Le New-Yorkais Son Lux signait, vendredi, un des concerts les plus passionnants des 3 Éléphants 2014. Innovant. Surprenant. Brillant. Bref, une grosse claque !

Mieux vaut ne pas trop attendre d’un concert. Le risque est trop grand d’en ressortir déçu. A l’instar de celui de Josephine Foster, qui ouvrait cette 17e édition des 3 LF. Trop flottant, trop vaporeux, trop flou.
Pour éviter toute désillusion, soyons désinvoltes donc, n’ayons l’air de rien (attendre). Sauf de Son Lux. Son concert, sous le chapiteau du Patio, s’est montré à la hauteur des espoirs nourris par l’écoute en boucle de son troisième et dernier album, Lanterns. Pas évident pourtant d’imaginer la transcription « live » de ce disque brassant mille influences (de la musique de chambre au dubstep), fourmillant de sophistications se dévoilant au fil des écoutes. Comment cette musique aux textures hyper travaillées, maelstrom d’instruments rendus méconnaissables par des heures de triturations numériques, allait-il passer la rampe de la scène ?
Intelligemment, Ryan Lott, alias Son Lux, nous épargne la configuration tue-l’amour et complètement pas glamour du musicien électro mutique, muré derrière son ordinateur portable (en pleine partie de 2048 ?). Comme il ne cède pas à la tentation piégeuse de vouloir reproduire in extenso un disque injouable sur scène. Ainsi qu’il le formule joliment dans un interview pour Libération, l’Américain convoque en live un « beau fantôme du disque ». Une version axée sur le rythme, moins complexe et dépouillée, qu’il orchestre sur scène(au chant, clavier et labtop) en compagnie d’un batteur et d’un guitariste.

Electrolux

Fruits d’un choix qu’on devine longuement mûri, ces deux-là n’ont rien de ces sidemen interchangeables, mercenaires souvent transparents du music bizness. Rafiq Bhatia, à la six-cordes électrique, fricote avec le top de la scène jazz et électro de la grosse pomme. Toutes ses interventions sont d’une inventivité rare, d’un justesse et d’un a propos jouissif. Mieux, il apporte à la musique de Ryan Lott les aspérités, les fêlures, l’âpreté qui manquaient aux versions studio de ses chansons, ultra-maîtrisées. Totalement investi, Bhatia se livre sans retenu sur scène. Magnifique à regarder. Bondissant tel un tigre du Bengale (le musicien est d’origine indienne), guitare en étendard.
Entendu notamment avec Matthew Dear, le batteur Ian Chang lance les boucles rythmiques, actionne les effets sonores, et sort de ses fûts des beats énormes, écrasant de leurs poids toutes les boîtes à rythmes du monde. Les gamins encore massés devant la scène, malgré la concurrence de Détroit dont le concert démarre, apprécient.
A l’image du jeu de batterie de Chang, massif mais jamais trop expansif, le musique de Son Lux version live respire, emplie d’espaces et de contrastes. Bien que parfois complexe dans ses structures, elle reste toujours lisible, claire, nette, précise. Jamais aucun instrument ne se chevauche ou vient brouiller la voix, magnétique, de Ryan Lott.

Lux, claque et volupté

Vibrant à l’unisson de ses compagnons de jeu, doublant son chant d’une gestuelle un brin théâtrale mais touchante, Son Lux apparaît hyper concentré, appliqué à faire suivre à sa musique de nouvelles trajectoires, des virages inattendus. Qui débouchent souvent sur des plages instrumentales heurtées, tout en rebondissements. Rien jamais n’est prévisible, attendu, téléphoné. On est là, haletant, à se demander ce qui nous attend au tournant. Sentiment exaltant, et pas si courant.
Rien non plus ici de réchauffé, de référencé. Nourri certes de nombreuses influences – il confesse avoir beaucoup écouté les maîtres de la pop, Beatles et autres Beach Boy -, Son Lux ne joue pas le jeu des citations, des clins d’oeils, ou des hommages, ni d’aucun revival. Alors que la rétromania bat son plein, que le collage post-moderne – mélange des genres et des époques à tout va – s’impose comme la quasi-norme, et que la musique de nombreux groupes ne semble plus répondre qu’à une longue litanie de références « cools » (genre « garage-pop-psyché-funky »), cette volonté d’innover, d’inventer la pop d’aujourd’hui et de demain, fait l’effet d’une bouffée d’air frais. Une respiration dans laquelle on a envie de s’oxygéner encore longtemps.
Revigorant et rayonnant.