Laurent Vignais ressemble aux figures qu’il peint et qu’il sculpte : sous des airs calmes, le bouillonnement et la révolte. Paroles d’un artiste citoyen, fondateur de l’association lavalloise L’Art au Centre, organisatrice cet été d’un parcours qui fait dialoguer patrimoine et art contemporain.

Un lundi d’avril. Une maison baignée de soleil à quelques pas des rues commerçantes de Laval. Un chat passe doucement la porte, frôle une imposante sculpture de chien, lance un coup d’œil à une étrange marionnette, avant de s’étirer de tout son long devant une bibliothèque garnie de livres d’art, pendant que Laurent Vignais sert le café.

Quand et comment est venu votre désir de devenir artiste ?

Aussi loin que je me souvienne, dès l’âge de 6-7 ans, je voulais devenir peintre. Je dessinais, je lisais et je jouais beaucoup. J’aimais m’isoler, inventer des histoires, être dans mon monde. Il n’y avait pas d’artiste ni de rapport intime à l’art dans ma famille. Je dirais que pour tout un ensemble de raisons, j’étais dans une certaine révolte face à l’état du monde et dans un refus des contraintes. J’avais envie de pouvoir décider de ma vie, ne pas être subordonné. Pour moi, être artiste, vivre une vie d’artiste, demande beaucoup d’énergie et n’a rien de facile mais c’était une nécessité, quelque chose d’impérieux.

Quelle a été votre formation ?

J’ai grandi à Laval où j’ai effectué toute ma scolarité jusqu’au bac arts plastiques au lycée Douanier Rousseau. J’ai ensuite intégré les Beaux-Arts à Nantes en 1984 durant deux ans tout en étant vacataire au musée de Laval : je participais au montage des expositions et assurais des visites guidées. Après avoir quitté les Beaux-Arts, j’ai passé quelques mois en fac d’histoire de l’art à Rennes. Je n’étais pas prêt à continuer les études de manière académique. J’ai alors ouvert une parenthèse de 4-5 ans durant laquelle j’ai travaillé pour des entreprises de transport en Bretagne et suivi une formation de CAP carrosserie pour apprendre à maîtriser le feu, à souder et à former le métal. J’étais très attiré par l’acier, qui demande un engagement physique très important. J’ai donc appris là les bases qui m’ont permis ensuite de développer mon travail de sculpture. En 1991, je suis revenu à Laval, j’ai acheté un chalumeau et j’ai commencé à travailler avec des tôles de voiture dans un garage que je louais…

Comment a évolué votre pratique ensuite ?

Je travaille principalement sur le corps. J’ai commencé par des pièces imposantes qui demandaient beaucoup de temps et de place. J’ai ensuite utilisé des profilés d’acier, en particulier du rond de serrurier, un fil d’acier de 6 mm de diamètre. Pour chaque œuvre, je construis d’abord une architecture de corps : je pars des pieds, puis je monte le reste du corps pour finir par la tête – à chaque articulation, je choisis l’orientation d’un membre, ce qui donne un mouvement à l’ensemble. Ensuite je remplis de matière, je soude, je tronçonne, je ressoude, je donne du relief. C’est vraiment le même principe que le croquis, mais en volume. Je pars de rien et j’ajoute par assemblage. C’est un travail très long, risqué, bruyant et très physique. C’est une relation intuitive et brutale à ce matériau, je chemine en même temps que j’agis et suis attentif aux accidents, aux erreurs qui se produisent au cours du processus créatif. En 2008, j’ai eu envie de reprendre le dessin, j’ai appris la gravure et développé un style personnel qui se rapproche beaucoup de ce que je fais en sculpture.

« Faire prendre l’air à l’art, pour faire prendre l’art aux gens. »

Une figure récurrente traverse vos sculptures et vos dessins…

C’est un Homme, non sexué, solitaire, élancé, comme en errance, avec très peu de détails. Un corps comme une machine physique, fragile, en équilibre. C’est relié au contexte sociétal et à mes questionnements : comment exister en tant qu’individu parmi tous les autres ? Cela exprime la fragilité du corps et de la vie. Mais aussi le besoin de trouver un équilibre, et la difficulté à accomplir ce dont tu as envie et à vivre ce que tu es.

Vous êtes artiste plasticien, mais aussi médiateur, enseignant…

Comme beaucoup d’artistes, je vis dans une certaine précarité et je cumule plusieurs métiers. J’ai développé une activité d’ateliers en milieu scolaire et en milieu hospitalier ou en lien avec les institutions judiciaires. J’avance et je grandis avec mon travail de création. C’est ce qui m’anime. La création nécessite des temps de contemplation, de réflexion, de remise en question et de recherche. Depuis 2013, je suis représenté par la galerie ­Tokonama, près de Beaubourg à Paris. Depuis 2017, je suis aussi salarié de L’Art au Centre, à temps partiel.

Vous êtes également actif et engagé dans la vie de la cité…

Pour moi, la rencontre avec la création artistique dans l’espace public amène du sens, crée du lien social et constitue un garde-fou face au tout-consumérisme. Intervenir dans la ville, hors de lieux culturels, permet de toucher des spectateurs au-delà du cercle des initiés, et participe à démocratiser la culture. À Laval, j’ai plein d’idées pour que l’art soit plus présent et la ville plus attractive. L’Art au Centre y contribue, il s’agit de faire prendre l’air à l’art, pour faire prendre l’art aux gens…

Comment est née cette initiative ?

C’est l’aboutissement logique d’expériences de terrain et de réflexions. L’association a été créée en 2014 par des passionnés de culture désireux de provoquer des rencontres avec l’art contemporain, peu représenté à Laval, et de faire vivre les espaces du centre historique. L’association se structure autour de la galerie de la Porte Beucheresse (maison natale du Douanier Rousseau) que nous avons créée en 2016, un parcours artistique dans la ville et des actions en direction des jeunes. C’est une initiative citoyenne qui s’adresse au plus grand nombre et fait le pari qu’on gagne en intelligence et en épanouissement par la découverte artistique. Nous souhaitons aussi construire un modèle responsable et respectueux des artistes, en leur versant des droits de présentation et en ne prélevant pas de commission sur la vente des œuvres.

Comment sont programmées vos expositions, selon quelle ligne artistique ?

Nous tenons à présenter des esthétiques et des supports diversifiés (dessin, peinture, sculpture, vidéo, photo…) pour toucher différentes sensibilités et investir différents lieux. Depuis son ouverture, la galerie accueille durant le premier semestre des expositions organisées avec des partenaires du territoire (Lecture en tête, WARM, lycée d’Avesnières…) et à partir de juin, des expositions programmées par L’Art au Centre. Pour ces expos, je choisis des artistes qui ont une expression personnelle forte. Je suis attentif à la cohérence, à la recherche et à la force qui se dégagent des œuvres. Ce sont des artistes auxquels je m’intéresse depuis longtemps, que je repère dans des expositions ou en suivant l’actualité. Le public se construit petit à petit. Nous avons accueilli entre 500 et 900 personnes pour les expositions pendant l’année et 2 500 personnes pour l’exposition estivale.

Au-delà des expositions, vous attachez beaucoup d’importance aux actions d’éducation artistique…

Nous développons des actions avec de nombreux partenaires sociaux et éducatifs comme la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), le centre médico-psycho-pédagogique de Laval (CMPP), des lycées… Ces actions permettent de faire vivre l’association en contribuant pour moitié à son budget. Cela fait aussi partie à mon sens de la mission de l’artiste. L’objectif n’est pas de fabriquer des artistes ou un public pour l’art, mais de partager une relation humaine autour de la création. Au CMPP, nous travaillons dans la durée. Les enfants qui participent à l’atelier viennent pendant 3-4 ans, tous les vendredis. Pour eux, c’est un moment de liberté où ils savent qu’ils ne seront pas jugés, évalués ou moqués.

Un mot sur le parcours artistique que vous présentez à Laval cet été ?

C’est un parcours intitulé À pied d’œuvres, associant l’art contemporain au patrimoine du centre historique de Laval. Du 29 juin au 16 septembre, pour la première édition, après une première expérimentation avec Jean Lecointre en 2015, nous invitons Bernard Pras. Cet artiste international, spécialiste de la sculpture en anamorphose, recrée des œuvres majeures de l’histoire de l’art ou emblématiques de la société de consommation en assemblant des objets du quotidien. C’est assez spectaculaire puisque l’œuvre se révèle au spectateur uniquement depuis un seul point de vue. C’est un jeu sur le regard et la perspective. Une fois l’œuvre réalisée, elle est photographiée puis démontée. Il n’en reste donc qu’une photographie qui est exposée.
Nous accueillons Bernard Pras en résidence pour créer une œuvre qui reprendra un tableau du Douanier Rousseau. L’anamorphose sera présentée dans le jardin de la Perrine. D’autres œuvres de l’artiste seront à découvrir tout au long de l’été, notamment à la Porte Beucheresse. Le musée de la Perrine présentera 18 photographies et deux œuvres composées d’objets. Fixées sur des façades du centre historique, des bâches grand format jalonneront le parcours. Des vidéos d’artistes seront également au programme au Rocher (David de Tschaner), au Musée Alain Gerbault (Peter Fischli et David Weiss) et aux Bains-Douches (Song Dong). De nombreux partenaires et entreprises mécènes soutiennent cette initiative et nous attendons sa réalisation avec enthousiasme !