Médiateur culturel. L’intitulé est flou et le métier peu connu. Au cœur de l’éducation artistique, la fonction est pourtant essentielle. Mise au point avec le duo de médiateurs du Carré, scène nationale et centre d’art contemporain.

« Le mot médiation est utilisé à toutes les sauces », déplore un brin provoc Antoine Avignon, 42 ans, chargé des relations publiques et de l’action culturelle au centre d’art contemporain du Carré. « Pour moi, il s’agit avant tout de jouer le rôle de transmetteur entre le public et une œuvre ou un artiste. »
Le lieu d’exposition où il officie, installé dans la chapelle du Genêteil à Château-Gontier, offre un service de médiation depuis sa création. C’est en effet dans les musées et les centres d’art que sont apparus les premiers médiateurs. Car pour une œuvre exposée, sans artiste pour la présenter, il y a constamment des explications à donner. « On ne remplace pas l’artiste, on essaie de faire passer son message aux visiteurs, sans donner une seule réponse mais en ouvrant des perspectives.  » Un accompagnement du regard en quelque sorte, qui « va au-delà de l’œuvre. Cela permet de s’interroger, d’avoir un regard sur le monde. C’est aussi mon rôle de contribuer à ça. »
Pour exercer ce métier, pas de chemin tracé. Des formations existent bien, aujourd’hui, mais à Château-Gontier, les deux médiateurs se sont formés sur le tas. « Je suis arrivée en 2008, explique Émilie Lebarbé, chargée des relations publiques et de l’action culturelle pour le spectacle vivant. Je sortais d’un master management du patrimoine, des arts et de la culture, pas d’une formation fléchée médiation. » Pour Antoine Avignon, le parcours est encore plus atypique. Arrivé en 1997 au Carré en tant qu’objecteur de conscience, il a enchaîné sur un emploi jeune, puis un CDI. « Le mot médiateur n’existait même pas, à l’époque. »
Depuis, les postes de médiation se sont multipliés en Mayenne. D’abord dans les centres d’art, à Pontmain et Mayenne, puis au sein des saisons culturelles de l’Ernée, des Coëvrons, du pays de Craon, Loiron… Une fonction qui souvent, petite équipe oblige, empile les missions : médiation mais aussi communication, billetterie, administration… Les « grandes maisons », comme Le Théâtre de Laval ou Le Carré, ont la chance de s’appuyer sur des équipes dédiées. « On est directement associés au choix de programmation, ça nous laisse le temps de nous en imprégner, pour penser la médiation », sourit Émilie. Et pour développer un programme d’actions impressionnant. Antoine reçoit au centre d’art près de 2 000 élèves par an. Visites auxquelles s’ajoutent régulièrement des ateliers de pratique, des rencontres avec les artistes exposés, des parcours sur l’année avec des classes de lycée… Quand le médiateur n’intervient pas directement au sein des écoles, dans le cadre de l’opération « Des vidéos d’artistes dans ma classe » : un cycle de trois interventions d’initiation à l’art en partenariat avec le Fonds régional d’art contemporain.

Parcours sur mesure

« Nous sommes énormément sollicités, par beaucoup de structures sociales et d’écoles de Château-Gontier mais aussi de Laval, Sablé-sur-Sarthe, Grez-en-Bouère… », constate Émilie qui, au « saupoudrage et aux grosses usines à gaz touchant beaucoup d’élèves avec des propositions un peu standardisées », préfère proposer aux scolaires des parcours sur mesure, adaptés au niveau des enfants et aux demandes des enseignants. Elle a expérimenté la saison passée avec deux classes, l’une de CP-CE1, l’autre de 4e-3e, un parcours d’éveil critique, qui devrait s’étendre l’année prochaine à un plus grand nombre d’établissements. L’idée ? Accompagner les élèves, sur plusieurs mois, en leur proposant de voir des spectacles et des expos, auxquels s’ajoutent des rencontres avec les comédiens, et des rencontres avec la psychanalyste Claire Zebrowski pour un debriefing « critique » de ce que les jeunes ont vu. « On a été surpris de ce que les enfants ont pu verbaliser », raconte Émilie.
Le Carré coordonne aussi les « parcours théâtraux », une opération financée par la région, qui a permis cette année à trois classes de lycée de Château-Gontier de bénéficier d’un atelier de pratique de 15 heures avec la metteuse en scène Valérie Berthelot, et d’assister à un spectacle. Avec à la clé un temps de restitution commun sur scène !

La médiation, c’est l’imprégnation. On apprend en faisant, par immersion.

Carrément cool

Accueil des Printemps théâtraux ou des rencontres chorégraphiques chapeautées respectivement par les associations Amlet et Mayenne Culture, aide au montage d’ateliers de pratique artistique (APA) dans les collèges et lycées du territoire, collaboration avec le service patrimoine de la ville pour les « Journées carrément cools » associant visite du théâtre et spectacle… Mieux vaut aimer bosser en équipe et en partenariat quand on est médiateur. « On travaille toute l’année en lien étroit avec les acteurs culturels du territoire, l’inspection académique, le rectorat et bien sûr les enseignants, que l’on va accompagner, aider à rechercher un intervenant… Si on fait bien notre boulot de coordination, de préparation des rencontres, de mise en relation des différents interlocuteurs, on n’est plus visible et pas forcément présent à chaque rendez-vous. Ce qui fait que parfois notre travail, un peu souterrain, est mal connu du public », affirme Émilie.
« C’est différent pour l’art contemporain, pondère Antoine, où le médiateur est au centre. Je ne peux pas me permettre d’être absent pendant des visites. » Avec certaines classes, le quadragénaire travaille en amont avec l’enseignant pour préparer la visite et faire en sorte que les œuvres trouvent un écho dans son programme pédagogique. « En général, lors de la visite, j’introduis l’expo puis je laisse le regard complètement libre. Chacun interprète ce qu’il voit avec sa propre culture, sa sensibilité. » Laisser regarder avant d’intervenir, premier précepte du médiateur. « Une fois que la classe a découvert l’expo, on y retourne ensemble, indique Antoine. Je pose des questions et j’y apporte des réponses variées tout en acceptant les leurs, en tâchant de ne pas être uniquement dans une position de sachant, d’expliquant. Il n’y pas de bonnes et mauvaises réponses. Parfois, ils peuvent être désarmés, perdus, insensibles. J’essaie d’y remédier. »
Et Antoine de poursuivre : « la médiation, c’est l’imprégnation. Un mot que j’aime. On apprend en faisant, par immersion, sans s’en rendre compte. » Une démarche que l’équipe du Carré n’entend pas réserver aux seuls scolaires mais étendre à tous ceux, jeune ou adulte, qui veulent aller plus loin que la simple consommation d’un spectacle, via les nombreux ateliers, conférences, rencontres ou voyages culturels proposés par la scène nationale. « L’éducation artistique, conclut Émilie, c’est tout au long de la vie. »

 

Article paru dans le dossier « que fait l’art à l’école ? » du numéro 61 du magazine Tranzistor.