L’Atelier du Haut-Anjou est un lieu unique, comme la Mayenne en a le secret. Située à Daon, cette véritable caverne d’Ali Baba dédiée aux arts textiles accueille des artistes venus de toute la France en formation, masterclass ou résidence. Visite guidée avec Brigitte Guillet et Lucile Leconte, membres du collectif qui anime ce lieu, porté par un bel esprit de collégialité, de transmission et de partage.

 

« Le tissage est un art de la patience ». Designeuse et artiste textile, Brigitte Guillet l’expérimente depuis plus de trente ans : l’art du tissage est chronophage. « Il faut au minimum une journée pour réaliser un mètre de tissu, voire parfois 40-50 cm quand il s’agit d’une étoffe complexe », précise Lucile Leconte, tisserande et teinturière pour le cinéma, fraîchement arrivée dans l’équipe de l’Atelier du Haut-Anjou. 

De la patience, cela tombe bien, Brigitte Guillet et Anne Corbière, les deux co-fondatrices de l’Atelier, en ont à revendre. Ce projet, elles l’ont mûri pendant près de 20 ans, depuis leur rencontre sur les bancs de l’Atelier national de l’art textile (ANAT / ENSCI) à Paris, à la fin des années 80. Réalisant la chance qui leur permet alors, à près de 30 ans, de « retourner à l’école », les deux amies rêvent d’un lieu où l’on pourrait transmettre cette pratique séculaire, hautement technique et souvent complexe, qu’est le tissage.  

Alors que l’art textile est en plein renouveau, ces deux anciennes costumières, dont le travail tisse depuis déjà longtemps artisanat de haute précision et création artistique, font le constat qu’il n’existe pas ou peu d’endroits permettant aux artistes plasticiens de se former aux savoirs-faires textiles.  

C’est finalement à Daon, attachant petit village du sud-Mayenne, qu’elles trouveront l’espace pouvant accueillir l’Atelier et la dizaine de métiers à tisser dont il dispose désormais. Créée en 2013, l’association structure peu à peu ses propositions de formation professionnelle, qui s’échelonnent aujourd’hui sur quatre niveaux, de l’initiation à l’approfondissement.

L’esprit du lieu

Depuis plus de 20 ans, de nombreux artistes au profil très divers sont ainsi venus s’y former, parfois plusieurs fois, à l’image d’Olive Martin et Patrick Bernier. Ce couple d’artistes nantais a déjà suivi trois formations à l’Atelier du Haut-Anjou. En itinérance depuis Nantes sur leur « Déparleuse », un bateau sur lequel ils ont installé un métier à tisser, cette semaine de mai, les deux créateurs font étape au « port » de Daon, sur les rives de la Mayenne.  

Et le fait que l’Atelier y soit ancré n’est évidemment pas pour rien dans leur décision de s’y amarrer quelques jours ! Il semblerait que beaucoup de ceux qui sont un jour passés par ce lieu accueillant et chaleureux aiment y revenir. Ainsi, gagnés par l’énergie collective et l’esprit coopératif de l’Atelier, nombre d’artistes, accueillis à Daon pour une formation ou une résidence, ont rejoint depuis son équipe, qui compte désormais une douzaine de membres actifs, venus de toute la France.  

Respectant scrupuleusement un fonctionnement non pyramidal, le collectif veille à ce que chaque décision soit débattue et partagée, et à ce que l’engagement de chacune et chacun, dénué de tout intéressement personnel, contribue à la philosophie de transmission et de partage de l’association. 

Fort de cette dynamique, l’Atelier multiplie ces dernières années les actions, invitant désormais des créateurs textiles, pointures nationales ou européennes, lors de masterclass régulières ou bien lors des ateliers 1.1.1, qui pendant une journée permettent à qui le souhaite, néophyte comme créateur confirmé, de se plonger, par la pratique, dans l’univers d’un artiste.  

L’occasion aussi de découvrir le monde foisonnant de l’art textile, qui mêle tissage, broderie, teinture, feutre, tapisserie, etc., et de se familiariser à son vocabulaire technique plein de mots étranges pour le néophyte : ourdissoirs, armures, fils de chaine et de trame, sergé, rentrage, enfilage, navette… 

« C’est aussi la vocation de l’Atelier,qui vise à privilégier les liens sociaux et les échanges culturels »

En 2019, le lieu initiait également, en partenariat avec le TALM (école supérieure d’art et de design d’Angers), une résidence de création artistique. D’une durée de 3 mois et dotée d’une bourse de 6 000 euros, cette résidence offre, tous les deux ans, l’opportunité à un artiste de bénéficier du cadre de travail exceptionnel qu’offre l’Atelier du Haut-Anjou, avec ses moult métiers à tisser (4 cadres et 8 cadres), son impressionnant métier à tisser 16 cadres piloté par un logiciel informatique, ses machines à coudre, son espace pour faire de la teinture, ses grandes tables pour le patronage et sa filothèque, collection unique rassemblant plusieurs centaines de bobines de fil de toutes les couleurs et textures.. 

Accueillie depuis mi-mai en résidence à l’Atelier, Silvana McNutly savoure son bonheur. Sélectionnée parmi plus de 100 candidatures, la jeune artiste, basée à Paris, mesure sa chance de pouvoir travailler dans ce lieu privilégié, loin du tumulte urbain. Installée dans la partie « hébergement » de l’Atelier – une cuisine et deux grandes chambres meublées et décorées avec le soin et l’élégance sobre qui caractérisent toute la maison -, Silvana a déjà créé une dizaine d’œuvres depuis son arrivée.  

Mariant matériaux organiques et matières plastiques ou métalliques, combinant objets de récup, perles et textiles minutieusement ouvragés, ses assemblages sont rythmés par le crochet, sa technique de prédilection, sorte de maille qui, comme un tissu végétal, semble venir manger et recouvrir bondes d’évier, cerceaux, ciseaux et autres matières inertes. L’artiste compte bien profiter aussi de sa résidence pour intégrer à ses œuvres la technique du tissage, auquel elle s’initie depuis quelques jours, avec notamment Brigitte et Lucile.  

Mais pour l’heure, Silvana a terminé sa journée, et annonce, en souriant, qu’elle va boire un verre au café du village, où elle semble avoir déjà des attaches. Brigitte acquiesce. « C’est aussi la vocation de l’Atelier, qui vise à privilégier les liens sociaux et les échanges culturels ». Lieu de rencontre et de croisement parfaitement intégré au dynamique tissu associatif local, l’Atelier du Haut-Anjou propose en ce sens de nombreuses actions culturelles aux établissements scolaires de la région, ainsi que des ateliers et portes ouvertes accessibles à tous, contribuant patiemment à tisser ces liens précieux qui nous aident à faire société.

Playlist

1- Mawaca – Las panaderas  

2- Peter Tosh – Buck-in-Hamm Palace  

3- Mercury Rev – Tides of the Moon  

4- Seasick Steve – Sun on my face

 

 

Chaque premier jeudi du mois à 21h sur L’autre radio, Tranzistor l’émission accueille un acteur de la culture en Mayenne : artiste, programmateur, organisateur de spectacle… Trois fois par an, Tranzistor part en « live » pour une émission en public. Au programme: intervews et concerts avec deux ou trois artistes en pleine actualité. 

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