On le savait agile de la plume. Le chanteur d’Archimède, Nicolas Boisnard, dévoile pour Tranzistor les dessous de la réalisation du deuxième disque du groupe lavallois. De quoi patienter avant la sortie dudit album, prévue le 5 septembre. Carnet de bord.

Quand Nicolas Moreau m’a suggéré l’idée de tenir un journal de bord de l’enregistrement de notre deuxième album, j’ai un peu tiqué. Ça intéresse vraiment quelqu’un de savoir comment se passent nos journées en studio ? S’imagine-t-on un lecteur se pencher par-dessus l’épaule du romancier en train d’écrire son livre ? Et puis quoi, cette sorte d’auto-reportage dans les coulisses me donnerait une charge de travail supplémentaire… Je ne sais trop pourquoi j’ai accepté la proposition. Ah si : à force d’écrire des chansons, j’ai l’impression que je n’écris plus en prose qu’à l’occasion d’actualiser mes statuts Facebook. Finalement, cette ascèse rédactionnelle tombait à point nommé.

Août 2010

Les choses sérieuses commencent. Depuis le début de l’année, nous avons envoyé, à petites foulées, une douzaine de nouvelles chansons à Vincent Blaviel, notre directeur artistique chez Jive Epic. Or nous savons, de manière assez confuse mais certaine, qu’il apprécie au moins une bonne moitié d’entre elles, sans quoi il n’aurait pas levé l’option, la fameuse option du second album. Un lundi midi de ce joli mois d’août, donc, nous avons rendez-vous, mon frère et moi, dans un restaurant thaïlandais de Belleville, à Paris, avec Vincent Blaviel et Philippe Paradis, réalisateur du premier album avec qui nous souhaitons remettre le couvert. Ce midi-là, entre un « tigre qui pleure » et des « crevettes à la sauce piquante », nous faisons le point, tous les quatre, sur les forces en présence, à savoir nos chansons, nos maquettes. Avec en toile de fond cette question primordiale : avons-nous déjà de quoi livrer un putain de deuxième album ou va-t-il falloir se sortir les pouces pour composer encore ? La deuxième option est retenue, et c’est tant mieux : autant avoir 20 ou 25 chansons pour se donner du recul sur le choix des 10 ou 11 qui composeront le deuxième album. Dans le train qui nous ramène à Laval le soir-même, je prends la mesure du statut qu’il faut bien reconnaître à notre déjeuner : c’était un déjeuner professionnel. On peut écrire des chansons en se promenant, les trousser dans son bain en soufflant sur des nuages de mousse, en parfait fumiste, les avoir en tête sans même les coucher sur papier, ce loisir, in fine, n’en reste pas moins un métier. Notre métier maintenant. J’oublie toujours ça.

Septembre 2010

À l’heure où j’écris ces lignes (c’est bien ça comme formule, ça fait sérieux, on dirait l’amorce d’un édito de BHL, ça laisse augurer d’un deuxième album beaucoup plus adulte), nous sommes au studio Bornibus, en l’indispensable et joyeuse compagnie de Philippe Paradis et Jeff Delort. L’heure est aux pré-prods. Pendant quatre semaines, nous décortiquons les titres un à un, les triturons, essayons de leur trouver un chouette costard, des arrangements idoines. Dans le lot cohabitent des chansons enjouées et des ballades, des titres à prendre au premier degré et d’autres résolument potaches. Avec Archimède, nous souhaitons cultiver, sur quelques titres au moins, cet esprit naïf, effrontément guilleret, un brin désinvolte, dans le sillage des héros de notre enfance : Antoine, Dutronc, Nino Ferrer, Pierre Vassiliu, Gotainer… La joie n’est pas qu’un slogan de BMW. Et s’il est de bon ton, chez nos confrères de la chanson, de citer toujours les mêmes pour s’abriter derrière eux : Gainsbourg, Bashung ou Ferré, nous autres ne rougissons pas d’aimer, aussi, les hits de Joe Dassin.
« Est-ce que c’est juste », « L’intrus », « On aura tout essayé » ou « Bye bye bailleur » témoigneront dans l’album à venir qu’on aime aussi le rock’n’roll, évidemment. Durant cette période de pré-productions, Philippe Paradis nous pousse dans nos retranchements, nous suggérant parfois des directions artistiques qui nous heurtent a priori, puis nous séduisent au plus haut point à la réécoute. Exemple : binariser un titre, bouleverser sa rythmique. Ça choque au début, quand on est accroché à ses petites maquettes, et puis ça fait mouche. À deux reprises. Après tout, ce gars-là a réalisé des albums pour Christophe et Hubert-Félix Thiefaine. Il sait de quoi il parle. Et nous savons qu’il y a toujours du bon à savoir baisser la garde, à ne pas rester borné, confit dans ses petites certitudes.
Nous travaillons sur une quinzaine de titres en ce mois de septembre, et, le soir, dans notre hôtel Ibis de Paris-la-Villette, après avoir englouti un tartare ou un burger savoyard à l’Hippopotamus voisin, nous troussons encore de nouvelles chansons dont l’une, de saison, s’appellera bientôt « Les premiers lundis de septembre ».

Octobre 2010

À l’heure où j’écris ces lignes (il y a aussi décidément du Christophe Barbier dans cette attaque), on a 13 chansons finalisées. Quelques-unes ont définitivement dégagé, merci au revoir : on n’a même pas essayé de les sauver à la production. De toute façon on a un éditeur, Laurent pourra toujours les proposer à Nicole Croisille.
À la mi-octobre, nous sommes à Bruxelles, enfermés dans les studios ICP. Le C en l’occurrence, pour une huitaine de jours. En immersion totale, monastiquement dévoués à la musique et à l’écriture. Là se jouent beaucoup des parties instrumentales définitives de l’album, hormis les voix, auxquelles je m’essaie quand même pour le fun, tard le soir, pendant que mes acolytes jouent au billard dans les appartements cossus d’ICP. À moins qu’ils ne jouent à Fifa Euro 2008, jeu-vidéo auquel Laurent Cléry, notre manager, excelle : il fout la pile à tout le monde. Chaque matin, pour rejoindre le studio C, nous traversons une salle pleine des disques d’or, de platine, de diamant, que sais-je, d’illustres aînés : Jean-Louis Aubert, Renaud et mille autres… À ICP, le matos à disposition donne le tournis. Rien qu’en claviers, le choix est monstrueux : Vox continental 300, Farfisa, Wurlitzer, Memory Moog, Prophet, Rhodes, Solina, Hammond, etc.
À journée productive, soirée peinarde : une nuit, Archimède file à l’Archiduc, bar bruxellois très années-30 dans lequel nous trinquons, les yeux mi-clos, à ce deuxième album qui ne porte toujours aucun nom…

Novembre / décembre 2010

Poser les voix : c’est la mission qui m’incombe maintenant. La colonne vertébrale de l’album est tracée, enregistrée. Mon frère et Philippe ont rangé leurs guitares, je vais pouvoir troquer ma bonne vieille casquette contre un casque d’écoute. Retour à la case départ, à Bornibus : j’avais posé des voix dites témoins lors des pré-productions, je vais maintenant enregistrer les voix définitives. Tiens, je n’ai pas encore parlé des textes : sur cet album, ils sont un poil plus féroces, davantage concernés par le monde comme il va. Monde cinglé, chantait Louis Chedid. Je ne brandis pas le poing au ciel, mon engagement est dégagé, mais tant qu’à chanter en français, autant essayer d’embrasser son époque, ses travers.
Ces derniers mois d’enregistrement sont également ceux des ultimes arrangements, avec une session de cordes dans les studios Ferber, à Paris. Deux autres chansons ont été créées après notre séjour à Bruxelles, que notre directeur artistique souhaite aussi produire. Philippe accepte évidemment, et nous allons, parce qu’il est toujours sain de changer d’air, les enregistrer à Red Room, le studio de Jeff Delort.
Au final, nous mixerons et masteriserons 15 chansons. Quatre d’entre elles ne figureront pas sur notre deuxième album, dans une logique de cohérence et d’homogénéité. Au rebus ? Pas vraiment : ces chansons existent et pourront constituer des bonus à l’avenir. Ou pas. Reste qu’un album, c’est un équilibre à trouver, une ligne directrice à suivre. Nous avons pris le parti, grosso modo, de rester légers, insolemment enjoués.
Onze chansons, donc, et toujours aucun titre d’album, même encore en janvier. On s’était épargné l’exercice rasoir d’intituler le premier ; je crois que cette fois on n’y coupera pas. Voilà quand même quelques-uns des titres auxquels vous avez échappé : « Le goût de l’allégresse », « Esquiver l’ordinaire », « Sirocco »… On a finalement opté pour « Trafalgar » . Mais je n’ai plus de place pour vous dire pourquoi, alors si vous vous en trouvez contrariés, vous pouvez faire part de vos doléances au rédac chef (02 43 67 60 97), c’est lui qui m’a imposé un nombre limité de caractères.