Son personnage d’Hyppolite le crieur public l’a fait connaître dans le département et bien au-delà. Conteur, témoin sensible du quotidien, créateur du festival Les contrées ordinaires, Olivier Hédin vient de signer Portraits, sa dernière création itinérante.

Quand on vous demande ce que vous faites dans la vie, vous répondez quoi ?

Je me présente comme conteur. C’est là d’où je viens, où se trouvent mes racines, mon héritage culturel. Même si je défends la tradition dans le conte, je ne suis pas traditionnaliste. J’y apporte la touche contemporaine du récit. Pour moi, le conte est à la fois un récit de vie, du quotidien – c’est tout le travail que je mène avec la Compagnie Oh! – et une façon de transmettre la parole d’histoires vécues, qui datent de la nuit des temps.

L’image véhiculée par le conte est parfois un peu vieillotte…

Pourtant, c’est un art bien vivant ! À l’instar du clown, le conteur a énormément évolué. Je fais partie des rares conteurs, en France, issus de l’espace public et des arts de la rue. C’est là que j’ai fait mes armes. Dès mes 19 ans, j’ai cherché à y placer ma parole. Le conteur que je suis a été sculpté par les rencontres, l’éphémère, par les trépidances de la rue, ses torpeurs aussi parfois, par le mélange, le métissage. Ma parole était plutôt brute, à la base. Elle s’est polie avec le temps, sans pour autant s’aseptiser. Il a fallu que je réussisse à la faire passer à travers des fanfares, des chiens qui aboient, pour l’amener, au fur et à mesure, au plateau, à la scène.

Comment est née votre passion pour le conte ?

Quand j’étais enfant, en Picardie, ma grand-mère, qui tenait une maison de la presse, me racontait des histoires. Elle m’emmenait dans des univers fantastiques, des récits d’antan. Pas dans des contes traditionnels, mais plutôt dans des récits de vie. J’imaginais les choses à travers les ombres. Installé dans le fauteuil de son arrière-boutique, je bouquinais des BD à n’en plus finir. Elle me disait : « Ne lis pas ça ! Ce n’est pas ça la littérature ! ». Et moi, je baignais dans les Marvel, Strange, Tarzan, Blek le Roc… C’était assez incroyable. Ses histoires de sorciers, de lingères, de livres maudits, de sortilèges ont bercé mon enfance. Elle était Vendéenne, imprégnée par tout ce mysticisme. Elle m’a donné mon socle.

Quand commencez-vous à vous produire en public ?

Dès l’âge de 17 ans, j’ai commencé à raconter des histoires. D’abord en centres de vacances. Puis dans d’autres lieux. Ma parole semblait faire écho. Après mon bac, je suis parti à Amiens pour y suivre des études d’histoire. Je me suis retrouvé avec tous ces gens qui lisaient des bouquins, moi le fils d’ouvrier, boursier… Je ne suis pas né avec une cuiller en argent dans la bouche. C’est aussi ce qui a fait ma force, qui m’a donné mon impulsion. Aujourd’hui, je fais un travail de proximité, que je veux de qualité. Il y a des leçons à prendre auprès du peuple, des gens simples.
C’est aussi à Amiens que vous avez rencontré un de vos compagnons de route…
J’ai eu un parcours de frangin avec Olivier Cariat, conteur picard, de la compagnie Conte là d’ssus. À l’âge de 21 ans, Olivier a décidé de devenir professionnel. Très vite, j’ai été associé à sa compagnie… Mais le spectacle n’était pas ma priorité. J’avais choisi l’éducation. Je voulais m’occuper des adolescents. C’est ce qui a fait vibrer ma vie pendant près de douze ans. Je suis devenu conseiller principal d’éducation (CPE) en établissement scolaire. En fait, j’ai mené ces deux activités en parallèle.

En 2004, vous êtes nommé en Mayenne. Pour vous, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle…

Je pose mes valises à Laval, et là, je n’ai qu’une idée en tête : repartir ! J’adore le surf, la glisse. Je visais la Vendée, le littoral, le retour aux racines, et je me retrouve en Mayenne. Je décide d’arrêter tout spectacle, d’aller le plus souvent possible au bord de la mer pour assouvir ma passion, et de ne surtout pas m’accrocher à ce département.

Pourtant, 15 ans plus tard, vous êtes toujours là, et bien là !

Au bout de six mois, la Mayenne va me rattraper. Au cours d’une conversation, Thierry Mousset, de la librairie Jeux bouquine à Laval, me dit, « ah bon, tu as fait du conte ? ». Il me met en relation avec Paul Bançais, LE conteur mayennais, qui m’invite, un soir, à l’assemblée générale de son association La Plume au bec. La scène est ouverte. On me donne la parole. De nombreux conteurs amateurs et des gens du réseau des bibliothèques sont dans la salle. Ils viennent vers moi en me disant, « il faut que tu viennes conter chez nous ! » Et là, tout ce que j’avais refusé, depuis mon arrivée, s’offre à moi ! Ça a donné dix spectacles, la création d’une compagnie, une diffusion nationale, une carte de visite dans le réseau professionnel des conteurs. C’est assez fou !

Ce que je défends, dans mon travail, c’est que le cœur bat dans le bocage

Finalement, qu’avez-vous trouvé dans ce département ?

Le vert, la Mayenne qui coule, un autre rythme de vie, les réseaux d’entraide, la solidarité écologique. Je me suis impliqué dans les réseaux de protection des migrants, j’ai redécouvert un militantisme altermondialiste, des projets d’habitat commun, un mode de vie en phase avec la société de demain. Dans laquelle il n’y a pas d’autre choix que de revenir à des comportements altruistes. C’est une grande leçon de vie, la Mayenne ! Je me sens citoyen du monde, mais c’est ici que je replonge mes mains dans la terre, dans mon jardin, mon village, à La Chapelle-au-Riboul. Un lieu central, d’expérimentation constant, dans le vivre-ensemble, les projets collectifs, les utopies communales au sens de 1870. Pour moi, la Mayenne, c’est le grand écart entre le 22e siècle – avec la réalité virtuelle – et le 19e siècle – avec ses campagnes. Ce que je défends, dans mon travail, c’est que le cœur bat dans le bocage. On n’est pas reclus. Dans mon bled, ça pulse !

Et sur le plan culturel ?

La Mayenne, c’est un réseau culturel, artistique et associatif incroyable. Un maillage exemplaire. Mon micro-exemple, c’est notre Nord Mayenne, d’est en ouest, sur cet ancien Pays de Haute Mayenne : on est mutualiste ! Avec les grands frères d’Au Foin de la rue, Tribu Familia et Le Kiosque, on se donne un rendez-vous commun tous les deux ans pour bosser ensemble. Ça s’appelle MIAM et ça se passera chez moi, au village, l’année prochaine.

 

Pauline Fontaine et Olivier Hédin, dans Portraits ou voyage en pays ordinaire. © Olivier Cariat

Pauline Fontaine et Olivier Hédin, dans Portraits ou voyage en pays ordinaire. © Olivier Cariat

Comment êtes-vous arrivé à La Chapelle-au-Riboul ?

En tant que CPE, j’avais choisi d’être remplaçant. J’ai fait 20 bahuts, en Mayenne, avant d’arriver dans les collines du nord ! Comme c’était loin de Laval, où j’habitais, j’ai vécu dans mon camion, à l’Étang des Perles, du côté de Villaines-la-Juhel. Je me suis imprégné des collines, des rivières, des lacs, des carrières cachées… Après deux ans d’itinérance, j’ai eu besoin de me poser. Fin 2008, à La Chapelle-au-Riboul, j’ai découvert une ruine abandonnée sous les broussailles. J’ai eu la folie d’acheter ce lieu.

Et là, le conte vous rattrape encore une fois…

Quelques mois plus tard, Michel Burson, le maire de l’époque, vient me voir et me dit : « Je sais que tu es conteur, je veux que la commune t’invite à raconter une histoire à la population. » Il insiste pour que je sois rémunéré. Je me retrouve face à 200 personnes. L’accueil est excellent. Il est temps, pour moi, de quitter l’Éducation nationale. En 2010, je crée ma compagnie, en y associant les villageois. Les six premiers administrateurs sont des habitants de La Chapelle-au-Riboul. L’année suivante, l’idée d’organiser un événement fédérateur dédié au conte, qui rassemble les gens, fait son chemin. Je voulais, en quelque sorte, remercier ces bénévoles qui me donnaient de leur temps. C’est comme ça que sont nées Les Contrées ordinaires. Et je me retrouve à la tête d’un festival de l’oralité qui, de 400 spectateurs au départ, en rassemble aujourd’hui 1 500. Pour leur 4e édition, les Contrées investiront la Maison de Perrine, haut-lieu patrimonial de la commune. Près d’une trentaine de conteurs sont attendus. Parmi eux, Pépito Matéo, Art Sign, Gaëlle Sara Brantome, Albaricate, Thierry Bénéteau, Edwige Badge, Monsieur Mouch… Balade conté, nuit du conte et autres causeries sont au programme.

Votre actualité, c’est aussi Portraits, ou voyage en pays ordinaire, étonnant spectacle que vous avez créé en mai dernier…

Deux camions arrivent un soir, sur une place de village, sans prévenir. Un homme et une femme vont s’y installer pour quatre jours et quatre nuits, faire de cet espace public leur salon à ciel ouvert… Avec Pauline Fontaine, ma partenaire de jeu, on ne se présente jamais comme des artistes, mais comme des voyageurs. Et là, on percute de plein fouet le quotidien, l’ordinaire, le regard des gens qui se demandent ce qu’on fait là. La rencontre s’opère, les peurs s’estompent. On touche à la notion d’accueil, d’étranger. Tout ce qu’on observe, les paroles que l’on collecte, constituent la matière première du spectacle, que l’on présente dans la rue, devant nos camions. Ce qui est très fort, aussi, dans ce spectacle que l’on réinvente à chaque nouvelle étape, c’est le croisement entre les différents publics… Le spectacle a déjà été donné en Mayenne, en Anjou, en Picardie. Il est amené à tourner jusqu’en 2021. Ce voyage-là ne fait que démarrer !