Depuis 10 ans, Christophe Aimé fait le bonheur des lecteurs qui fréquentent la librairie M’Lire Anjou à Château-Gontier. En 2014, cet ex-prof a lâché son boulot pour l’amour des livres, et l’irrépressible envie de partager cette passion, avec une bienveillance et un plaisir contagieux.

 

Premier déclic : un jour de 1984, Christophe Aimé, 14 ans, découvre, grâce à son frère ainé, l’album Kill ‘Em All de Metallica. Un choc énorme, qui va changer sa vie. Pour tromper sa solitude – « mon frère était parti de la maison, on habitait à Louvigné, un peu isolés, dans la campagne lavalloise », l’ado s’immerge dans les décibels : métal et hard rock en boucle dans les écouteurs. Mais pas question de garder ces découvertes pour lui : le jeune garçon adore déjà partager avec les autres ce qui le touche.

Son endroit préféré : les boutiques de disques, dans les bacs desquelles il aime fouiner, à la recherche de nouvelles pépites sonores. « J’aurai adoré être disquaire », se souvient-il, mais l’effondrement du marché du disque dans les années 2000 l’en dissuade… 30 ans plus tard, c’est quelque part ce rêve qu’il réalisera en ouvrant une librairie.

Du métal, les goûts du vingtenaire s’élargissent au post rock, au noise ou au punk hardcore, dont la radicalité musicale s’accompagne souvent d’une démarche éthique, à l’image des irréprochables Fugazi ou Converge, exemples d’intégrité et d’indépendance.

Toujours animé par la volonté de partager et faire découvrir les artistes qu’il aime, Christophe lance en 2000 un fanzine puis un webzine, I am a lungfish song, sur lequel il signera, d’une plume inspirée et alerte, d’innombrables chroniques de disques et interviews. S’il a mis cette activité en sommeil depuis 2014, son amour pour les grosses guitares, le rock tatoué et furibard reste intact. Et c’est un doux euphémisme de dire que cette passion coupable cadre mal avec le calme, la sérénité et la mesure de ce grand gaillard affable, au look de gendre idéal. Lui-même s’étonne de cette ambivalence : « je n’arrive pas vraiment à l’expliquer. Ça doit être mon côté Gémeaux, sourit-il. J’ai ça en moi, c’est un jardin secret, que je n’ai pas vraiment envie de monter, d’exposer ».

Chair de poule

Deuxième déclic : en première année de fac d’anglais au Mans, où l’a guidé son penchant pour la musique anglo-saxonne et la langue de Shakespeare, il doit lire une dizaine de classiques de la littérature américaine et britannique, « in english please ». Ce lecteur jusqu’alors peu assidu s’y colle, dico d’anglais à l’appui. Et découvre l’amour de la lecture qui ne le quittera plus. Georges Orwell, Joseph Conrad, Virginia Woolf, Harold Pinter… Il dévore les bouquins, et se transforme en bibliovore. Lire devient constitutif de sa vie : “aujourd’hui, je vis pour les livres ».

Tous les jours, le libraire se lève à 5 heures du matin pour lire 1 heure et demie. « Si je ne lis pas, je ne me sens pas bien ». Un besoin vital qui répond aussi à une nécessité professionnelle : recommander des livres nécessite a priori qu’on les ait lus… « C’est ce que les lecteurs attendent de nous », confirme Christophe, « même si bien sûr c’est impossible de tout lire ».

« J’aime ce métier pour toutes les rencontres qu’il m’offre de vivre »

Troisième déclic : prof d’anglais entre 1996 et 2014, il donne régulièrement un coup de main bénévole à l’équipe de la librairie lavalloise M’Lire lors de salons littéraires. Mission pour la librairie :  vendre les livres des auteurs invités. Là, Christophe s’aperçoit qu’il se sent pleinement à sa place lorsqu’il conseille au public des livres qu’il a aimé. « Ça a été une vraie révélation. J’en avais des frissons ».

L’idée de devenir libraire chemine et s’impose bientôt à lui. Marie Boisgontier, alors gérante de M’Lire Laval, lui met le pied à l’étrier. Elle se propose de l’accompagner dans l’ouverture d’une librairie à Château-Gontier, avec l’aide et l’appui financier de l’équipe de la librairie lavalloise.

Lucide quant à son manque de formation et d’expérience, Christophe fonce malgré tout, conscient que l’occasion ne se présentera pas deux fois. Au même moment, un local commercial de 100  m2 se libère, en plein centre de Château-Gontier. Huit mois plus tard, en septembre 2014, M’Lire Anjou ouvre ses portes, empruntant son nom à sa grande sœur lavalloise… Et les lecteurs sont au rendez-vous. « On était attendus« , constate Christophe. La sous-préfecture du sud-Mayenne et ses 12.000 habitants n’avait jamais accueillie de librairie.

Acte de résistance

Démarrée en duo, l’aventure embarque désormais quatre personnes (trois salariés et une apprentie). Cette belle réussite est l’illustration locale d’un mouvement national qui voit depuis quatre ou cinq ans les librairies se multiplier un peu partout, en notamment dans les villes de moins de 10.000 habitants. Un phénomène que le COVID n’a fait que renforcer. En 2022, 142 librairies ouvraient en France, un record ! Le livre est (re)devenu tendance. Face à un monde perçu comme violent et instable, la lecture est un cocon, un refuge, voire un « acte de résistance« . À l’heure de l’immédiateté et de l’accélération continue, lire demande d’appuyer sur pause, de se débrancher et de ne plus rien faire d’autre.

Comme les cavistes, qu’on a vu aussi se multiplier ces dernières années, l’attrait des librairies indépendantes repose sur l’expertise, la personnalité et la qualité du conseil des libraires. Il faut d’abord savoir écouter la demande des clients, et par quelques questions, mieux comprendre ce qu’ils aiment, ce qu’ils cherchent… Le tout, pour Christophe, sans avoir de condescendance vis à vis des lecteurs d’auteurs populaires tel Guillaume Musso ou Marc Levy, ou des adeptes de new romance, plébiscitée en masse par les ados et jeunes adultes. « Notre porte est ouverte à tous, et on répond à toutes les demandes. Charge à nous ensuite d’aiguiser la curiosité et de guider ces lecteurs vers des écrivains moins exposés ».

Souvent au fil du temps, se tissent des relations étroites entre lecteurs et libraires. Si les livres ne sont pas des produits comme les autres, les librairies ne sont pas non plus des commerces comme les autres. Vecteur de lien social, elles sont des lieux de savoir, de sociabilité, de rencontres, d’échanges…

M’Lire Anjou propose ainsi de nombreux rendez-vous et animations : lectures d’albums jeunesse, apéros bd ou petits déjeuners littéraires délocalisés dans le bistrot voisin, rencontres avec des auteurs, en partenariat souvent avec la médiathèque de Château-Gontier… Pour ces rencontres qu’il adore animer, Christophe reprend sa casquette d’intervieweur. Objectif : aller au-delà de la promotion ou des questions bateau pour véritablement rencontrer l’écrivain qui se cache derrière un roman, comprendre ce qui l’anime, quels sont les ressorts de son écriture…. « C’est une occasion unique de rencontrer des artistes que l’on apprécie, d’échanger et de passer un moment privilégié avec eux… J’aime ce métier pour toutes les rencontres qu’il m’offre de vivre ».

Playlist

1- Fugazi – Give me the cure 

2- Faith No More – Midlife crisis 

3- Converge – Concubine 

4- The Soft Moon – Become the lies 

 
Chaque premier jeudi du mois à 21h sur L’autre radio, Tranzistor l’émission accueille un acteur de la culture en Mayenne : artiste, programmateur, organisateur de spectacle… Trois fois par an, Tranzistor part en « live » pour une émission en public. Au programme: interviews et concerts avec deux ou trois artistes en pleine actualité. 

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