Le boulot et l’accordéon, un combo parfait pour eux. CLÉMENT et CAMILLE GUAIS, tout juste 30 ans, fabriquent des accordéons diatoniques, à Château-Gontier. Rendez-vous avec des gars bien dans leur époque, musiciens curieux, fils et petits-fils d’accordéoneux.

Ils ont la rencontre facile, le propos volubile. Sur leur passion, l’accordéon, ça déroule cultivé. Barbe bien taillée, l’œil noisette pétillant, les jumeaux Camille et Clément Guais sont facteurs d’accordéons. Leur spécialité : fabriquer de A à Z des instruments diatoniques pour des particuliers en France, et de l’Europe jusqu’au Canada. L’image peut surprendre. Et pourtant…
C’est dans leur atelier, rue Alexandre-Fournier, qu’on les rejoint. La discussion s’engage spontanément autour d’un café. L’accordéon, c’est une histoire de famille. Un compagnon de toujours. Alfred Guais, leur grand-père, aujourd’hui 98 ans, a toujours taquiné l’instrument. Enregistré lors du collectage réalisé aux débuts des années 80 en Mayenne, il figure d’ailleurs en bonne place dans le livre-cd Écoutez gens de Mayenne.
« Agriculteur, il consacrait son temps libre à jouer dans les fêtes, les réunions familiales… Il a appris l’accordéon dès 15 ans, avant la Seconde Guerre mondiale, racontent les deux frères, cigarette roulée à la main. Il a transmis sa passion à notre père et à nos trois oncles ».
Dans la famille Guais, on ne pratique que le diato, plus familier des répertoires traditionnels et folk que le chromatique. « C’est un accordéon traditionnel qui fonctionne comme un harmonica. Il utilise des anches libres, excitées par un vent variable ». L’accordéon diatonique est bisonore, avec deux notes par bouton (l’une en poussant, l’autre en tirant). Tandis que le chromatique, avec une seule note par bouton, est unisonore. Il se rapproche du piano.
Les deux frères ont appris à jouer sur le tas, « sans notion de musique ou de solfège et sans jamais prendre de cours ». « À vue d’oreille », comme disent les anciens. Très tôt, Clément a été fasciné par l’objet. Il a acquis les premiers rudiments au côté de son père, en 1998. Lequel « avait arrêté de fumer pour économiser de quoi se payer un beau modèle diatonique. Un Castagnari à 17000 francs! » Quant à Camille, ce n’est que longtemps après qu’il s’est frotté à l’accordéon : « Pour le mariage de mon frère, en 2014 ».

Jumeaux bricolos

Les jumeaux ont toujours aimé bricoler. Doués de leurs mains, ils ont suivi une formation en ébénisterie. Après un BEP et un CAP, Camille a poursuivi deux années supplémentaires en métiers d’art à Sablé-sur-Sarthe. Clément, lui, s’est lancé dans le marché du travail en menuiserie, tout en espérant devenir un jour facteur d’accordéon. Un rêve de gosse. « Il n’existe pas de formation spécialisée, alors je me suis formé sur le tas »… en désossant un premier accordéon. Dans les brocantes, le jeune homme en déniche d’autres pour s’entraîner. À 19 ans, il effectue un stage de trois mois auprès d’un professionnel, à Besançon.
Après cette expérience enrichissante, le jeune homme retourne travailler en menuiserie pour renflouer les comptes. Il économise de quoi acheter des machines et loue un premier local à Bierné, en 2005. Là, Clément Guais fabrique ses premiers modèles. « Le premier n’était pas top », avoue-t-il.
En mars 2011, Clément crée son entreprise, toujours à Bierné, et expose son savoir-faire lors d’un festival. En avant la musique, trois commandes lui sont passées. Deux ans plus tard, l’affaire tourne bien. L’entrepreneur emménage dans une maison à Château-Gontier. Il loge à l’étage et installe son atelier au rez-de-chaussée. Sa grande vitrine bleue trône rue Alexandre-Fournier. À partir de 2014, les carnets de commande se remplissent. Il faut compter un délai de livraison d’un an.
C’est que depuis environ quinze ans, le diatonique a la côte. Né à la fin du 19e et apparu dans les campagnes françaises au début du 20e siècle, l’instrument subira la rude concurrence du chromatique, avant de connaître un renouveau avec le revival folk dans les années 70. Un engouement qui ne s’est jamais démenti depuis.
International, on le retrouve en Argentine pour le tango, sur les îles de la Réunion, Maurice et Rodrigue, ou bien encore au Brésil ou en Espagne… En France, l’instrument est le roi des bals folk, où il accompagne des danses traditionnelles comme la scottish, la valse, la mazurka ou encore la gavotte bretonne.
Au sein notamment du groupe Le Quintet sans tête, les frangins Guais brassent ainsi sans complexe les musiques populaires du monde entier, de l’Irlande au Brésil. La formation anime régulièrement des bals dans le – petit mais vivace – réseau folk de la région.

« L’affaire est viable »

On compte une dizaine de facteurs de diatoniques dans l’Hexagone. Une aubaine pour Clément Guais. À la fin de l’année 2014, son frère Camille le rejoint dans l’aventure pour l’épauler. « De plus en plus de passionnés se lancent dans la fabrication, souligne ce dernier. À l’Institut technologique européen des métiers de la musique du Mans (Itemm), où j’ai travaillé comme assistant, on comptait quatre étudiants en lutherie tous les deux ans. Aujourd’hui, ils sont dix-huit chaque année ».
Leurs clients ? « Des particuliers qui pratiquent depuis plusieurs années et qui savent juger de la qualité d’un instrument ». Les jumeaux Guais exposent notamment leur talent lors de festivals spécialisés, aux Musicalies en Sologne, à La Gallésie en fête à Monterfil (Ille-et-Vilaine), Le Son Continue à La Châtre (Indre)… Leur site internet attire une clientèle d’Angleterre, de Belgique, du Canada et de toutes les régions de France, notamment l’Auvergne.
Bien que certains mois soient plus difficiles, ils dégagent un revenu suffisant pour vivre. « L’affaire est viable », assurent-ils. Clément travaille à temps plein à l’atelier. Camille occupe parallèlement un poste de surveillant dans un internat de la ville.
Pour concevoir un accordéon, il faut compter entre trois semaines et un mois et demi de travail. Les Guais fabriquent la partie ébénisterie : toutes les pièces en bois noble de noyer, de filet de palissandre et de citronnier, et les éléments de décor. Camille se charge de travailler le bois, des finitions et du vernissage. Clément s’occupe du montage mécanique, de l’accordage et des commandes. Les anches proviennent des ateliers de spécialistes italiens. Tout comme les soufflets, achetés sur mesure.
Leurs accordéons valent entre 2000 € et 5000 €. Chez eux, il n’y a pas de réassort. Seulement du sur-mesure. Aujourd’hui, leurs modèles sont de petits bijoux, estampillés d’un « G ». Leur marque de fabrique.