Interprète hors pair, prof de musique engagé, co-fondateur de l’Ensemble Caravage et des Rencontres musicales en Coëvrons… Sous ses airs doux et sages, Adrien Michel se révèle un musicien curieux et hyperactif, qui multiplie les occasions de partager sa passion. Rencontre, en pleine répétition d’ « Ulysse et compagnie », nouvelle création de l’Ensemble Caravage.
Ce 3 janvier, lorsqu’on débarque dans l’auditorium Jacques Lanoé à Évron, Ulysse et ses compagnons se défient dans une partie de chifoumi sans merci. Depuis la veille, les sept membres de l’Ensemble Caravage, accompagnés par la comédienne Marielle Biehl et le créateur lumière Pierre-Éric Vives, sont en résidence. À quelques semaines de la première, l’équipe bosse d’arrache-pied sur le nouveau spectacle de l’Ensemble Caravage, Ulysse et compagnie. Une relecture musicale et théâtrale, qui se veut contemporaine et décalée, du mythe d’Ulysse. Si la musique y occupe une place centrale, souvent, les musiciens s’y font comédiens. La complicité qui lie les membres de Caravage, qui pour certains jouent ensemble depuis 8 ans, contribue sans doute à leur aisance sur scène. Tout comme l’individualisation des rôles, écrits sur mesure pour chaque musicien par Adrien Michel.
À ses déjà multiples casquettes de prof de musique, de directeur musical et d’organisateur de festival, le musicien ajoute donc, avec ce spectacle, celle de « dramaturge ». Regard doux, calme olympien, constante bienveillance et look sage…. Le trentenaire ne correspond pas au cliché de l’artiste créatif, fourmillant d’idées et de projets, qu’il est pourtant.
Lorsqu’il revient sur sa jeunesse, le musicien se souvient qu’il était un enfant hyperactif. « Je ne tenais pas en place, la pratique musicale m’a donné un cadre ». C’est d’ailleurs sans doute l’une de raisons pour laquelle sa mère l’inscrit à l’école de musique. Et l’objectif est atteint au-delà des espérances maternelles. Le jeune garçon tombe sous le charme du violoncelle et surtout de son prof, qui lui transmet son goût pour la musique. « Le côté challenge, défi » de l’apprentissage musical, exigeant et parfois ingrat, stimule son fort esprit de compétition, déjà aiguisé par le cyclisme qu’il pratique alors à haute dose. Il découvre et s’initie à un monde nouveau, celui de la musique classique, très éloigné de sa culture familiale, plutôt tournée vers le sport. Et même si le chemin est parsemé de doutes et de questionnements, s’impose peu à peu l’idée que la musique pourrait être sa voix.
En 2004, à l’âge de 15 ans, Adrien entre au conservatoire d’Aix-en-Provence. Point de départ d’un parcours d’une dizaine d’années qu’il conclura au pôle d’études musicales supérieure de Seine-Saint-Denis (Pôle sup 93), où il se forme au métier de musicien ainsi qu’à celui de professeur de musique.
Esprit d’ouverture
C’est d’ailleurs l’enseignement musical qui l’amènera en Mayenne. En 2016, il atterrit au conservatoire des Coëvrons, où il enseigne toujours aujourd’hui. « Je ne connaissais pas du tout la région et la première fois que j’ai débarqué à Évron, je me demandais un peu ce que je faisais là », rigole-t-il. Mais le Provençal se laissera vite séduire par le charme discret des bucoliques campagnes mayennaises.
Dès sa sortie du pôle supérieur, l’enseignement musical lui semble comme une évidence. Il veut transmettre à ses élèves la flamme que ses anciens profs ont su allumer en lui. À l’apprentissage de la technique instrumentale, le violoncelliste avoue préférer celui de la culture musicale : que racontent les œuvres ? qui sont ceux qui les ont écrites et dans quel contexte artistique, historique, social sont-elles nées ? Ce sont d’abord ces questions qui le passionnent et qu’il veut partager…
Et c’est quand son job prend une dimension humaine et sociale, comme lorsqu’il travaille en milieu scolaire avec des enfants parfois éloignés de la musique ou des pratiques artistiques, qu’il se sent pleinement utile.
Ses débuts d’enseignant à Évron coïncident avec ceux de l’Ensemble Caravage, qu’il crée en 2016 avec le flûtiste Simon Guillot, rencontré sur les bancs du Pôle sup 93. Lors de leurs années de formation, les deux musiciens jouaient dans de nombreux orchestres, profitaient à fond des multiples projets pédagogiques qui leur offraient l’occasion de se produire en concert… Avec la fin de leurs études, tout s’arrête. La création de Caravage répond alors à leur frustration et au besoin vital de partager leur passion avec le public.
Le trio initial devient septet, associant quatuor à cordes, flûtiste, pianiste et clarinettiste. Cette configuration leur permet d’embrasser un très large répertoire, du baroque à la musique contemporaine, de Tchaïkovski à Messiaen, de Bach à Piazzolla. Une pluralité qui répond à l’esprit d’ouverture et à la curiosité revendiqués par l’ensemble.
Sortir des codes
Si l’exigence artistique est primordiale, pour Adrien, les qualités humaines des membres de l’ensemble sont tout aussi capitales. Ici pas d’entre-soi ou d’élitisme surplombant, ce qui guide les musiciens, c’est d’abord le plaisir de jouer de la musique ensemble et le plaisir de partager ce plaisir avec le plus grand nombre. Et ce partout, dans les salles de spectacle comme dans des lieux non dédiés.
À l’exemple des Rencontres musicales en Coëvrons, initiées et portées par Adrien et l’Ensemble Caravage depuis 2018. Pendant trois jours, fin août, ce festival itinérant voit l’Ensemble de produire dans les églises, chapelles, châteaux et autres perles patrimoniales dont regorge la belle campagne vallonnée des Coëvrons.
Les membres de Caravage y invitent aussi des solistes ou ensembles amis, ainsi que des élèves musiciens du territoire, qui viennent s’inscrire dans un riche programme faisant se croiser concerts de haute volée, visites patrimoniales, goûters et autres réjouissances culinaires. Le festival draine notamment un public local, pas forcément familier des concerts classiques et de ses codes parfois intimidants.
Investir des lieux insolites, sortir des codes du classique… Comme de nombreux orchestres, l’Ensemble Caravage s’y emploie activement, à l’image de sa dernière création, Ulysse et compagnie. Plus qu’un concert, il s’agit d’un spectacle, subtilement éclairé et mis en scène, où les musiciens se font comédiens, jouent debout, sont toujours en mouvement…
Pour composer le texte du spectacle, Adrien s’est plongé dans plusieurs versions de l’histoire d’Ulysse, avant d’en extraire une relecture qui déconstruit le mythe du héros solitaire, de l’homme fort et providentiel, pour faire de l’odyssée une aventure collective : « sans ses compagnons, Ulysse ne serait pas allé bien loin », résume Adrien.
Une métaphore du processus de création d’Ulysse et compagnie, certes écrit par Adrien mais mis en scène collectivement par l’équipe de Caravage. « Nous sommes tous dans une même recherche de justesse, sans que personne n’impose son avis aux autres », témoigne Pierre-Éric Vives, qui a assuré la création lumière du spectacle. Par un ingénieux jeu d’ombres et de lumière, il parvient à évoquer, avec des moyens très simples, la tempête, la mer ou les créatures mythologiques qui croisent la route du navigateur grec… À cette belle mise en lumière répondent les quintets de Mozart et Brahms, les quartets de Chostakovitch et Ravel, ou des pièces de Chopin, Bach ou Villa-Lobos. Autant de chefs d’œuvre, superbement interprétés, qui viennent renforcer l’intensité dramatique de l’épopée de nos sept aventuriers des temps antiques. Bon vent à Ulysse et à l’ensemble Caravage !
Playlist
1- Piotr Ilyitch Tchaïkovski – Variations sur un thème rococo (variation 6)
2- Jethro Tull – Bourée
3- Olivier Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps (6e mouvement)
4- Heitor Villa-Lobos – Bachianas brasileiras n°5
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