Lieu unique et secret, L’Atelier du Haut-Anjou accueillait cet été l’artiste Louise Limontas en résidence. La créatrice textile y a tissé des liens humains, qui constituent la trame de l’œuvre qu’elle a créée in situ. Visite de chantier.

Depuis la route principale du village de Daon, on fait face à une large maison de bourg aux murs blanc cassé et aux volets bleus. Dans la pièce principale de L’Atelier du Haut-Anjou, grande et lumineuse, les poutres et solives apparentes témoignent de l’ancienneté des lieux, centenaires. Impossible de rater les trois métiers à tisser installés dans cette salle. Ni les centaines de bobines de fils de toutes les formes et de toutes les couleurs qui ornent les murs.
Dans ce cocon parfaitement propice à la création, comme chaque jour depuis début mai, Louise Limontas se met à l’ouvrage sur l’un des métiers à tisser. La lumière crue de ce mois de juillet filtre par la fenêtre et éclaire ses gestes minutieux et techniques. La tranquillité de la vieille bâtisse est uniquement troublée par le tintement des lisses, provoqué par le peigne que Louise rabat après chaque passage d’une navette. En ­arrière-plan, murmure la Radio télédiffusion belge francophone (RTBF), que la créatrice écoute comme pour garder contact avec sa terre natale.
La Bruxelloise s’emploie à achever l’œuvre qui sera le fruit de sa résidence à Daon. Opportunité exceptionnelle – « c’est la première résidence dédiée à l’art textile que je rencontre », confie-t-elle –, cette initiative a été lancée en 2019 par l’école supérieure d’art et de design d’Angers et L’Atelier du Haut-Anjou.
À l’origine, ce lieu atypique est d’abord une extension de l’atelier d’Anne Corbière, designeuse textile installée depuis de nombreuses années dans cette région marquée par la tradition du tissage. Elle sera rejointe par cinq autres créatrices indépendantes, œuvrant dans le milieu du textile, pour la mode, l’ameublement, le spectacle… et toutes animées par le besoin de transmettre leur savoir-faire. « On a souhaité que L’Atelier soit un lieu de partage et d’échange », explique tout sourire, Muriel Guillaumé, membre de l’association qui gère le lieu. Chaque année, cet espace de travail, qui s’étend sur quatre étages, reçoit une vingtaine de stagiaires – artistes, designeurs, stylistes, décorateurs… – qui viennent se former professionnellement aux techniques de tissage. Des ateliers hebdomadaires sont aussi proposés aux amateurs.
Évidence pour l’association, la création d’une résidence longue durée s’inscrit pleinement dans l’objectif de transmission qui l’anime. Suite à un premier appel à candidatures lancé début 2019, la réponse de Louise Limontas fera l’unanimité.

Le textile pour langage

Au premier étage de l’Atelier, Louise a disposé sur une grande table les différentes esquisses qu’elle a réalisées pendant sa résidence, et qui l’ont guidée dans sa réflexion. Physique d’apparence fragile, gestes mesurés, de grands yeux bleus qui illuminent un visage doux et décidé, derrière sa timidité, l’artiste bruxelloise cache une détermination sans faille. Après cinq années à La Cambre, l’école supérieure d’arts visuels de Bruxelles, où elle obtient un master en design textile, elle s’installe comme designeuse textile indépendante. Mais en parallèle de cette activité qu’elle juge plus alimentaire, elle affirme son besoin vital de créer. « Écrire ou parler pour expliquer les choses, ça m’est très difficile. Mon moyen d’expression, c’est vraiment le textile », avoue-t-elle dans un demi-sourire. Faute de mots exacts, elle tisse, faisant confiance à son intuition.
« Je tente de concilier le travail à la machine et le geste humain réfléchi, presque méditatif des techniques artisanales. » La trentenaire mi-flamande, mi-lituanienne s’inspire aussi de l’année qu’elle a passée en Lituanie, le pays de son père. Ce qu’elle y découvre alors – coutumes, vêtements traditionnels, fêtes païennes… – se dépose en elle comme un sédiment, et continue d’alimenter son travail, à la fois instinctif et sophistiqué, profondément personnel et d’une précision redoutable.
Artiste multiple (dessin, photographie, tissage…), Louise conçoit ses œuvres à partir de son intimité, son histoire. Elle a entamé récemment un travail inspiré par la maison de sa grand-mère décédée. Elle s’intéresse aux objets du quotidien de son aïeule, et à comment, à partir de ces objets, elle peut raconter sa propre histoire. « C’est un projet qui parle du temps, de la trace et de l’absence. Comment un souvenir peut s’inscrire dans la matière, que ce soit un tissu, un objet ou même l’empreinte que laisse un tableau décroché sur un papier peint ? » Elle s’inspire ensuite de ces moments pour créer des pièces de textile « hybrides », mêlant dentelle, broderie, tricot, tissage…

Parenthèse enchantée

À Daon, Louise poursuit cette expérience avec les habitants du village : créer une œuvre à partir d’objets de la vie courante, des émotions qu’ils suscitent. Ainsi, tout au long de sa résidence, l’artiste belge a navigué entre la solitude de la création, dans le refuge de l’Atelier, et la rencontre comme source d’inspiration. Elle s’est invitée chez Serge, Denis, Clotilde et tant d’autres. Elle s’est imprégnée, gorgée même, de leurs intimités. Ici c’est un motif sur un tissu, là une inscription au fronton d’un miroir qu’elle a collectés. Là encore, un drapé ou bien les couleurs vives d’une plaque publicitaire pour Citroën. Louise réinvestit ces éléments et les émotions ressenties pendant ces rencontres pour créer de nouvelles pièces. Car, pour elle, « le ressenti est la façon la plus honnête de retranscrire les choses. »
Même si Muriel Guillaumé a hâte de découvrir les huit mètres de fresque que Louise a patiemment tissés pendant son séjour à Daon, elle avoue avec émotion que « le trésor de sa résidence, c’est avant tout le lien qu’elle a su créer avec les villageois. C’est la magie de Louise ! ». La jeune Belge avoue, non sans tristesse, qu’il va lui être très difficile de quitter le village après ces mois de parenthèse enchantée. Rémunérée, la résidence lui a permis de créer en toute liberté, sans se soucier de devoir s’assurer un revenu pour subvenir à ses besoins.
À quelques heures de la fin de son séjour, Louise tisse encore et encore. Patiemment, elle entremêle les fils de trames et les fils de chaines, comme pour consommer jusqu’à la lie la charge émotionnelle emmagasinée pendant cette résidence, et fixer dans la toile ces instants partagés avec les habitants de Daon, qui semblent l’avoir adoptée comme une fille du pays.

À voir
– Exposition de Louise Limontas à la galerie Art Inside à Château-Gontier-sur-Mayenne, du 18 octobre au 16 novembre.
– Photo-reportage d’Arnaud Roiné lors de la résidence de Louise Limontas à L’Atelier du Haut-Anjou (Daon), en juillet 2019.

 

Le fil de soi

 

Article paru dans le dossier « Attention : artistes en création ! » du numéro 67 du magazine Tranzistor.