Stars dans leur pays, la Guinée, LES ESPOIRS DE CORONTHIE ont posé leurs valises il y a un an à Laval après avoir tourné dans toute l’Europe. Le 26 mai, ils étaient aux Ondines pour l’Afrika Changé. En France, c’est là qu’ils ont commencé.

On a beau les avoir attendus pendant une heure et demie (un gros problème technique juste après la belle première partie de Mad Lenoir), quand les Espoirs de Coronthie débarquent sur scène, on se dit que ce sont de vrais princes. D’abord, ils s’excusent de ce retard dont ils ne sont pas responsables. Et puis les chanteurs entonnent « Babadi », une balade aussi douce que la mélancolie, accompagnée à la kora et portée par des choeurs sublimes. La grâce est telle que malgré la fatigue, la salle est déjà gagnée.
Les trois leaders du groupe se partagent avec naturel le devant de la scène. Il y a Sanso, à la voix plutôt grave et bien posée ; le charismatique Mengué, au timbre plus doux, légèrement haut perché ; et puis l’étonnant Machété, l’auteur principal du groupe, en qui on verrait bien un JoeyStarr guinéen. La voix profonde et éraillée, parfois jusqu’à la rupture, le débit de rappeur et même une vague ressemblance physique… Sa présence apporte une vraie modernité à cette musique afro-mandingue d’inspiration traditionnelle, comme une bonne partie des instruments utilisés : kora, sanza, balafon… La mise en scène aboutie, autant que le jeu avec le public, achèvent d’inscrire les Espoirs dans leur époque.
Le groupe compte un danseur mais les chanteurs improvisent eux aussi des enchaînements, sauts… Le spectacle est partout : sur le devant de la scène, à droite, à gauche… on ne sait plus où poser les yeux quand les Espoirs se déchaînent. Les oreilles saisissent quelques paroles en français (la plupart sont en soussou). Ça parle de jeu de dupes : « si vous m’élisez, je promets de lutter contre la corruption (…) Tout va changer ! (…) Sept ans plus tard, rien n’a changé. Huit ans plus tard, rien n’a changé… »
« Nous sommes une sorte de phare de la musique guinéenne, alors pourquoi ne pas défendre la population contre les politiciens ?, relève Mengué, chef de groupe élu, lui, vraiment démocratiquement par ses pairs. Mais nos chansons parlent aussi d’amour, de guerre, du présent, du passé… de tout ce que nous ressentons. » En dépit de la gaieté apparente de bon nombre de morceaux, une sorte de saudade s’en dégage. « On a tout le temps la nostalgie de notre bled, c’est sûr », confirme Mengué dans un demi-sourire.

Jeux interdits

Leur bled, c’est en fait un quartier pauvre de Conakry, Coronthie. D’où le nom du groupe, décrété par le présentateur de leur premier gros concert. Jusque-là, les jeunes musiciens, autodidactes, étaient davantage occupés à réussir à jouer de la musique sans que leurs parents le sachent qu’à se trouver un nom. Parce qu’ils ne sont pas issus de lignées de griots, ils n’avaient théoriquement pas le droit de prétendre à ce privilège. Alors ils ont fabriqué seuls leurs premiers instruments et ont fait l’école buissonnière pour s’exercer, avant d’aller en cachette jouer dans les bars le soir. Et peu à peu la bande de copains est devenue un groupe de musiciens professionnels. « Nos parents ont accepté les choses quand on a enregistré notre premier album », confie Mengué.
Baptisé Patriote, ce premier opus est un pur produit de la musique mandingue traditionnelle. La rencontre avec Antoine Amigues va faire évoluer le son des Espoirs vers ce qu’il est aujourd’hui. Le guitariste français découvre le groupe en 1998 lors de vacances en Guinée. Séduit par le talent des musiciens, il s’intègre à la formation et l’aide à enregistrer un deuxième album dont il réalise les arrangements. Dunya igiri cartonne tellement en Afrique de l’Ouest qu’Antoine a l’idée de faire tourner les Espoirs en Europe.

On est une sorte de phare de la musique guinéenne, alors pourquoi ne pas défendre la population contre les politiciens ?

« À l’époque, je travaillais aux Ondines et j’avais déjà beaucoup de liens avec l’Afrique, relate le Lavallois Laurent Rangeard, devenu manager du groupe. J’ai vu l’appel d’Antoine sur un site spécialisé et je me suis dit qu’on pouvait les accueillir pour travailler un spectacle professionnel. » S’ensuivront presque cinq ans de tournées et de festivals en Europe et au Québec.

La fée Ondines

« En voyageant, on a rencontré plein de musiciens et on a compris qu’en fusionnant les styles, ça pouvait bouger », explique Mengué. « Déjà sur Tinkhinyi, leur troisième album qui a reçu une vraie reconnaissance du monde musical, il y a des codes et des couleurs musicales qui ont changé, complète Laurent Rangeard. Le prochain (qui devrait sortir en janvier 2013, ndr) devrait constituer un tournant. Ils ont fait l’effort de chanter certains textes en français ou en anglais pour tenir compte de leur public. Ils s’émancipent de la musique traditionnelle, en introduisant du banjo, des claviers, des congas… »
C’est lors d’une résidence aux Ondines en avril dernier que les Espoirs de Coronthie ont travaillé cinq titres de cette fusion en perpétuelle évolution. Un peu comme si la salle changéenne était devenue leur bonne fée. Laval, où ils vivent depuis un an, s’est mué en port d’attache. Le groupe s’y sent bien, même s’il regrette qu’il n’y ait pas dans la ville un lieu où les artistes puissent se retrouver et jouer ensemble, sans enjeu.
À Conakry, les Espoirs ont carrément créé un espace culturel pour encourager les artistes émergents. Le club (comme l’association mayennaise visant à le soutenir) s’appelle « Fougou Fougou Faga Faga », une onomatopée évoquant l’envol d’un oiseau. « Quand tu as de la chance, il faut aider les autres », sourit Mengué. Après être rentré un peu au pays entre autres pour animer ce lieu, le groupe doit enregistrer en juin, à Lyon, dans le studio du Peuple de l’Herbe. Prestigieux ? Quand on sait que Tinkhinyi a été réalisé à Bamako au même endroit que certains albums de Rokia Traoré ou Ali Farka Touré, ça fait relativiser…