Servie frappée, la pop complètement givrée de MEIN SOHN WILLIAM peut décontenancer. Mais réchaufferait en live le public le plus glacial. Déjà repéré par les radars des Transmusicales, le duo super sinoque rennais signait l’un des concerts les plus jouissifs du dernier festival Terra Incognita. Causette post-concert avec le commandant de bord, Dorian Taburet.

Les Inrocks n’écrivent pas que des conneries. Dans une chronique de Every day, in every way, second disque de Mein Sohn William sorti en mai dernier, on pouvait lire cette analyse plutôt juste, selon laquelle Dorian Taburet et son acolyte Antoine Bellanger (remplacé depuis par Jérémy Dal Santo) passaient leur temps à cacher ce qu’ils étaient vraiment. « À savoir, deux penseurs affûtés de la pop, qui se soucient d’élargir intelligemment son champ d’action. »
Le genre d’hurluberlus capables de disserter, dans une même conversation, sur le philosophe Gilles Deleuze et la Ligue 1 de football. Cancres surdoués qui, depuis le fond de la classe, balancent sur la maîtresse des chansons-blagues sans interdit, ni équivalent. « Toujours en recherche », Dorain Taburet, faux clown, vrai angoissé qui cache son stress derrière des performances scéniques survoltées, cultive l’art potache de la transgression, et affiche une sainte horreur des lignes droites.

Hendrix versus Brassens

Dorian Taburet : On hérite forcément des goûts musicaux de ses parents. Ma mère écoutait Nick Cave. Et mes deux grands frères sont musiciens. Un de mes frangins joue dans le groupe rennais Santa Cruz. C’est le meilleur guitariste du monde (rires) ! Adolescent, j’ai assez naturellement eu envie de faire de la musique. J’ai commencé les cours de guitare à 12 ans. D’abord avec un prof qui m’a appris tout le répertoire de Brassens et Maxime Le Forestier… Puis avec un fan de Hendrix, avec qui je faisais des gros solos tout le temps. J’ai forgé mon jeu entre ces deux extrêmes…
Mais je suis aussi un autodidacte, qui le revendique. La naïveté liée à la première approche d’un instrument m’intéresse beaucoup. Sur le dernier album, je joue de la clarinette sur deux titres, alors que je n’avais jamais touché à cet instrument avant. Cette espèce de non-apprentissage fait qu’on a une liberté totale : tu n’as aucune contrainte technique, ou personne qui va te dire attention, « c’est pas comme ça qu’on fait ». On obtient des sonorités qui sont un peu inédites, on transgresse certaines règles…
Lorsqu’on compose, on n’est jamais touché par la grâce divine. Pour écrire une chanson, il faut partir d’un processus. Dans Mein Sohn William, c’est souvent la découverte d’instruments ou de sons qui nous inspire de nouveaux morceaux.

Boucle-là !

Mein Sohn William, à l’origine, c’est un groupe d’étudiants, dont j’écrivais quasiment toutes les chansons. Après que le groupe ait splitté, pour des histoires de gonzesses comme ça arrive souvent (rires), j’ai voulu continuer en solo. Après un premier concert pathétique, je me suis dit : « je ne peux pas me contenter de faire de la folk comme ça tout seul, avec ma guitare sèche, sur mon tabouret haut… » J’ai commencé à jouer avec des pédales de samples, des boucleurs. Et puis plus tard, j’ai ressenti le besoin de travailler avec un deuxième musicien. Pour me soulager – je n’ai que deux mains et deux pieds ! -, ouvrir ma musique à de nouvelles sonorités et surtout casser l’effet de boucle. L’utilisation de boucleurs induit souvent le même type de schémas de morceaux, de construction… On voudrait faire oublier qu’on a des pédales aux pieds.
Sur scène, tous nos instruments et synthés sont reliés ensemble et forment comme une seule et même machine. Tout est interdépendant et je peux interagir à tout moment sur ce que joue Jérémy et vice-versa. En live, on peut faire varier les morceaux, jouer telle ou telle partie plus longtemps, sans jamais être prisonnier des machines.

Dada cool

Je n’ai pas l’impression de faire une musique aussi compliquée et dingue qu’elle en a l’air. Cela dit, notre façon de composer relève de la pratique dadaïste du collage, de l’association d’éléments hétéroclites… On est dans la recherche tout le temps. Je me balade avec un micro, et je vais enregistrer un copain à la contrebasse ou au violon. Puis j’assemble tout ça…
Les textes arrivent souvent à la fin. Avec le deuxième album, les paroles ont pris une place plus importante. J’essaie de raconter des histoires. Certaines chansons font par exemple référence à l’acteur Peter Sellers, ou à Joe Meek, un musicien des années 60 que j’adore. Ça me dérange toujours de démarrer une chanson par « je ». Il y a tellement de morceaux qui commencent comme ça. J’essaie de contourner cette facilité… Sans vouloir trop intellectualiser, Gilles Deleuze disait qu’une oeuvre artistique ne devait pas se rapporter à un problème personnel. Ça m’intéresse davantage d’essayer de toucher à l’universel, plutôt que de contempler mon petit nombril.
Bon, sur Every day, il y a aussi un titre en hommage à un joueur de foot du Stade Rennais (rires). C’est un de nos sujets de conversation favoris en tournée, alors pourquoi ne pas écrire une chanson là-dessus ? C’est assez dingue, sur la scène indé française, de voir le nombre de rockeurs qui sont fans de football. Et qui ne le disent pas trop… J’ai des noms !

Stress et paillettes

Mes premiers concerts avaient un côté performance, hyper théâtral, qui au bout du compte occultait un peu la musique. Les gens me disaient tous à la fin : « putain, t’es complètement fou sur scène, c’est génial ! ». Je n’en pouvais plus d’entendre ça. Petit à petit, j’ai tâché d’effacer un peu ce personnage, de trouver un équilibre entre performances scénique et musicale. Si au bout du deuxième morceau, je me retrouve en sueur à courir dans tous les sens, ce n’est pas parce que je suis dingue (rires), mais parce que tout va très vite, il faut gérer tellement de choses en même temps…
En fait, je suis quelqu’un de plutôt angoissé. Après cinq ans d’expérience et 300 concerts, je continue à ressentir beaucoup de stress avant les concerts. La scène, c’est une sorte d’exutoire. Je deviens quelqu’un d’autre. À qui heureusement, je ne ressemble pas dans la vie : je serai tout le temps en train de courir, en nage. Personne ne voudrait me dire bonjour !