Vendredi 13 décembre, le 6par4 prenait en pleine face le rock minimal et cinglant de Frustration et Blackmail. chRisA, plume très active du toujours excellent webzine I am a lungfish song, nous conte cette « très bonne soirée ».

Avec deux formations, l’une reconnue, l’autre prometteuse, Paris s’invite ce soir au 6par4. Capuches baissées, parkas au vestiaire, voici les Blackmail en chair et en os venus nous présenter leur album Bones (Yuk-Fü Records), sorti au début de l’année. Percus-chant-Korg, le trio distille un electro-rock sombre aux beats injectés de sang. S’enveloppant autour de nappes synthétiques souvent crasseuses, véritable squelette de la bête, la musique des Parisiens libère un chant posé et profondément désenchanté. Chaque morceau trouve sa force dans des schémas répétitifs qui mènent à une forme de transe. Ponctuée par des percussions mi-électroniques mi-tribales, elle invite surtout à une danse urbaine. « Concrete Heap » et « Night Hunter » avec son côté pop s’imposent comme des titres majeurs, tout comme « A Miracle America » qui, par son chant assez haut perché, anéantit l’aspect monocorde d’une voix à humeurs égales. Le garrot comprimant la veine minimaliste n’empêche pas aux sons de laisser s’échapper une multitude de détails qui enrichissent la densité des textures.
Jamais trop expérimental ni agressif, Blackmail, sans être non plus totalement accessible, explore les recoins d’un rock de cave moderne que ses membres ont bien décidé de laisser peint en noir. Très bonne découverte.

Machine à danser

Quand les gars de Montrouge débarquent sur scène, on sent immédiatement que nos corps ne vont plus parler le même langage. Directs et sans fioriture, « Worries » et « Around » attaquent pied au plancher. Considéré comme une perte de temps, l’échauffement n’existe pas. Les kinés de Frustration n’ont pas leur diplôme. Nuques, jambes et bras n’ont plus qu’à se laisser faire. La machine à danser est lancée. Le post-punk des lascars du 9.2 est en route pour plus d’une heure d’une débauche d’énergie sans temps mort. Frontman charismatique, Fabrice, avec l’impact des mots qu’il faut, assure sans en rajouter. Pat, le nouveau bassiste aux faux airs de John Reis s’en sort très bien. En parfaite adéquation avec la six-cordes nerveuse et efficace de Nikus, Fred, caché derrière son (R)Akaï et son Oberheim, occupe l’espace nécessaire pour faire sonner ce rock comme il se doit (c’est à dire pas qu’au passé).
Chaque titre est un pur plaisir, encore plus quand le groupe s’applique à faire monter la mayonnaise (« Uncivilized »). Mine de rien, ces chansons sont à elles seules un concentré d’hymnes (on pense à « Blind », « Assassination », « For Them No Premises », « No Trouble » entre autres) et de tubes remplis de colère, de sueur et surtout de convictions. Personnellement, les deux grands moments sont incontestablement « We Miss You », peut-être le titre le plus émouvant du registre du quintet et « Too Many Questions » qu’on chante avec plus de points d’exclamation que d’interrogation sur les lèvres.
La salle était au diapason. Elle a fait corps et c(h)oeur avec un groupe sincère qui ne cesse de prouver depuis plus de dix ans que l’urgence et la simplicité, outre le fait qu’elles soient un art noble, peuvent toujours se conjuguer au futur. Rincé, oui, mais il était impossible de sortir du 6par4 frustré…