Francis : salut Lionel, ça gaze ?
Lionel : ouais, bof. Pas trop. C’est la rentrée… Y fait moche, on a eu un été pourri…
Francis : oh la, t’as rien de plus banal en stock ? On dirait deux petites vieilles sur le marché… Tiens en parlant d’été, tu as trouvé ça comment les 3 Éléphants ? Tu y étais non ? J’ai cru te croiser aux toilettes sèches. T’avais l’air fatigué…
Lionel : arrête ton char ! J’ai presque pas bu ce soir là ! Non, sérieusement, c’était cool. Après le déménagement des 3 Éléphants à Laval, tout le monde les attendait au tournant. Mais je n’ai pas senti de décalage avec les précédentes éditions. On retrouvait vraiment l’ambiance qui régnait à Lassay. Le nouveau site est plus grand, plus fonctionnel, plus agréable… et l’équipe « déco » a assuré, c’était classe. Sinon question musique, le premier soir, j’ai bien aimé Coming Soon. J’ai trouvé ça frais. Des blancs-becs français de 17 balais qui font du folk-rock à l’américaine, et qui se prennent pour Nick Cave ou Johnny Cash, c’est plutôt chouette, non ?
Francis : non. Moi j’ai trouvé ça vraiment trop jeune, trop fragile, pas assez assuré. Ca chantait faux par moment. Il faudra voir ce qu’ils deviendront quand la hype sera retombée… Par contre, dans la veine folk, j’ai beaucoup aimé le concert de Moriarty. Ils sont vraiment un beau son, chaud, velouté… Et la chanteuse a une très belle voix, pleine de fantômes…
Lionel : oui, ils ont trois ou quatre chansons magnifiques. Et leurs reprises d’ « Enjoy the silence » de Depech Mode et de « Chocolate Jesus » de Tom Waits étaient à pleurer. Leur musique me fait parfois penser à celles de Jim Murple Memorial ou la chanteuse soul Nicole Willis.
Francis : ah bon ? Je ne vois pas trop le rapport.
Lionel : musicalement, ça n’a rien à voir. Mais dans le démarche, dans cette façon de reproduire à l’identique le son d’une époque, avec du matériel vintage…. il y a quelque chose de semblable. Il y a cette même volonté de retrouver quelque chose d’authentique, de patiné. Et ils y parviennent sacrément bien !
Francis : ensuite, il y avait le Canadien Patrick Watson, sous le chapiteau. J’adore son dernier album. J’étais curieux de voir comment il allait transposer sur scène cet univers très intimiste, fourmillant de détails, d’arrangements subtils… Et il y parvient à merveille : les chansons du disque étaient bien là, conservant leurs nuances, leur mystère et leur étrange pouvoir d’envoutement, d’anesthésie douce… Il chante divinement bien, et il le sait. Les autres musiciens sont impressionnants, tout aussi singuliers dans la façon qu’ils ont d’aborder leur instrument, de développer un son qui n’appartient qu’à eux. J’avais l’impression de voir quelque chose d’inédit, une nouvelle façon de jouer en groupe, de faire du rock. Parfois les chansons implosaient littéralement, muaient en orages bruitistes, inventaient des espaces sans fonds… Pour moi, Patrick Watson, c’est un groupe de free pop. Pop parce qu’ils ont des belles gueules, des belles chansons et des refrains qui tuent, et free parce qu’on les sent prêts à tout, à se lâcher, à improviser, à emmener leur musique ailleurs….
Lionel : waouh ! Quel lyrisme ! Moi, désolé, ça ne m’a pas convaincu. J’ai trouvé qu’ils en faisaient trop, qu’ils surjouaient… Il y avait un coté surenchère, trop de sons, trop de notes, d’effets sur sa voix…. Tout ça vous noyait dans une masse sonore indistincte. C’était trop chargé pour qu’on parvienne à y rentrer et à s’y installer. Du coup, je suis parti avant la fin du concert…
Francis : Dommage… Pour Micky Green, je pense par contre qu’on sera d’accord. C’était chiant comme la pluie !
Lionel : Ouais, tu l’as dis. Un son très banal, FM, calibré, avec beaucoup trop de basses et de grosse caisse… Bref l’ennui total. Mis à part le moment où elle a chanté son tube « Oh no », il ne s’est rien passé.
Francis : Pareil pour Le Peuple de l’herbe. Ce n’est vraiment pas ma came ce groupe !
Lionel : Ouais, je suis pas trop fan non plus. Mais à plusieurs moments, surtout quand Sir Jean, l’ancien chanteur de Meï Teï Shô, était au micro, j’avoue que j’ai kiffé. Et le public aussi apparemment, c’était la folie devant la scène. Et les américains de Subtle ? Leur show était pas mal, non ? J’aimais bien leurs déguisements à la Devo, leur excentricité, le débit hallucinant du mc, Dose One.
Francis : ouais, bof… Ca m’a saoulé. De toute façon, le flow de Dose One me gave au bout de deux minutes, et puis le son était vraiment brouillon. On distinguait aucun instrument clairement. J’ai trouvé leur set sans surprise, lourdingue…
Lionel : ouais, t’es blasé quoi ! Et DJ Qbert ? Je parie que tu n’as pas aimé non plus ?
Francis : Mais si ! Enfin au début c’est vrai, j’ai eu peur que ça m’ennuie, que ça ne soit qu’une performance technique, une simple démonstration… Mais, même s’il y a dans son show un aspect « performance », j’avoue que j’ai été fasciné par sa dextérité, par la virtuosité avec lequel il joue des platines. Parfois, j’avais l’impression de voir un film en accéléré, tellement ses gestes étaient rapides.
Lionel : Et puis les disques que Qbert enchainait étaient des tueries, des pures bombes funk soul seventies de derrière les fagots, avec des breaks et des lignes de basse à tomber ! D’ailleurs c’est à ce moment-là que j’ai du paumé mon pin’s AC/DC, tu sais celui qui parle, là… Alors je suis allé au stand Tranzistor, vu qu’ils s’occupaient aussi des objets trouvés et… Eh mais, je m’en souviens maintenant ! Je t’ai vu là bas, t’essayais pas de draguer une fille du stand prévention, juste à côté ?
Francis : ouais, m’en parle pas. Je l’avais branchée pendant le set de Vitalic, énorme d’ailleurs ! Mais bon… si on causait plutôt du lendemain ? C’était sympatoche Victor Démé, non ?
Lionel : oui, voilà. Sympa. Pas la révolution, mais du bon blues africain, avec des refrains entrainants, des percus qui roulent et des solos de kora qui coulent…
Francis : quel poète ! Nneka, j’ai trouvé ça froid, un peu variét’, mou du genou. Bien fait, bien joué mais sans profondeur, sans relief. Un peu banal.
Lionel : t’es dur. J’aime beaucoup certaines chansons de son disque mais sur scène, j’avoue que j’ai été un peu déçu. Leur concert était honnête mais sans folie. Il manquait quelque chose, une énergie, un engagement… On sentait les musiciens qui l’accompagnaient pas impliqués, sans véritable personnalité musicale. Ca sentait le requin de studio à plein nez.
Francis : Why ?, au contraire, c’était plutôt une bonne surprise. Ce type est insaisissable. Il passe sans difficulté du hip hop au folk, de l’electro au rock.. Aux 3 Éléphants, son concert affichait plutôt une tonalité rock, avec des chansons libres, sans schéma établi…
Lionel : j’ai pensé parfois à Lou Reed, à cause de sa voix un peu nasillarde. Mais difficile d’y voir des influences, sa musique ne ressemble à rien d’autre qu’à elle-même.
Francis : Dans le genre « je ne ressemble à personne », Camille n’est pas mal non plus…
Lionel : et c’est parfois ce qui m’agace chez elle. Cette façon qu’elle a de jouer les impertinentes, la petite fille qui n’en fait qu’à sa tête, « regarder comme je suis folle, comme je suis libre ». J’ai parfois l’impression qu’elle s’est un peu enfermée dans ce personnage de fofolle de service. Comme si tout ça était un peu forcé, pas très naturel. C’est ce qui m’a gêné au début du concert, puis petit à petit, j’ai été séduit. Je n’ai pas pu m’empêcher de taper du pieds, d’obéir à mon corps, qui lui adorait. Lorsqu’une chanson démarre, on se demande où elle veut aller, on ne voit pas bien… et puis soudain tout s’imbrique. Et ça devient énorme, inédit, jamais vu. Les chanteurs et les beatboxers qui l’accompagnent sur scène sont impressionnants. Très bien pensé, mis en scène, le show de Camille se déroule à toute vitesse, plein de surprises, de petits événements… Jusqu’à l’apothéose finale et cette robe qui dévoile une partie de son joli postérieur.
Francis : ouais, tout le monde trouve ça génial parce que c’est Camille. Mais franchement, elle ne fait que montrer son cul. Je trouve qu’il y a des façons plus élégantes et créatives de surprendre.
Lionel : quelle Sainte Nitouche tu fais ! Et Birdy Nam Nam, tu en as pensé quoi ?
Francis : Leur show était énorme visuellement. Ca faisait longtemps que je n’avais pas vu quelque chose d’aussi abouti et créatif. Une idée à la seconde, des chose simples mais efficaces, le tout parfaitement synchronisé avec la musique… J’étais scotché. Mais leurs nouveaux morceaux m’ont un peu déçu. Le fait d’utiliser moins les platines vinyles et de travailler davantage avec des machines rend leur son moins personnel, plus standard. Leurs beats sont fats, c’est efficace, bien foutu, pas de problème ! Mais il y a déjà plein de gens qui font ça aussi bien qu’eux.
Lionel : je suis d’accord avec toi : en ne travaillant plus exclusivement avec des tourne-disques, ils perdent un peu de ce qui faisait leur son, leur patte sonore… Mais je pense qu’ils ont raison d’évoluer. Ils risquaient sinon de rester prisonnier de cette formule, de cette marque de fabrique. C’était le moment où jamais de tenter autre chose. Ils sont en train de passer un cap, d’aller vers des sons plus electro, plus dancefloor… et je trouve qu’ils négocient bien cette transition. Il y a dans certains de leurs nouveaux morceaux une puissance incroyable, une énergie presque primale, une vraie science de la construction et de la production. Leurs sons étaient énormes, comme s’ils étaient découpés au laser et propulsés au canon à air comprimé. La claque !
Francis : Ouais ben Bridy Nam Nam, ils feraient bien de faire un stage « j’apprend à parler au public ». Entre les morceaux, le seul truc qu’ils ont su dire, c’est « putain enculé ». Une manière assez originale de mettre de l’ambiance. Non, la claque pour moi, ça a été le concert des New-Yorkais de Youngblood Brass Band. Tout le contraire des Birdy : pas de show lumière, pas d’ordinateurs ni de machines dernier cri, juste des cuivres, des percussions et un micro ! Et pourtant ça envoyait sévère. Ils sont super carrés, hyper en place ! Ca groove mieux qu’une machine. Et quand le type derrière la caisse claire au début du concert lâche ses baguettes pour le micro, ça devient carrément énorme. Son flow à la Rage Against the Machine colle parfaitement aux beats funky et aux riffs démoniaques des cuivres. J’avais l’impression d’entendre un putain de rock’n’roll band, acoustique certes, mais aussi dévastateur qu’un groupe de fusion genre Fishbones ou Rage… Il y a dans ce mariage inattendu entre hip hop et musique des brass band une énergie incroyable, une rage positive, comme une bouffée d’air frais. Comme si du sang neuf (ils ne s’appellent pas « Youngblood » pour rien) circulaient dans les veines de la musique afro-américaine. Ils ont mis le feu au chapiteau, le public était en délire…
Lionel : mais on n’a pas eu le droit au moindre rappel, alors que le public était survolté et n’attendait que ça ! C’est toujours comme ça aux 3 Éléphants, il n’y a des rappels que pour les têtes d’affiche. Respect des horaires oblige !
Francis : ouais, ben moi, ça m’a énervé, du coup je suis retourné voir mes potes du stand Tranzistor, histoire de me détendre…
Lionel : et de faire un petit détour pour voir la nana du stand prévention, non ?
Francis : t’es lourd comme mec ! Arrêtes de me chambrer où je raconte à tout le monde dans quel état pas joli tu as fini…