Dignes représentants de la tranchante scène noise made in France, les Nantais de PAPIER TIGRE ont fait cet été une escale remarquée en Mayenne, lors de la 2e édition du festival Terra Incognita. Rencontre avec Éric Pasquereau, chanteur-guitariste du trio, pour évoquer la notion de « do it yourself » ou leur génial projet parallèle La colonie de vacances.

Est-ce que le terme « do it yourself » te semble correspondre à Papier Tigre et à sa démarche ?

Oui, en tous cas ça nous parle, car la plupart de nos influences musicales viennent de là, du DIY. C’est-à-dire : savoir se prendre en main et ne pas attendre des autres qu’ils s’occupent de tes affaires à ta place. Des groupes comme Fugazi par exemple, ce sont des gens qui avaient leur propre label, qui organisaient eux-mêmes leurs tournées et qui ont vendu un million d’albums en fonctionnant comme ça. Ça permet d’avoir un contrôle artistique total, ce qui peut parfois prendre énormément de temps. Cela dit, nous avons un label, un tourneur… Donc on ne fait pas tout non plus en DIY. Mais on s’occupe au plus près possible de tout ce qui nous concerne. L’idée du groupe, c’est vraiment de faire de la musique, et pas de chercher le succès. C’est ça aussi le DIY, le fait de bosser passionnément pour la musique, et pas dans un délire forcément mercantile ou de starification. Que l’on soit affiliés au DIY tant mieux, mais on ne le prêche pas pour autant, on le fait aussi par la force des choses.

Votre label, Murailles Music, est typiquement une petite structure indépendante…

Ce sont des gens qui viennent aussi du milieu DIY. Murailles music, c’est une structure qui joue à la fois le rôle de label et de tourneur, sur lequel il y a des groupes comme Electric Electric, La terre tremble !, Thee stranded horse, pas mal d’artistes qu’on aime bien. Nos disques sont sortis aussi en co-production sur un autre label, African tapes, qui a sorti les disques de Marvin, Peter Kernel… Derrière ces labels, il y a des gens passionnés de musique qui ont choisi de sortir les disques des groupes qu’ils défendent. Il n’y a pas nécessairement beaucoup d’argent en jeu, mais la volonté de faire les choses de la meilleure manière possible : que le groupe puisse enregistrer dans de bonnes conditions, et que tout le monde s’en sorte. C’est-à-dire qu’on arrive à rembourser le disque à la fin, tout simplement.

Récemment on nous a contactés pour faire la 1re partie de Johnny

Vous avez déjà été contactés par des plus grosses structures ?

Récemment, on nous a contactés pour faire la 1re partie de Johnny par exemple, qu’on a refusé. Au début je pensais d’ailleurs que c’était un canular. À part cette proposition complètement absurde, nous sommes assez peu sollicités. Mais je pense que l’esprit DIY, au-delà de l’esthétique, réside avant tout dans la manière dont tu présentes ta musique au public. Parce qu’il y a des groupes très accessibles, voire potentiellement mainstream, qui font partie de la scène DIY. Si on y est rattachés, je voudrais que ce soit dans ce sens là aussi : que le groupe ne soit pas amené à faire des compromis musicaux pour que ça marche, ou que ça plaise à une tierce personne qui ne fait pas partie du groupe : un manager, un label, un tourneur…

Est-ce que ce fonctionnement implique de beaucoup tourner ?

Oui, dans le réseau dans lequel on évolue, nous n’avons pas les moyens de disposer d’une grosse promotion. Donc la seule manière de faire connaître notre musique, c’est de beaucoup tourner. Notre musique est de toute façon conçue pour être jouée sur scène.

Vous sélectionnez un peu les dates, ou dès que vous avez l’occasion de jouer quelque part, vous foncez, quitte à jouer dans des conditions « précaires » ?

Forcément, sur une tournée de 30 dates, tous les concerts ne peuvent pas être géniaux, ça peut arriver qu’on se demande ce qu’on fout là, mais c’est très rare. Dans l’absolu, on pourrait jouer dans n’importe quelles conditions. Dans une vieille grange avec une sono de répète, ça ne nous choquerait pas. Il y a une atmosphère qui est différente aussi dans certains concerts à l’arrache, par exemple dans le fait de jouer au sol au milieu du public. Ce n’est pas la même façon de vibrer et pas non plus la même implication du public. Les gens sont moins passifs que lorsque le groupe joue sur scène, où tu es davantage là pour « divertir » le public.

Vous tournez aussi pas mal à l’étranger. Vous arrivez à rentabiliser ce genre de tournées ?

En France il y a un double réseau, celui des salles subventionnées ou labellisées, et le réseau underground ou DIY, souvent des assos qui organisent des concerts dans des bars, des squats, des lieux alternatifs. À l’étranger il n’y a souvent que des réseaux DIY, ou alors ce sont des salles privées. Il y a une culture du DIY plus marquée, les gens ont l’habitude de cette manière de fonctionner. Par exemple, en Allemagne, il y a pas mal de lieux alternatifs qui tournent uniquement avec des bénévoles. En France, cette culture existe aussi, mais étant donné que les mairies subventionnent des salles avec des budgets conséquents pour organiser des concerts, certains n’arrivent pas à comprendre qu’il y ait d’autres concerts ailleurs.

Parlons un peu du contenu de vos chansons. Il semble qu’il y ait des thématiques qui se dégagent d’un album à l’autre ?

C’est avant tout pour cadrer la création. Le message d’un disque à l’autre ne change pas nécessairement, j’écris les textes en fonction de ce dont j’ai envie de parler sur le moment. Il s’avère que j’arrive souvent à trouver une espèce de fil conducteur, qui permet de relier les morceaux : j’aime bien l’idée qu’il y ait un sens global sur un album. En tous cas, c’est très important d’avoir quelque chose à dire, sinon ça ne sert à rien de chanter.
On appartient clairement à une génération un peu désabusée et pas très optimiste, surtout en France d’ailleurs. L’idée sur le dernier album, c’était de parler de ça. C’est pour cela que l’album s’appelle Recreation, en référence à la société de loisir, et à l’abrutissement général des gens par le « divertissement ». Après il n’y a pas de message, cela reste toujours des expériences personnelles, des témoignages, mis en forme d’une manière assez poétique et évasive. On ne cherche pas à monter un parti politique, à créer un mouvement. On parle juste de choses qu’on estime importantes à dire, et qui collent bien avec notre musique. On pousse les gens à réfléchir à la manière dont ils vivent, consomment… Même si la plupart des gens qui sont réceptifs à ça le font déjà d’eux-mêmes !

Comment êtes-vous venu au rock noise dans un pays où l’on n’a pas forcément une culture très marquée de cette esthétique ?

Il y a quand même eu des groupes comme les Thugs, Chevreuil ou Sloy, qui ont eu le mérite il y a 10, 15 ou 20 ans de faire exister cette fameuse scène DIY, issue de la scène alternative des années 80. Mais c’est vrai qu’on a une culture musicale 100% anglo-saxonne. On allait voir Sonic Youth en concert à 13-14 ans, on a vraiment été happés très jeunes par cette musique. La plupart de nos influences majeures proviennent du label Dischord avec Fugazi, ou Touch and go avec Jesus Lizard, Don Caballero… En revanche, aujourd’hui on écoute vraiment de tout. On a la chance de faire partie d’une génération où l’on a accès à tout. Les gens sont moins cloisonnés dans une esthétique musicale : tout le monde écoute un peu d’electro, un peu de folk, un peu de rock… Les styles sont plus ouverts les uns sur les autres, et c’est ce qui donne parfois des mélanges intéressants.

La seule manière de faire connaître notre musique, c’est de beaucoup tourner

Quand on fait justement une musique comme la vôtre, avec une identité assez forte, n’y a t-il pas le risque de se répéter ou de lasser ?

Je ne sais pas pour le public, mais pour nous non, car on avance progressivement, avec régulièrement de nouvelles idées. Nos trois disques sont finalement assez différents, avec sur le dernier des choses qu’on n’aurait pas pu faire il y a quelques années. C’est de toute façon un pari de continuer un groupe, même quand tu en vis, car ça ne peut pas durer éternellement. Quand tu as fait trois ou quatre fois la tournée de toutes les SMAC (salles de musiques actuelles, ndlr) de France, tu ne vas pas la faire 50 fois non plus. Pas mal de programmateurs nous ont soutenu et nous font confiance, donc tant mieux, mais c’est à toi aussi de faire évoluer ton groupe, trouver des nouveaux publics. C’est ça aussi le DIY. L’année prochaine, on aimerait bien faire une grosse tournée américaine, retourner jouer au Japon, faire un 45 tours… Il faut être tout le temps en perpétuel mouvement pour ne pas stagner.

Il y a aussi vos projets parallèles, comme La colonie de vacances, qui vous permet de varier les plaisirs. Comment travaillez-vous avec les trois autres groupes (Electric Electric, Pneu et Marvin) constituant ce projet ?

On se voit tous assez souvent, car on est avant tout potes et on joue régulièrement ensemble sur des dates communes, en dehors de La colonie de vacances. On s’est aménagé des espaces pour répéter dans plusieurs villes en France, notamment à Reims ou Tours. Mais on ne répète pas en conditions concerts avec quatre scènes, ce serait trop compliqué. On dispose juste les quatre batteries au milieu, et on joue autour au sol, comme n’importe quel groupe qui répète dans un local. Et là chacun élabore un peu les idées et on tranche assez vite, c’est très démocratique comme processus. On est sur la même longueur d’ondes, tous à peu près du même âge et issus de la même scène. Chacun sait vers quelle direction il doit aller, tout est assez simple finalement.

À qui doit-on l’initiative de ce projet ? Vous êtes-vous inspirés de quelque chose qui existait déjà ailleurs ou est-ce une création originale ?

À la base, nous avons organisé une tournée commune, où chacun devait s’occuper de trouver deux ou trois dates. On était partis avec deux camions pour une tournée de neuf dates. Pour le coup, c’était entièrement DIY, mais version de luxe car on avait fait de très belles dates à Lyon ou Nantes devant 600 personnes. À la suite de cette expérience, un programmateur de la salle Le Temps Machine à Tours nous a proposé de faire un truc sur quatre scènes pour un festival d’art contemporain. On a essayé d’agencer ça en une après-midi. Ça ne marchait pas hyper bien, mais on a fait le concert et l’expérience nous a plu. On a reconduit ça un peu plus tard à Montpellier, et cette fois nous avons eu quatre jours pour répéter : c’est là que le projet est vraiment né, car on s’est rendu compte que cette formule offrait plein de possibilités. On a aussi eu des bons échos des spectateurs, qui ont vraiment apprécié cette expérience parce qu’elle offre au public un nouveau rapport au concert, aux artistes… On doit refaire des dates en mars l’année prochaine, avec une résidence. On va retravailler le projet et essayer d’étoffer la structure déjà existante.