Plus qu’un festival, Au Foin de la Rue, c’est un état d’esprit et une association qui en dix ans s’est imposée comme un acteur culturel incontournable du Nord-Mayenne. Qui de mieux pour regarder dans le rétro que Jeff, guitariste de La Casa, et David, président de l’association Au foin de la rue, bénévoles de la première heure qui ont vu naître et s’épanouir un festival qui soufflera 10 bougies les 3 et 4 juillet prochains ?

Revenons 10 ans en arrière : comment naît Au foin de la rue ?

David : L’idée de base était de faire venir la culture en milieu rural. Le projet initial était mené par une bande de potes, qui avaient déjà acquis de l’expérience sur les fêtes de la musique organisées à Saint-Denis. D’année en année, ça devenait un événement de plus en plus conséquent. L’artère principale de Saint-Denis était noire de monde !
Jeff : Parallèlement, une vraie scène musicale émergeait à Saint-Denis. On était une petite dizaine, avec deux groupes qui tournaient, La Sainte Java et les Los Tick. On s’est tous regroupés, et on a monté la première édition, en 2000. Avec dès le départ un plaisir d’être ensemble, entre bénévoles, et de monter un projet commun de A à Z.

Avec l’idée d’être encore là dix ans plus tard ?

Jeff : On ne se posait pas trop la question. On prenait du plaisir dans l’aventure, et c’est génial qu’on en prenne encore 10 ans plus tard ! Mais on était aussi dans une certaine dynamique chaque année avec les fêtes de la musique, donc ce n’était pas non plus juste pour « faire un coup ». On se disait à chaque fois : « On range pour l’année prochaine ». Mais on a vite été confrontés aux réalités économiques : pour évoluer, ne plus faire venir uniquement que des groupes locaux, il fallait dégager une billetterie. La première année, il y avait une soirée payante au Parc du château le vendredi et une gratuite le samedi dans les rues. On démontait le site dans la nuit du vendredi au samedi pour le réinstaller dans la rue, c’était un travail de fou !

On a vu ces dernières années plusieurs festivals « musiques actuelles » à la campagne se casser la figure. Comment expliquer votre longévité ?

David : Ça tient à si peu de choses ! Pour nous c’est sûrement dû à une rigueur financière et de gestion, et à une bonne part d’autofinancement, quasiment 80 % sur les 410 000 euros du budget. Et puis on a fait le choix de rapidement structurer l’association pour la pérenniser : on ne pouvait pas uniquement se reposer sur le travail des bénévoles, avec qui on avait quand même fait entièrement deux éditions. On a donc employé quelqu’un la troisième année, Cyril Coupé, qui a rejoint l’équipe en tant que permanent. Et le festival s’est très vite structuré professionnellement.

N’y avait-il pas alors un risque de perdre l’esprit associatif et participatif du projet ?

David : Non, car ici c’est la base de tout : sans bénévolat, il n’y a plus d’asso ! La force que l’on a Saint-Denis c’est aussi d’avoir une culture du bénévolat et une forte tradition associative, ancrée ici depuis très longtemps, bien avant nous. Il y a une âme, ça ne s’explique pas, ça se vit ! Sur le festival, on retrouve trois générations de bénévoles dionysiens, à tous les postes, où chacun sait ce qu’il a à faire. Et si ce n’est pas le cas, la transmission du savoir-faire s’opère très simplement, c’est aussi une école de la vie ! Tout le monde s’organise pour poser ses deux semaines de vacances avant et après le festival. Il y a une vraie fierté pour les habitants ici à participer à l’organisation du Foin. Et pour autant Saint-Denis n’est pas un « village gaulois », on est très ouverts à l’extérieur, et on a toujours plaisir à accueillir des gens nouveaux.
Jeff : D’ailleurs tous les salariés que l’on a embauchés sont à la base extérieurs à l’association. Jérémy s’occupe de la communication et de la gestion des studios de répétition du Cube. Et Maxime qui a remplacé Cyril, s’occupe plus spécifiquement de la programmation des différentes manifestions que l’on organise : les Foins d’Hiver, les Pics Nics et bien sûr le festival. C’est un travail sur toute l’année, on fonctionne avec une commission d’une quinzaine de personnes, chacun peut proposer des idées, défendre ses groupes, et Max doit trouver une cohérence parmi tous les noms.

Y-a-t-il justement une ligne directrice dans la programmation ?

Jeff : on ne s’interdit rien, excepté en général les musiques extrêmes, comme le metal ou l’electro trop pointue. On ne va pas s’étiqueter ni chanson, ni festif, ni rock, le festival se veut éclectique, exigeant et populaire. En 10 ans, la prog’ a forcément évolué, en fonction de nos goûts, de ce que proposent les bénévoles, et de l’arrivée de Maxime, dont les goûts s’intègrent logiquement au projet. Avec l’augmentation du budget artistique, on se permet depuis quelques éditions de faire venir plus de têtes d’affiches, et d’avoir plus d’exigence pour les groupes « découverte ». Mais ça doit rester un festival attractif et convivial, à taille humaine, on a jamais souhaité une hausse colossale du nombre de spectateurs. Environ 10 000 personnes actuellement c’est parfait, nos bénévoles sont habitués à cette jauge. On ne veut pas devenir les Vieilles Charrues, ça impliquerait une autre organisation, et on veut garder cette façon de travailler.

L’un des éléments clés du Foin, c’est aussi la déco sur le site. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous ?

Jeff : C’est important depuis le début, même à l’époque des fêtes de la musique. Il y a eu rapidement un engouement de la part des bénévoles pour avoir une identité plastique. A la fois pour les gens de Saint-Denis qui ont bossé dessus dès le début, et pour des gens venus d’ailleurs qui se sont dit « Tiens ça peut être sympa de faire de la déco sur ce festival ». La déco fait partie des projets qu’on voulait développer, en plus de la musique et des arts de rue. On s’est spécialisé au fur et à mesure dans ces trois branches. Au niveau musical, on a développé le Foin de la Rue et les Foins d’hiver. Pour les Arts de Rue, les Pique-nique et le Cabaret, avec des événements plus ou moins pérennes. Et au niveau plastique, en plus de la déco du festival, on a professionnalisé ce secteur pour répondre aux sollicitations extérieures : on propose des prestations et des services de location avec l’asso tout au long de l’année. Au début, on nous louait juste un peu de déco pour des concerts, maintenant on gère aussi des événements plus importants, tels que les Reflets du cinéma ou Croq’les mots, avec là pour le coup des personnes rémunérées. Avec cette volonté que des bénévoles qui développaient ces activités plastiques, puissent s’y retrouver.
David : Et pour le festival, on ne fait pas appel à des équipes de plasticiens, tout est issu du bénévolat. Avec une équipe spéciale d’une dizaine de personnes, qui travaillent dans un espace qu’on loue à Saint-Denis, à notre disposition toute l’année. On crée toute notre déco là-bas. On l’a complètement aménagé, avec plusieurs espaces : bois, soudure, peinture… On prend des structures existantes, souvent en ossature bois, en construisant autour et en refaisant du neuf à chaque fois : le fameux tonneau, la vieille girafe… Des éléments récurrents d’une édition à l’autre.

Et depuis quelques éditions, une place importante accordée également à l’environnement ?

David : L’environnement a pris une dimension évidente, c’est une branche qu’on n’avait pas trop développé au début, mais qu’on a renforcé grâce à certains bénévoles, et un gros investissement là-dessus. Si on peut rendre le site aussi propre que quand on l’a pris, pour nous c’est pari gagné. Pour ça, on fait maintenant un travail énorme sur le tri des déchets, l’incitation à trier sur le camping, et la mise en place des gobelets ou encore des toilettes sèches. Pour ça comme pour d’autres aspects, dès qu’un bénévole ou une équipe dit « moi je voudrais m’investir dans tel ou tel domaine », on lui donne le feu vert. On accompagne ces démarches, pour aller plus loin.

Vous ne souffrez pas trop de la hausse des cachets des artistes et de la concurrence entre festivals ?

David : C’est vrai que la hausse des charges est impressionnante, ça été très net en 3 ou 4 ans, notamment les cachets artistiques. Un artiste qu’on avait à 1000 euros en découverte il y a 3 ans, on l’a à 3 000 ou 4 000 aujourd’hui. Ca nous oblige à faire des choix, prendre des orientations… L’auto-financement doit être revenu chaque année à la hausse. L’auto-financement, ça veut dire concrètement « Tu te démerdes », et ça, ça augmente à chaque édition, jusqu’au jour où l’on pourra plus « s’auto-démerder » ! On a tenu dix ans, avec de l’énergie et grâce aux bénévoles, mais on se pose la question de savoir si l’on pourra tenir plus longtemps. On nous met un peu le couteau sous la gorge.

Quelles surprises nous réserve cette édition anniversaire ?

David : Quelques surprises au niveau de la déco, qui sera orientée sur les souvenirs des éditions précédentes, sur le même site que l’an dernier, qu’on a réussi à bien s’approprier en seulement deux ans. Au niveau de la programmation, notre plus grande fierté est la venue d’IAM. On avait fait une réunion où chacun lançait des idées, et quand Max a proposé IAM, ça a fait l’unanimité autour de la table. Ça parlait à tout le monde, de 18 à 40 ans. C’est histoire de marquer le coup pour l’anniversaire, on s’est fait plaisir, car c’est aussi un petit sacrifice financier. Mais on est également très fiers du reste de l’affiche, peut-être la plus belle depuis dix ans !