En résidence depuis janvier à Pontmain, les photographes Lise Gaudaire et Marc Loyon ont arpenté les paysages du nord-ouest mayennais. Une exposition, fêtant les 20 ans du Centre d’art contemporain, croise leurs regards sur ce territoire.

L’œil est chaque fois happé par une démesure. Deux clochers aux proportions bibliques dressent leurs flèches vers l’azur, jaillis par miracle d’une placide campagne : la basilique Notre-Dame de ­Pontmain domine un modeste bourg de 825 âmes. Haut lieu de pèlerinage depuis que la Vierge y serait apparue à l’hiver 1871, ­Pontmain est aussi devenu en 20 ans une étape de choix sur la carte de l’art contemporain.
1999 : la tendance est à l’ancrage de centres d’art en milieu rural. Au confluent des trois régions du Grand Ouest, lieu de passage et de curiosité, ­Pontmain offre un profil intéressant. Sous l’impulsion du ministère de la Culture et des collectivités locales, l’ancienne maison de retraite du village accueille une première exposition à l’aube des années 2000. Rénové et agrandi en 2010, le centre d’art trouve son rythme de croisière : du printemps à l’automne, il programme trois expositions pour 3 000 visiteurs annuels. « Nous accueillons aussi chaque année deux artistes en résidence durant un mois et demi, précise Stéphanie ­Miserey, qui a pris les rênes de la direction l’an dernier. Pour marquer les 20 ans, nous souhaitions mettre à l’honneur la photographie, un médium assez peu représenté jusque-là. » Avec une idée phare guidant le choix des artistes : celle d’une implantation au long cours (de janvier à août) leur permettant de développer une vision singulière de la communauté de communes du ­Bocage mayennais.

Paysans, paysages

Ce territoire épousant les lisières nord-ouest du département, Lise ­Gaudaire et Marc ­Loyon ont eu tout le loisir de le sillonner, à un confinement près : les lumières du printemps naissant auront échappé à leur objectif. Sans que cela n’affecte trop leurs travaux respectifs, à la fois familiers et distincts. Munie d’une chambre photographique – technique argentique remontant aux prémices de la photo –, l’une travaille la question du paysage et de ceux qui l’habitent. L’art du second est de saisir au reflex numérique les contours flottants des environnements urbains. Les deux photographes ont d’ailleurs ceci en commun, outre leur ancrage rennais : interroger notre rapport au territoire.
Pour Lise, il est indissociable des hommes qui le peuplent, le travaillent, le modèlent. La trentaine, fille d’agriculteurs dans les Côtes-d’Armor, elle est vite intriguée par ce lien unissant hommes et paysages. « Étudiants, on nous avait fait lire un ouvrage d’un grand théoricien du paysage, ­Alain ­Roger. Il y dit que les agriculteurs le voient comme un lieu de travail et de production, mais pas de manière esthétique. Ça m’avait interpellée, car ça me paraissait plus complexe. »

 

© Lise ­Gaudaire

© Lise ­Gaudaire

 

Des résidences photo en campagne limousine puis dans une forêt bretonne, à la rencontre de paysans ou gardes forestiers, lui permettent d’éprouver ses intuitions sur le terrain, de récolter d’un fidèle micro des paroles rares. Après la forêt, Lise a déjà un motif en tête lorsqu’elle arrive en Mayenne : le bocage. Un fil rouge qui s’effiloche lors des premiers repérages vers ­Gorron ou ­Ambrières-les-Vallées : « Ici comme en Bretagne, le bocage n’existe plus vraiment. Du moins comme on l’entendait avant, un maillage très serré de parcelles agricoles, séparées de haies et de chemins creux. Le remembrement est passé par là », note la photographe qui se garde de toute « position morale », et défend un statut d’« observatrice ». Passé le constat, comme ailleurs, d’un paysage en perpétuelle mutation, Lise fait surtout des rencontres, moteur de sa démarche. En prospectant par bouche à oreille, elle cible les abords de ­Pontmain et croise la route d’une éleveuse laitière bio, d’un couple de retraités néoruraux, d’un jeune maraîcher et son projet de microferme… Pour s’excentrer des voies balisées, Lise demande à ses hôtes du jour de l’emmener marcher dans la campagne et de lui présenter leur vision du bocage. Parfois, un beau chemin creux, vestige préservé d’un maillage ancien, émerge des promenades. Lise reviendra le saisir. « Être accompagnée m’a permis d’accéder à des endroits où je n’aurais pu aller seule. Et la marche est un moment privilégié pour échanger. » Un cheminement qu’emprunte aussi Marc ­Loyon : « Je marche beaucoup, je fais des rencontres au hasard, pouvant déboucher sur un portrait. Il y avait souvent pas mal de méfiance, ce que je ne ressens pas en ville. Mais une fois que j’expliquais ma démarche, les gens étaient curieux, avenants. »

Poésie de l’ordinaire

De Barcelone au Havre, en passant par Vienne, l’artiste rennais, 53 ans, a lui jusqu’alors sondé les marges poreuses des villes, « ­errances photographiques » dans ces « non-lieux » mouvants, indéfinis. « C’est la première fois que j’abordais un territoire aussi rural. Avec toujours l’idée de photographier l’ordinaire, ici les zones entre les espaces habités, construits et les espaces naturels, agricoles. » Des 27 communes du Bocage mayennais, rares sont celles qu’il n’explore pas, appareil à la main, pérégrinant de lotissements en zones artisanales, là où le béton, irrésistiblement, grignote les terres.
Ce qu’imprime Marc dans ses instantanés, c’est « cet étalement urbain très marqué et aussi une uniformisation du paysage en France, et même en Europe. On pourrait être en Mayenne, comme n’importe où dans le pays. D’ailleurs, je cherche à ne pas marquer le territoire par des signes distinctifs ».
Enseignes industrielles défraichies par le temps, pavillon brut le long d’un champ, base de loisirs déserte au petit matin, portrait d’une jeune haltérophile dans un club de village : une poésie du quotidien, baignée de lumières d’aubes et d’une douce étrangeté, se dessine au fil des compositions. Ou comment voir d’un autre œil ces lieux trop ordinaires, qu’on ne sait plus regarder ?
Présentant une cinquantaine de clichés, l’exposition à ­Pontmain permet d’embrasser les regards croisés des deux photographes sur des espaces parfois oubliés, dans l’angle mort médiatique. Des paysages, mais aussi des visages. Comme cette série de huit portraits par Lise ­Gaudaire, émaillant un parcours qui évoque également, en filigrane, son histoire personnelle : « La notion de ruralité, je l’ai sentie très forte ici. Ça m’a vraiment ramenée au territoire d’où je viens en Bretagne. » Avant d’ajouter dans un sourire : « J’avais quitté cette campagne avec l’idée de ne plus y revenir et, finalement, m’y voici de retour. »

À voir
Exposition jusqu’au 29 novembre, entrée libre. En savoir plus.