Dans la jungle parfois cruelle des festivals de musiques actuelles, pas si simple de durer et de renouveler son audience. Un enjeu qui repose pour beaucoup sur le savoir-faire des programmateurs. Rencontre croisée avec Perrine Delteil (Les 3 Éléphants) et Maxime Leduc (Au foin de la rue).

Où, quand, quoi… Comment présentez-vous vos deux festivals ?

Perrine : Les 3 éléphants est un festival en centre-ville à Laval, avec une programmation rock, électro, rap. On ouvre la saison des festivals d’été. C’est souvent la première date de tournée des artistes accueillis. Pour cette raison, il y a pas mal de professionnels présents, qui viennent voir ce que donnent les artistes en live. Nous proposons aussi une programmation gratuite (arts de la rue, concerts).
Maxime : Au foin de la rue a lieu début juillet, à Saint-Denis-de-Gastines. C’est un festival en milieu rural avec une programmation de musiques populaires. C’est le premier week-end des vacances d’été, et bien d’autres festivals – dont des très gros – ont lieu en même temps, comme Les Eurockéennes. Cela signifie qu’il y a une concurrence importante pour accéder aux artistes mais aussi que les groupes sont sur la route ce week-end-là et que nous pouvons avoir une chance de les accueillir.

Quelles lignes directrices suivez-vous pour bâtir vos programmations ?

Maxime : Au Foin, nous disposons de plusieurs espaces de diffusion dans lesquels on programme des artistes de notoriétés différentes. Comme la plupart des festivals, nous avons un impératif économique, et nous devons nous assurer d’un nombre suffisant d’entrées. En général, j’essaie de trouver une tête d’affiche intergénérationnelle pour chaque soirée et je construis le reste de la programmation comme un puzzle, avec des artistes « middle » qui disposent déjà d’une certaine notoriété, et enfin des artistes découvertes. Le site du festival compte quatre scènes et chacune possède sa spécificité. Dans le chapiteau, on propose une thématique différente par soir (duos français ou musique trad cette année par exemple). La guinguette, quant à elle, s’inscrit dans un esprit café-concert avec de la chanson, des fanfares…
Perrine : Comme Max, je prends en compte un ensemble d’éléments qui vont des objectifs artistiques et culturels du festival à l’enveloppe budgétaire, en passant par les contraintes techniques. Ce qui guide mes choix, c’est l’artistique, la qualité et l’actualité d’un projet. On accueille beaucoup d’artistes découvertes, et on propose de plus en plus de petites scènes en centre-ville. Je travaille sur des gros artistes « middle » comme Jeanne Added cette année ou des « niches » qui vont faire venir des gens de loin. J’essaie aussi de faire des coups en programmant des « très très nouveaux » avant qu’ils explosent l’année d’après. On sait que les artistes disposant d’une actualité (sortie d’album, etc.) et présents dans les médias bénéficient d’une plus grande résonance.

Comme les artistes, vous circulez beaucoup, et ce, hors des frontières hexagonales…

Perrine : Max et moi, nous nous déplaçons beaucoup en Europe, dans les festivals, pour repérer des artistes et découvrir les nouveaux shows. Je vais aussi à Eurosonic en Hollande parce que nous faisons partie du European Talent Exchange Programme (ETEP), qui vise à aider la circulation des artistes émergents.
Maxime : La circulation des musiciens évolue en permanence. Depuis qu’il y a des vols low cost en Europe, on voit des groupes jouer en Belgique un soir, en Mayenne la veille, et en Espagne le lendemain. Autre phénomène nouveau : le développement des festivals d’été, notamment aux États-Unis. Avant, ils étaient surtout concentrés en Europe. Par conséquent, s’ils ont le choix, les artistes vont rester aux USA et moins venir en Europe l’été…

Quand vous souhaitez programmer un artiste, comment procédez-vous ?

Maxime : On entre en négociation avec son tourneur. Il y a une forte concurrence entre festivals sur certains artistes et le tourneur peut recevoir plusieurs offres pour des dates proches. Dans sa réflexion, il va prendre en compte la proximité géographique et calendaire des différentes offres, les conditions budgétaires proposées… Certains festivals sont prêts à payer le prix fort pour obtenir l’exclusivité de programmer un artiste sur une période ou un territoire. Nous évoluons dans un secteur marchand et concurrentiel, où les enjeux de business priment souvent sur l’artistique : parmi les 25 plus gros festivals musicaux en France, très peu sont associatifs. Le secteur se privatise… Chacun joue à son échelle, l’arrivée d’opérateurs comme Live Nation (producteur et tourneur américain propriétaire de nombreux festivals) n’a pas d’impact pour nos formats de « petits » festivals.
Perrine : Je suis parfois bloquée par des exclusivités sur le Grand Ouest si un programmateur de festival en a négociées. Dans ce cas, je l’appelle et on trouve parfois des solutions… Une bonne partie du travail repose sur notre réseau et la relation de confiance que l’on noue avec l’entourage professionnel des artistes.
Par ailleurs, la programmation des 3F ne se travaille pas comme celle du 6par4, que j’assure aussi. La salle accueille aussi bien du reggae que des artistes « France Inter » ou du folk très calme. Autant de genres que je ne peux pas programmer aux 3F, soit parce que ça ne se prête pas à l’énergie festivalière, soit parce que ça n’entre pas dans la ligne artistique du festival.

Connaissez-vous votre public ? Comment prenez-vous en compte ses attentes ?

Perrine : Notre public est principalement local et mêle plusieurs générations. Depuis mon arrivée il y a trois ans, le public des 3F a rajeuni parce que j’ai contribué à donner au festival une dimension rap qu’il n’avait pas avant. Beaucoup d’ados viennent pour la première fois en festival aux 3F. J’essaie de réfléchir la programmation en traçant un double parcours pour les parents quarantenaires et leurs adolescents. Le site du festival en centre-ville est hyper-sécurisé et permet à chacun de faire la fête et de cohabiter pacifiquement, en vivant des expériences différentes.
Maxime : Chez nous, le public ne vient pas chercher la même chose. C’est un festival où l’on se rend avec son paquetage pour déconnecter pendant 3 jours. Comme aux 3F, nous avons un site circulant où les gens déambulent, les yeux en l’air. Le public est sensible aux aménagements et à la décoration qui créent un environnement surprenant et chaleureux. Au Foin, on est soutenu par une base bénévole très active, et j’échange beaucoup avec les plus jeunes pour rester en phase avec leurs goûts. Une bonne part de notre public est moins âgée que le festival, qui fête sa 20e édition cette année !

 

Article paru dans le dossier « Festival de festivals » du numéro 66 du magazine Tranzistor.