Amateurs de musique, férus de théâtre ou de littérature, ils sont nombreux à courir les festivals à travers le département. Un « pèlerinage moderne » dont les motivations dépassent largement l’artistique. Et si on donnait la parole au(x) public(s) ?

«Les Mouillotins, Au foin de la rue, Les 3F. C’est mon top 3 ! » À 23 ans, Étienne Hugedé est un habitué des festivals mayennais. Avec sa bande de copains – une quinzaine de potes des années lycée – l’étudiant en chirurgie dentaire, originaire de Cossé-le-Vivien, sillonne régulièrement les routes du département pour rejoindre ces rassemblements musicaux. « On s’y retrouve pour les concerts, mais aussi pour l’ambiance. C’est un peu comme si on prenait des mini-vacances, tous ensemble ! » Jeunes actifs ou encore étudiants, Étienne et ses amis sont aujourd’hui éparpillés dans tout le Grand Ouest. En fonction de leur lieu de résidence, ils s’acheminent en covoiturage, ou se rejoignent directement sur place. Toile de tente, duvet, sac de courses, glacière, chacun emporte le nécessaire du parfait petit festivalier. « J’aime beaucoup le moment où on s’installe », confie Étienne. « Et j’adore quand le camping est situé assez loin des scènes. Ça permet de rejoindre les concerts tranquillement, à pied. Plus on s’en approche, plus le son monte. C’est cool ! »
Selon une étude réalisée en 2016 auprès des publics de dix festivals de musiques actuelles en Pays de la Loire, les motivations les plus fréquemment citées par les festivaliers étaient la programmation (à 75 %) et l’ambiance (à 72 %). Plus des trois quarts des personnes interrogées disaient aussi être venues en groupe.
La dimension festive et conviviale de la forme festivalière attire un public plus diversifié que celui des lieux culturels classiques, jugés parfois intimidants. « Il m’arrive d’aller à des concerts, mais ce n’est pas la même démarche », rapporte Étienne. « Une fois qu’on a quitté la salle, chacun rentre chez soi. Dans un festival, on reste sur le site, avec plein de gens autour… Ça reprend le lendemain matin, midi et soir ! » Bulles hors du monde réel et du quotidien, les festivals sont des « petites républiques » selon les mots du sociologue Emmanuel Négrier, mini-univers insulaires avec leurs propres règles, leur village, leur scénographie, leur monnaie…

Belles rencontres

Le festival offre aussi la possibilité de voir davantage d’artistes, et pour un coût assez modéré. « Si on rapporte le prix d’un pass au nombre de concerts proposés, c’est moins cher qu’une place de spectacle », apprécie Étienne. Un point de vue que partage Marieke Davy, enseignante à Argentré. Passionnée de théâtre, cette inconditionnelle des Nuits de la Mayenne a découvert le festival à la fin des années 1980, alors qu’elle était étudiante. « Le premier spectacle que j’y ai vu, c’était Lucrèce Borgia, à ­Lassay-les-Châteaux. Du vrai théâtre, dehors, dans un cadre original, et pour un prix relativement modeste ! J’ai trouvé ça magnifique ! »
Trente ans plus tard, Marieke continue de fréquenter le festival. En famille. « À l’origine, mon mari n’était pourtant pas très attiré par le théâtre. Aujourd’hui, il ne manquerait le rendez-vous pour rien au monde. J’y emmène aussi ma mère, mon frère, mes neveux et nièces… »
Installés à Torcé-Viviers-en-Charnie depuis 20 ans, Annick et Pierre Boivent figurent aussi parmi les habitués des Nuits. Ces ­ex-Parisiens apprécient la qualité des spectacles et l’ambiance d’un festival à taille humaine. « Nous aimons le théâtre, la comédie musicale, ce qui est festif. Les Nuits de la Mayenne nous permettent de voir des pièces du répertoire classique et de découvrir des lieux patrimoniaux exceptionnels. » Chaque été, ils invitent amis, enfants et petits-enfants à les rejoindre pour partager l’événement. Et n’hésitent jamais à engager la discussion avec d’autres spectateurs. « Il y a une vraie fidélité de la part du public. On est heureux de se retrouver. »
José et Christian Meurisse sont passionnés de littérature. Le couple de septuagénaires vient tous les ans du Nord pour assister au Festival du premier roman et des littératures contemporaines de Laval. « Nous sommes de grands lecteurs, et apprécions d’échanger avec les auteurs. » Habitués des festivals, ils sont devenus des fidèles de l’événement lavallois dont ils goûtent l’ambiance. « On arrive pour la première rencontre, et on repart après la dernière ! »
Rares sont ceux qui vont au festival en solo. Cette année pourtant, Jennifer Heuzé, 28 ans, a tenté l’expérience. « Je ne suis pas restée seule bien longtemps ! », confie la jeune Lavalloise qui ne manque jamais le rendez-vous annuel de Lecture en Tête. « J’ai très vite retrouvé des gens que j’y croise régulièrement et j’ai vécu un super week-end : des auteurs hyper accessibles, des débats riches et de belles rencontres ! »

Colonie de vacances

L’intérêt des festivals tient aussi à la facilité des échanges. Avec la personne qui vous précède dans la file d’attente ou qui est assise à côté de vous. « Le système des abonnements fait que les gens se retrouvent aux mêmes places, avec les mêmes voisins ! Ça crée des liens », note Emmanuel d’Erceville, directeur du Festival d’arts sacrés d’Évron. Sacré ne rime pas avec guindé, ici l’ambiance est résolument décontractée. Pour renouveler son public, le festival développe une politique tarifaire avantageuse : prix unique pour les 12-25 ans, formule de parrainage… « Et ça marche, notre public s’est considérablement rajeuni ! »
Moment-phare du festival, le concert dans un lieu-surprise remporte tous les suffrages : au départ de la basilique d’Évron, un car conduit les spectateurs vers une destination secrète. « Ça donne un petit côté colonie de vacances. À bord, les gens discutent facilement. »
Dans la même veine, l’itinérance des Nuits de la Mayenne, dans des endroits souvent méconnus, facilite la venue d’un public peu habitué des saisons culturelles. « En ouvrant des lieux patrimoniaux, habituellement inaccessibles, dans de tout petits villages, précise Coralie Cavan, directrice du festival, nous proposons aux habitants de ces communes d’aller au spectacle… à deux pas de chez eux. »
Les moments partagés sont souvent mémorables. « Je me souviens d’une représentation des Nuits, à Jublains. Il pleuvait des cordes », rapporte Marieke Davy. « On s’est replié dans la salle des fêtes, sans décor. Les acteurs ont fait preuve d’une extraordinaire capacité d’adaptation et ont réussi à nous embarquer ! » C’est aussi ça, la magie des festivals : des instants rares et des moments de communion entre artistes et public. « Les gens aiment les festivals pour l’ambiance exaltée de communion, la chaleur communicative, le rituel… analyse l’historien de la culture Pascal Ory. C’est une nouvelle forme de religion. Le festival, c’est le pèlerinage moderne. »

 

Article paru dans le dossier « Festival de festivals » du numéro 66 du magazine Tranzistor.