C’est marrant, cette année au Foirail, comme d’ailleurs aux festivals des 3 Eléphants et du Foin de la Rue, c’est devant la « petite » scène (habituellement réservée aux groupes « émergents ») que j’ai le plus vibré. Enfin tout ça, « les têtes d’affiche », les « découvertes »…, ce sont des notions très relatives. Prenez par exemple Freedom from King Kong, tête d’affiche du Foirail cette année, ce groupe faisait encore office il y a peu d’outsider. Et les Huspuppies ou les Birdy Nam Nam ? Quasiment inconnus lorsqu’ils foulaient la scène du festival en 2005, ils cartonnent aujourd’hui partout en France et en Europe… On les aime pour ça les gars du Foirail. Ils ont du pif, le flair pour nous dénicher chaque année des belles petites surprises, dégotées sur les indications inspirées d’on ne sait quel Huggy les bons tuyaux… Et la cuvée 2006 n’a pas échappée à la règle, même si elle fut (de chêne), à mon humble avis, moins savoureuse que les deux années précédentes. Un petit millésime donc, mais qui a tout de même su nous réserver quelques menus plaisirs… et de bien douces ivresses (musicales, bien entendu !). Vous me saurez grâce de ne parler que de ceux qui surent m’enivrer. Et surtout ne comprenez pas, à travers ce choix, que les autres m’ont saoulé…

 

MAP (le Ministère des Affaires Populaires mec !), c’est du pinard de première bourre, épicé et plein de caractère. Du vin de la communauté méditerranéenne qui brasse les appellations d’origine… Enfants de l’immigration maghrébine, nés dans la grisaille lilloise, les musiciens de MAP ne sont pas peu fiers de leurs racines. A la manière d’un Magyd Cherfi, ils revendiquent leur identité et leur double culture, française et arabe, ch’ti et maghrébine. Jonglant avec les accents, du patois lillois au verlan des cités, ils mêlent beats hip hop à vous déboîter la nuque et violon oriental, rimes acerbes et accordéon qui fleure bon le bal… populaire. Car ils portent bien leur nom ces ministres du verbe. Populaires au sens vrai du terme, ils se foutent d’être à la mode, d’être « in » ou d’être « out », ils se donnent sur scène sans aucune retenue, font participer le public, n’hésitent pas à entonner à la fin de leurs morceaux des airs connus qu’on reprend tous en choeur, soudain heureux de crier un bon coup, de participer à l’euphorie collective sans jamais avoir l’impression de bêler comme un mouton de panurge. Accompagnés par un violoniste costumé en boulanger, un accordéoniste gominé (on s’en doutait depuis Java, mais là c’est confirmé, l’accordéon, c’est définitivement hip hop) et un imposant dj/lanceur de beats vêtu d’un folkorique ticheurte de basket américain style gangsta rap, les deux rappeurs de MAP font monter la pression et le débit de leur flow. C’est tranchant, rigolard parfois, grave d’autres fois, mais toujours clair, net et précis. Construit comme un vrai show, avec des sketchs avant et parfois au beau milieu des morceaux, leur spectacle n’évite pas certaines lourdeurs… et quelques raccourcis faciles. Les beats sentent aussi un peu le « réchauffé », le son en boîte… Et perso, j’suis pas fan de Bolino… Mais qu’importe, ne faisons pas les difficiles, ils sont vrais, leurs mots sonnent juste, l’accordéoniste et le violoniste assurent et leur bonheur d’être là, ensemble, est communicatif ! Le public d’ailleurs réagit au quart de tour et leur offre une belle ovation à la fin du concert ! Elu au premier tour meilleur groupe du vendredi soir ! Dans ma circonscription tout du moins…

 

Mise en bouche de la soirée du samedi, Peter Von Poehl s’apparenterait davantage à un vin fin, riche et subtil. Légère et parfaitement équilibrée, la musique de ce jeune suédois fait décoller, vous met en orbite, dans un doux état d’apesanteur. Dans le coton de ces chansons au confort discret, on s’installe confortablement, séduit par le son chaud, rond et presque moelleux de l’excellent groupe qui l’accompagne. Rien de nouveau pourtant, dans ces petits vignettes pop qui puisent dans une veine folk que bien d’autres ont déjà visitée, mais dont la richesse semble intarissable. Classique peut être, mais n’oubliez pas que dans classique, il y a « classe »… Et l’on préférera toujours le classicisme indémodable au moderne vite déclassé… Ancré dans la tradition d’une certaine musique anglo-saxone, de Leonard Cohen à Nick Drake, ce dandy à l’allure un rien androgyne sait s’en détacher avec grâce, pour aligner les trouvailles mélodiques et les petites inventions sonores qui peuplent ses chansons. Au terme d’un concert d’une belle et tranquille intensité, on devine, que si il ne sera pas placardé au sommet des têtes de gondoles, le tout récent premier disque de Peter Von Poelh trouvera sa place sur les étagères des meilleurs épiceries fines. Testé, approuvé et recommandé par la maison.

 

Avec Beat Assaillant, on change de rayon. Direction les alcools forts. Whisky, rhum, bourbon ? Non, disons plutôt cocktail, un mix bien frappé, sacrément secoué même, à coup de funk bouillant, de soul collante et de jazz chauffé à blanc. Un savant dosage et une belle leçon d’histoire musicale pour ceux qui n’aurait pas encore compris que le hip hop était l’enfant naturel de toutes les musiques afro-américaines, du rythm’n’blues au r’n’b… Empruntant son flow moelleux au rap, le charismatique Beat Assaillant, leader et géniteur du groupe, pose avec naturel ses rimes sur des rythmes funky implacables. Et tout cela coule de source. Une belle synthèse qui roule impeccablement. Une machine à danser diabolique, une mécanique huilée avec amour où tout s’imbrique, coulisse, s’entraîne avec bonheur et précision… Tel un piston pris dans cet engrenage infernal, on se laisse aller à une envie irrépressible d’onduler sur le dancefloor. Les morceaux s’enchaînent et égrènent les hymnes éreintants, les refrains soulful, les chorus fiévreux… Le concert atteint son sommet avec « Hard Twelve », tube et titre éponyme du premier album de ce groupe franco-américain formé il y a peine un an. Choeur et section cuivres de rigueur, costards cravates tout aussi impeccables que leur sens du swing, les musiciens de l’orchestre de Beat Assaillant (ils sont 10 sur scène) rappellent les excellents Dap Kings de Sharon Jones, croisés cet été au festival des 3 Eléphants. Même syncope sèche et torride, même sens du groove… Un alcool noir et épais suinte de leur musique et coule dans leurs veines. Il est de ces liqueurs qui n’attendent pas les années pour se bonifier. Plus qu’une découverte, Beat Assaillant est une valeur sûre, à déguster sans attendre. A la bonne vôtre. Tchin tchin !