Connu jusqu’alors pour ses collaborations avec Bertrand Burgalat ou AS Dragon (qu’il a d’ailleurs très bien fait de laisser en plan), Peter Von Poehl sortait en 2006 un petit chef d’oeuvre de pop music. Un classique déjà, à la classe naturelle et à l’élégance bohème. De la trempe d’un bon vieux Neil Young ou d’un Dylan… D’une tonalité légèrement mélancolique, ce premier album regorge de tubes à la séduction discrète et de mélodies doucement imparables… Aux effets de manche et aux refrains clinquants, ce séduisant suédois préfère les arrangements de cordes qui déraillent sans crier gare, la patine mat des cuivres d’une fanfare farfelue ou le souffle chaud d’un vieil ampli à lampes.
Ainsi, lorsque s’est présentée l’occasion de rencontrer l’auteur de ces chansons pleines d’idées, il me fût difficile de résister à ma curiosité. Compte rendu de cette rencontre, lors du festival des 3 éléphants, où l’on verra que si être curieux est une belle qualité, elle n’éclaircit pas tous les mystères…

Interviewer Peter Von Poehl n’est pas tâche aisée. Où plutôt si… Si l’on considère la gentillesse avec laquelle ce grand garçon blond et très mince répond à vos questions. Mais de toute évidence, l’homme n’aime pas trop s’expliquer. Oh, ça n’est pas qu’il n’apprécie pas les interviews, bien au contraire ; « c’est plutôt agréable, si je peux parler de mes trucs (rires), y a aucun souci, vraiment », mais il y a dans ses réponses un flou, une imprécision déroutante pour le journaliste en quête de phrases définitives et d’explications approfondies. Peter Von Poehl n’est pas du genre à l’introspection et n’est pas à une contradiction prêt… Ainsi il avoue ne pas s’expliquer pourquoi, alors qu’il n’aime pas voyager, il a quitté son pays à l’âge de 15 ans, pour ne plus jamais y habiter. Après l’Autriche et l’Espagne, il s’installera en effet à Paris en 2002. Puis quelques années plus tard à Berlin, où il réside actuellement. « Ouais, c’est un peu bizarre, c’est pas très clair tout ça…, reconnaît-il lorsqu’on évoque ce paradoxe. On recherche quelque chose, on ne sait pas trop quoi… ». Ok Peter… Même ton vague, lorsqu’il parle de l’étrange rapport qu’il entretient avec son pays natal : « j’ai une relation assez curieuse avec mon pays. Ca n’est pas vraiment de la nostalgie. C’est un peu plus bizarre que ça… Je ne sais comment te l’expliquer, il y a un mot en allemand qui correspond à cette sensation. C’est un terme freudien, « unheimlich » en allemand, « uncanny » en anglais, il n’y a pas vraiment d’équivalent en Français. C’est un sentiment que l’on ressent pour quelque chose d’à la fois très familier et très éloigné… Par exemple, je paie encore mes impôts en Suède, alors que ça fait quand même des années que je n’y vis plus. Je n’y habite plus, mais je n’ai pas non plus quitté la Suède pour un autre pays. Donc le disque, il parle de ça. Toutes mes chansons évoquent un peu de cette sensation… Pour écrire les arrangements, je me suis inspiré des orchestres de cuivres de l’Armée du Salut que j’entendais enfant. Je chantais dans un chorale quand j’étais petit, et de manière inconsciente, j’ai aussi puisé dans ces souvenirs pour certains choeurs ou certaines mélodies vocales dans mes chansons. »

Mélodies en trompe l’œil

C’est de ce sentiment contradictoire, de ces émotions nées d’un éloignement à la fois voulu et regretté, qu’est né Going where the tea trees are, l’idéal premier album du suédois. « Des chansons, j’en écrivais pour plein de gens, mais pour moi, je ne voyais pas trop… Je voulais trouver une raison pour le faire. C’est un ami qui m’a conseillé, il a eu une bonne idée. Il m’a dit : « pourquoi tu ne pars pas tout simplement jouer tes chansons tout seul comme ça, pour voir ce que ça donne ? ». J’avais encore jamais fait ça. Guitare/voix, c’est quand même l’arrangement le plus chiant de l’histoire de la musique (rires). Du coup j’ai fait tous les plans les plus pourris de l’Angleterre. Et, au fur et à mesure, j’ai commencé à réaliser, à comprendre de quoi ça parlait tout ça ».
Mais si les raisons qui l’ont poussé à écrire cet album sont importantes pour lui, Peter Von Poehl considère qu’elles n’ont que peu d’importance pour les autres. Car les intentions, comme les apparences sont parfois trompeuses. Libre à chacun de voir ce qui se cache derrière sa musique. « Moi, j’aime toujours bien chez les autres les choses qui, vu d’une manière, nous paraissent claires, et qui lorsqu’on les voit de plus près se révèlent complètement différentes. On se rend compte que ce n’était pas du tout ce qu’on avait vu au départ et qu’en fait on avait rien compris. Un peu comme les poupées russes, les trompe l’œil… Ma sœur est plasticienne, je ne sais pas si tu vois à quoi ressemble la pochette de mon disque, avec les flèches… C’est un travail à elle, en fait. Ces dessins font un mètre sur 70 cm. Il y en a 15 comme ça. Quand on les voit de loin, c’est hyper esthétique, très graphique. Mais quand on se rapproche, on voit que toutes ces flèches sont dessinées à la main et constituées elles-mêmes de petites flèches. Il y a 20 000 flèches en tout peut-être… J’aime vraiment cette pièce. C’est en tout cas cet effet que j’aimerai reproduire avec mes chansons ».

Artisanat pop

Sous leurs habits classiques, les pop songs de Peter Von Poehl dévoilent en effet des parures inattendues et des chausses trappes bienvenus. Les poches remplies des trouvailles et les pantalons plein de doubles fonds, ces chansons ont de l’étoffe. L’épaisseur d’une musique aventureuse, mais sans esbroufe, ni volonté d’apparaître à tout prix originale… « C’est hyper classique ce que je fais, j’en suis bien conscient. Des chansons de trois minutes et quelques, couplet/refrain… Mais finalement, c’est toujours ce qui m’a fait rêvé dans la musique : ces formats à la con, que j’aime vraiment bien parce qu’on peut les remplir avec ce qu’on veut. Les recherches formelles ne m’ont jamais intéressé. Je n’ai jamais eu envie de remettre en cause la structure, la forme… Déjà, ça paraît un peu difficile de chercher à être original aujourd’hui. Et puis c’est plutôt agréable finalement. Si on n’essaie pas de faire quelque chose de forcément original, tout est possible. Tout est alors plus facile à vivre… ».
Outre les passages secrets précieux qu’elles renferment, les chansons élégantes de Peter dissimulent aussi des chemises rapiécées et des pantalons qui tiennent avec des bouts de ficelles : « Ce que j’aime bien aussi dans le travail de ma soeur, c’est que vu de loin tout à l’air très carré et formaté, mais quand on regarde de près, tout est hyper bancal. Et mes chansons sont vachement comme ça aussi, tout est un peu bricolé. Tout est fait avec zéro budget (rires), tout est bricolé. C’est vraiment « high concept, low budget ». Pourtant j’ai essayé de tout faire pour que ça sonne le plus chic possible (rires). Mais lorsqu’on écoute de près, c’est même scandaleux à quel point c’est bricolé. Tous les cuivres, c’est un seul type qui joue. Les cordes pareil, c’est une fille toute seul qui a joué toutes les parties de cordes. Comme c’est une violoncelliste, pour faire les parties de violon, on avait depitché le magnéto pour ralentir la vitesse de moitié… C’est quand même pas très sérieux tout ça (rires) ».
Peter Von Poehl est un bricoleur, un artisan comme il aime à se désigner, avec toute l’humilité que ce terme induit. « J’aime bien la notion d’artisanat, parce que finalement c’est quand même vachement ça la musique, je trouve. C’est une activité très artisanale. Comme je fais pas mal de disques pour les autres, pour le coup, je me sens vraiment comme une sorte d’artisan. J’aime bien me mettre au service des autres. Avoir cette position d’employé, comme ça… C’est hyper chouette, ça me va tout à fait bien ».

Pierrot lunaire

Artisan bricoleur et un peu rêveur, Peter Von Poehl n’aime rien tant que le souffle, les craquements et les imperfections… Car l’erreur est humaine et c’est la vie qui l’intéresse. Le son léché, tout froid, tout lisse, le numérique et le high tech, très peu pour lui.
N’est-ce pas lui, qui à l’heure de myspace et du mp3, sortait son premier single (le tube stratosphérique et neigeux « Going where the tea trees are » qui donnera aussi son nom à l’album) en vinyle 45 tours ? Pas stratégique pour un sou question marketing ! Sans doute sauf que – preuve qu’une bonne chanson trouve toujours son public – le tube en question, pourtant diffusé en catimini, se retrouve bientôt en rotation sur les radios branchées et les blogs du monde en entier. Paradoxe pour un format aussi (délicieusement) désuet et peu transportable que le disque vinyle, la rondelle fait le tour de la planète, pour arriver jusqu’à Oslo, où le dj d’une radio de Los Angeles la dénichera en 2006, avant de la passer en boucle sur les ondes californiennes…
Si Peter Von Poehl se demande encore comme son disque a pu arrivé jusqu’en Norvège, pour ma part, je ne m’étonne plus de rien… On pourrait bien apprendre demain que son disque est disponible sur la Lune ou la planète Mars. Et ça serait tant mieux pour ces veinards de martiens !