées les déficiences des uns ou des autres, il ne reste que le conte, les images ciselées qui se succèdent avec poésie.
Les différences se nivellent. Résidents et animateurs deviennent simplement membres d’un même groupe, chacun occupant une place essentielle. Concentrés sur la tâche, petite ou grande, qui leur a été attribuée, ils partagent un but commun : offrir un spectacle de qualité comme n’importe quels artistes.

Ouvrir des portes

« Ce que nous recherchons avant tout, c’est l’inclusion, sortir des institutions où on est cloisonnés et aider à changer le regard sur le handicap mental. Pour ça, l’art c’est génial. Un gamin qui regarde ce spectacle ne se soucie pas de savoir qui manipule, il se satisfait de l’émerveillement que procure le kamishibaï » affirme Frédéric, dont le sourire filtre à travers le masque.
Pourtant la pratique artistique n’était pas naturelle à cet éducateur spécialisé, riche de plus de 25 années d’expérience. Ce quadra chaleureux et direct précise : « Je n’animais pas du tout d’atelier artistique avant, ça ne m’attirait pas et je ne me sentais pas légitime. Et puis il y a 7 ans, Hugues est arrivé au C2A, il a proposé d’animer des ateliers de théâtre et m’a encouragé à m’y mettre. » 
La pratique artistique et sa transmission ont toujours fait partie de l’ADN d’Hugues : « L’art est dans notre nature. Chanter, se raconter des histoires, se mettre en scène, tout ça c’est à l’intérieur de nous. Il faut juste donner confiance, ouvrir des portes, dire : “c’est possible, tu peux y aller, il n’y a pas de danger, à part se rencontrer et être surpris”. » Longtemps comédien professionnel loin de sa Mayenne natale, l’animateur, regard franc et dreadlocks sur les épaules, possède aussi une longue expérience d’ateliers théâtraux dans les écoles.
Bientôt l’expression artistique devient centrale dans le quotidien du duo et des adultes qu’il accompagne. Frédéric se souvient : « Les structures médico-sociales du département se réunissent autour d’une biennale artistique dont le thème est proposé par l’une d’entre elles. En 2017, nous avons proposé pour thème la marionnette. L’idée dans un premier temps était de se former aux techniques de fabrication de marionnettes auprès de la compagnie Drolatic Industry, basée en Bretagne. On s’est démené pour financer trois jours de stage qui ont permis à un binôme animateur/personne en situation de handicap de chaque structure d’acquérir les bases de la fabrication. Ils ont à leur tour transmis ces procédés dans leurs structures respectives, qui ont toutes créées leurs marionnettes. »

All inclusive

Le projet séduit très vite le musée d’Art Naïf et le Théâtre de Laval qui exposent au public le fruit de plusieurs mois de création. « On a touché 8.000 personnes. Toujours en binôme, pendant deux journées, nous avons transmis à des enfants les techniques de fabrication que nous avions acquises. C’était vraiment formidable. » 
Avec ce résultat plus qu’encourageant, pas question d’attendre la prochaine biennale. Hugues et Frédéric accélèrent. « J’ai bricolé une maquette de butaï revu et augmenté à ma façon, pour voir, raconte Frédéric, et Hugues m’a encouragé à la montrer au Théâtre de Laval. Je ne m’y attendais pas du tout mais ils ont adoré. Ils nous ont incités à fabriquer ce prototype et à créer un spectacle qu’ils pourraient intégrer dans leur programmation ! » 
L’histoire est lancée : tous les hôtes du C2A vont mettre la main à la pâte. Il faut construire, peindre, découper, coller… « Dans ce projet tout est important, souligne Hugues. Le cheminement d’abord, la construction… jusqu’à la représentation. Nos artistes passent par les mêmes étapes que n’importe qui. Avant le spectacle, ils ont le trac, ils sont euphoriques ou malades, comme toute personne qui doit monter sur scène. » 
La pandémie a douché les espoirs de représentations mais elles restent l’objectif premier. Et ce n’est pas le seul à atteindre en cette année 2021 où les projets s’enchainent. Les ateliers théâtre, arts plastiques ou danse, aussi proposés par la structure, se poursuivent. Les deux infatigables compères et leur équipe finalisent la réalisation d’un film d’animation… Et ils rêvent d’un nouveau C2A qui serait un lieu de création, d’apprentissage et de partage pour tous les publics. Un outil d’inclusion totale en somme.
Dans la salle de répétition du C2A, Valentin et Marc ont ouvert délicatement les volets mobiles de leur butaï et dévoilent un décor de savane africaine. « Envoie le renard, Valentin !  » murmure avec bienveillance Frédéric. Le cadre glisse dans son rail, la silhouette du renard apparait… « Jamais je n’aurais cru que nos résidents pourraient atteindre un tel degré d’autonomie, avoue l’éducateur. Mais on se doit d’être exigeant, par respect pour le public et pour eux. » Félix, l’homme qui « fait monter la lune » dans le tableau final n’attend qu’une seule chose : « C’est beau, c’est en couleurs, j’ai hâte de montrer ça à des gens que je ne connais pas. »

 

Article paru dans le dossier « Handicap : la culture pour tous » du numéro 70 du magazine Tranzistor.