De Segré à Beyrouth, du punk à la danse contemporaine… BENOÎT BARREAULT, nouveau directeur artistique du festival LE CHAINON MANQUANT, a pas mal bourlingué avant d’atterrir à Laval. Portrait d’un jeune quarantenaire turbulent, qui carbure aux rencontres et aux coups de coeur.

Benoît Barreault est l’homme le plus important du monde. Tout du moins l’espace de quelques mois, pour les groupes, troupes de théâtre ou d’arts de rue qui espèrent figurer à l’affiche du Chainon Manquant. Lancé à Tours en 1991 et ancré à Laval depuis 2012, ce festival offre à quelque 75 compagnies l’opportunité unique d’être vues par près de 300 programmateurs, venus de toute la France y faire leur marché.
Affable et disponible, alors qu’il croule sous les dossiers, le nouvel arrivé – il est en poste depuis janvier 2014 – prend le temps de l’interview. Et reconnaît, clope roulée aux lèvres, que c’est précisément cette capacité du Chainon à faire se rencontrer artistes et professionnels qui l’a d’abord séduit. « Tu mesures tout l’intérêt d’un tel festival quand tu as été chargé de diffusion ou tourneur, et que tu sais qu’il faut presque mendier pour convaincre un programmateur de venir voir un spectacle de ta compagnie… Je connais le truc, j’ai fait ce boulot pendant quelques années. »
C’est même comme cela qu’il a commencé, manageur-tourneur improvisé d’un groupe de punk-rock formé par des potes de lycée, à Segré. Ce qui, de fil en aiguille, l’amènera en 1994 à devenir le premier chargé de sécurité du Chabada à Angers, alors en pleine gestation. « Sans aucune formation, ni expérience, je me suis retrouvé à gérer 4000 personnes lors du concert d’inauguration de la salle. La panique. »

Paris-Beyrouth en une demi-heure

Après deux années passées en tant que chargé de communication dans la salle angevine puis au Florida à Agen – « les deux premières salles de concert musiques actuelles créées en France » -, il s’envole pour le Liban avec un pote, sur un coup de tête. « On venait d’écouter « Paris-Beyrouth en une demi-heure », une chanson des VRP dont on était fans… » Après cette parenthèse libanaise qui durera deux ans, le Ligérien rentre au bercail. « Les Pays de la Loire, c’est une région que j’adore. Une des plus belles de France à mon sens… », confesse ce « demi-Mayennais » dont le père est né à Cossé-le-Vivien.
Embauché en 1999 à la ville de Saumur, il est bientôt bombardé responsable d’une saison culturelle pluridisciplinaire mixant musique, théâtre, danse, arts de rue… L’expérience lui permet de s’initier au métier de programmateur et de se roder au fonctionnement d’une collectivité publique. Mais « en cinq ans, tu as le temps de faire le tour de ton boulot. Après le risque, c’est de s’endormir… J’ai toujours besoin de me remettre en question. »
Changement de cap donc : l’ex-programmateur « acheteur de spectacles » passe du côté de ceux qui les vendent – « j’ai fait cet aller-retour plusieurs fois déjà dans mon parcours. Ça me permet aujourd’hui de bien connaître l’endroit et l’envers du décor ». Un temps bookeur pour des groupes de reggae et de musiques du monde, il change une nouvelle fois de « monde » et devient en 2008 chargé de production et de diffusion du centre chorégraphique national, installé à Nantes et dirigé par le chorégraphe Claude Brumachon. Une grosse machine au budget annuel de 1,2 million d’euros, qui l’emmène pendant six ans à travers le monde : Argentine, Italie, Madagascar… « J’ai complètement plongé dans l’univers de la danse contemporaine, que je ne connaissais pas. Je participais à toutes les tournées de la compagnie, et j’adorai ça. J’ai toujours eu besoin de voyager, d’aller à la rencontre de nouveaux pays, de nouvelles personnes… »

D’Ajaccio au Havre

Les nuits à l’hôtel et les kilomètres, il risque de continuer à en avaler au Chainon. Car derrière le festival, il y a un réseau, fédérant 250 salles de spectacles à travers la France. Ces diffuseurs, regroupés en huit fédérations régionales, repèrent des artistes de leur territoire, qu’ils programment lors des festivals « Région en scène », organisés de janvier à mai. À peine recruté, Benoît a donc sillonné la France, d’Ajaccio au Havre, à raison de huit spectacles quotidiens. À partir de ces pré-sélections régionales, il a façonné près de la moitié de la programmation 2014 du festival. Le reste des artistes de cette édition, il l’a pioché parmi les nombreux spectacles et festivals qu’il arpente depuis son arrivée, aiguillé notamment par les conseils avisés de quelques programmateurs spécialisés en art de rue ou musiques actuelles. « C’est complètement illusoire de croire qu’on peut être spécialiste de tous les domaines artistiques. »
Hyper sollicité par les artistes et bookeurs – « en période pleine, je reçois 30 ou 40 mails de démarchage par jour » – le programmateur doit aussi faire face à la pression, certes amicale mais bien réelle, des professionnels adhérents du réseau Chainon, qui ont « tous des coups de coeur ou des spectacles qu’ils ont co-produits et qu’ils ont envie de pousser ». Mais le dernier mot lui appartient. « J’essaie de conserver une certaine distance avec les artistes comme avec les pros. Si tu rentres dans l’affectif, tu es foutu. »
Et face à l’avalanche de propositions qu’il reçoit, quels critères guident ses choix ? Des éléments objectifs d’abord, comme le niveau de structuration de la compagnie ou du groupe – « Le Chainon est un festival axé sur la découverte. Mais en même temps, on y programme des artistes qui ont déjà un vécu, et très rarement des débutants » -, ou l’adéquation des spectacles avec les capacités d’accueil des structures adhérentes du réseau, « constitué essentiellement des petits lieux ».
Mais le critère essentiel demeure subjectif : « il faut que je ressente quelque chose, une émotion, un coup de coeur. C’est le spectacle qui décide, qui déclenche l’envie… Comme disait Brumachon : c’est l’oeuvre qui fait sésame ».